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Le Revenu universel n’est pas anticapitaliste

La mise en avant du Revenu universel par Benoît Hamon, désigné candidat du Parti socialiste à la présidentielle de 2017, a fait sortir cette idée des marges du débat politique. Il s’agirait d’un revenu versé à tous les habitants d’un pays, sans conditions de ressources ni obligation de travail. Il est parfois appelé « Revenu de base », « Allocation universelle »... Il est proposé par des altermondialistes aussi bien que par des néo-libéraux. Certains le proposent à quelques centaines d’euros par mois, d’autres au niveau du SMIC.

 

Alors évidemment, tous ces gens-là ne le présentent pas de la même manière. Pour ceux de Droite, le Revenu universel permettrait de supprimer toutes les aides sociales en les remplaçant par un système plus simple et moins coûteux pour le Capital qui permettrait juste d’empêcher les plus pauvres de mourir littéralement de faim ; en plus, cela permettrait de faire croire que chacun pourrait s’en sortir si il le veut grâce à ce pseudo-capital de départ.

 

A Gauche, le Revenu universel serait un moyen pour les travailleurs d’obtenir justice des dégâts du Capital : en travaillant, la classe ouvrière a généré du profit qui a permis au Capital d’investir dans l’automatisation de la production, supprimant donc les emplois ouvriers. Le Revenu universel serait un moyen de « dédommager » en quelque sorte la classe ouvrière pour le chômage qu’elle subit, sachant que c’est par sa force de travail qu’elle a payé les machines qui la remplacent. Par ailleurs, en garantissant un revenu minimal à chacun, nous serions tous en position de force pour négocier nos salaires, ayant moins peur de refuser un emploi ou de démissionner. Ainsi, il permettrait de gommer la distinction entre travail salarié et activité libre, de briser la marchandisation systématique de nos vies.

 

Un revenu digne pour tous : impossible sans sortir de la guerre économique capitaliste

 

Dans son programme, Benoît Hamon jure que la mise en place de son Revenu universel se fera tout en maintenant à son niveau actuel le système de protection sociale actuel, et même en l’améliorant. Du point de vue budgétaire, cela est plus que douteux. Cela serait peut-être possible en taillant dans certaines dépenses parasitaires monstrueuses de l’Etat, par exemple l’entretien des moyens militaires. Or, Hamon affirme qu’il augmentera également le budget du ministère de la Défense.

 

De fait, instaurer un vrai Revenu universel suffisant pour vivre est impossible dans un pays capitaliste, dans le contexte de la guerre économique mondialisée. Comment l’impérialisme français pourrait-il rester concurrentiel si les comptes de l’Etat sont « plombés » par le souci d’assurer à chacun un revenu digne ? Dans le programme de Benoit Hamon, il y a donc une arnaque quelque part. D’ailleurs, le candidat du PS prépare un atterrissage en douceur puisqu’au fil des semaines il revoit à la baisse le montant, l’extension et la rapidité de mise en place de son projet. La bourgeoisie ne peut pas financer un vrai revenu universel, qui permettrait à tous ceux exclus du salariat de vivre dignement.

 

Si à l’inverse ce gouvernement se replie sur un Revenu à un montant modeste pour être réaliste du point de vue budgétaire, ça ne consistera qu’en un élargissement du RSA, maintenu à un niveau inférieur au seuil de pauvreté (fixé à à peu près 900 euros net de revenu par mois) : pas de quoi chambouler la logique des rapports de production capitaliste !

 

Dans ce cas, le Revenu universel sera forcément utilisé par les entreprises comme une subvention à l’emploi précaire, un peu comme le sont déjà, justement, le « RSA activité » ou la « Prime pour l’emploi » : l’Etat paye une partie du salaire à la place du patron pour lui permettre de nous payer moins cher. Avec un Revenu universel à moins de 800 euros, on imagine mal de quelle manière cela permettrait à un prolétaire d’être en position de force pour négocier son salaire, puisque le chômage restera synonyme de galère. Sous prétexte que personne ne pourrait mourir de faim, le Revenu universel pourrait justifier une réduction énorme du salaire minimum, voir sa suppression.

 

A l’heure où cet article est écrit, Hamon propose une augmentation immédiate de quelques centaines d’euros des bas revenus, et vise l’instauration progressive d’un revenu universel de 750€ net. Hamon précise cependant que les conditions, les formes et le revenu exact du Revenu universel seront déterminées par une « Conférence sociale ». C’est à dire, par une conférence réunissant directions syndicales et patronat, pour négocier des contreparties accordées aux Capitalistes. On a vu ce que ça a donné avec les 35h Aubry en 2000 : diminution de la durée légale du travail en échange de mesures de flexibilisation de l’emploi, notamment l’annualisation du temps de travail, et d’intensification du travail, avec l’augmentation de la pénibilité qui va avec. En théorie, un Revenu universel n’exige aucune contrepartie : mais la mode actuellement est d’exiger des bénéficiaire du RSA d’effectuer des tâches non-payées. Les capitalistes pourraient très bien le demander. Autre question : quelles seraient les conditions de nationalité ? Les travailleurs immigrés, sur-exploités, combien de temps devraient-ils attendre pour en bénéficier ? Le projet de Hamon est très flou, et il laisse la porte ouverte à tous les compromis avec l’exploitation.

 

La solution, c’est de travailler tous, moins, autrement

 

Dans une société impérialiste à un stade avancé comme la nôtre, les rapports de production Capitalistes génèrent un chômage de masse. Les études montrent que ce chômage est plus provoqué par l’automatisation de la production que par les délocalisations. N’en déplaisent aux protectionnistes qui réduisent la solution de nos problèmes à la fermeture des frontières ! Il est donc nécessaire que les prolétaires opposent une réponse politique.
Historiquement, le mouvement ouvrier s’est battu pour arracher aux Capitalistes la réduction du temps de travail. Grâce aux machines, le travail humain devient moins pénible, on peut produire plus en moins du temps. Logiquement, la réduction du travail « vivant » (c’est à dire fourni directement par le travailleur) nécessaire à la production devrait être partagée, pour que chacun profite de cette automatisation, en travaillant tous et moins. Qui dit partage du travail dit partage des richesses produites. Puisque avec les machines on peut produire plus, beaucoup plus, la diminution du temps du travail ne serait pas synonyme de diminution du niveau de vie, bien au contraire. C’est de cette manière que fonctionnera la production dans une société communiste.

 

Mais sous le Capitalisme, les capitalistes n’ont pas intérêt à partager le travail entre tous. Ils ont intérêt à empocher les gains de productivité obtenus de l’automatisation, tout en demandant à chaque ouvrier de travailler plus, pour tenter de maintenir leur taux de profit (le taux de profit, ce n’est pas le montant des profits, c’est la rentabilité du capital, c’est-à-dire le profit par rapport au capital investi).

 

Il y a effectivement chez les partisans de gauche du revenu universel une idée intéressante : celle qu’il y a tout un tas d’activités socialement utiles qui méritent d’être reconnues et soutenues, ce que l’économie capitaliste ne permet pas : l’aide aux anciens, l’engagement pour la protection de l’environnement, etc. Le revenu universel permettrait de reconnaître l’utilité de ces activités bénévoles. Le constat est juste. Ce qui n’est pas considéré comme rentable directement (la production de marchandise) ou indirectement (un service public de santé qui offre des ouvriers en forme) par le Capital n’est pas considéré à sa juste valeur dans cette société.

 

Mais avec le revenu universel, on risque d’avoir un côté les travailleurs occupés par le travail productif, marchand, d’un côté, avec un statut et un salaire, de l’autre ceux occupés à assurer au gré des besoins les services non marchands, qui recevraient en échange un maigre revenu.

 

Prenons les choses du point de vue de la solution des Communistes, celle du partage du travail entre tous. Si nous pouvons assurer une société d’abondance tout en travaillant seulement 4h par jour, (mettons le matin), cela libère du temps libre (l’après-midi) pour que, tous ensemble, nous prenions en charge ces « services sans valeur ». Ainsi, chacun mettrait la main à la pâte du travail productif comme des activités socialement nécessaire, comme le soin aux aînés, mais aussi la vie citoyenne, la prise en main collective de l’organisation économique, politique et sociale de toute la société. Cette société-là, les progrès de l’automatisation la rendent possible, à condition que le développement de ces moyens de production se fasse dans l’intérêt de la société et des individus, en augmentant notre temps libre et en réduisant la pénibilité du travail. Cela ne peut se faire que si les capitalistes sont privés du pouvoir politique et économique.

 

Se battre contre le chômage, c’est se battre pour la conscience et la solidarité de classe

 

Exiger de « travailler tous et moins », ce n’est pas juste une posture, ce n’est pas juste une manière de laisser entrevoir la société que nous voulons. C’est aussi répondre aux problèmes urgents des prolétaires. Réclamer et obtenir du patron la réduction du temps de travail, c’est déjà nous dégager du temps libre pour nos loisirs, nous occuper de nos proches, mais également pour faire de la politique, œuvrer à notre émancipation. Obtenir l’embauche des chômeurs, c’est lutter contre la tendance à ce que se creuse un écart dans les rangs de la classe ouvrière entre des « privilégiés » qui auraient un travail, et ceux qui seraient relégués en marge, écart qui ébranle le sentiment de solidarité.

 

Remplacer ces revendications par celle d’un Revenu universel, c’est se résigner au chômage de masse, avec toutes les conséquences que cela a pour la classe ouvrière.

 

Le travail salarié capitaliste est aliénant, usant, humiliant. Mais c’est par lui que les prolétaires existent en tant que classe. Le Capitalisme met les ouvriers en concurrence les uns contre les autres, mais en les faisant travailler côte à côte, il créé également une solidarité entre eux face à l’exploitation. L’entreprise est bien souvent notre principal lieu de socialisation, où on se fait des amis, où tous les jours, on a l’occasion de discuter de la vie et de la politique. On sait à quel point le chômage isole, déprime : cette société individualiste tend, dans et en dehors, du travail, à nous isoler les uns des autres, à nous « gérer au cas par cas ». Le chômage de masse et la précarité ont fortement joué dans l’affaiblissement du sentiment d’appartenance de classe du prolétariat. Le salariat nous pèse, mais il est aussi ce qui nous réunit. Reconstruire cette solidarité de classe en dehors du travail, cela risque d’être très compliqué. Et sur quelle base ? C’est l’exploitation qui est à l’origine du rapport de classe et donc de la solidarité de classe.

 

De toute façon, comment imaginer qu’il serait plus facile d’obtenir des Capitalistes un revenu décent à vie sans lui être utile, plutôt qu’une réduction du temps de travail et des embauches ? Pour VP, les prolétaires doivent exiger de pouvoir travailler tous, moins, et autrement ; nous devons nous battre pour la réduction du temps de travail, l’embauche des chômeurs, contre les cadences et la pénibilité, contre la précarité et la souffrance au travail, contre le travail en horaires décalées et de nuit, le travail déshumanisant à la chaîne, pour la baisse des cadences, pour une production utile en fonction des besoins sociaux et pas des besoins du capital. Il n’y a pas de travailler tous et moins sans travailler autrement.

 

Qui payera le Revenu universel ?

 

Il existe déjà, dans plusieurs pays pétroliers du Golfe, un équivalent du Revenu universel. Dans ce cas, ce qui les finance, c’est la rente pétrolière. Il s’agit d’un cas particulier.

 

La proposition logique, pour les partisans du revenu universel, c’est de faire payer les responsables du chômage généré par l’automatisation. Donc, concrètement, de taxer les robots. Il faut savoir que l’industrie française possède, en proportion, 2,5 fois moins de robot par salarié que l’Allemagne. Cette robotisation est allée de pair, dans ce dernier pays, avec une explosion de la précarité : les chiffres officiels du chômage sont bas en Allemagne, mais parce que le chômage de masse y est camouflé dans une masse d’emplois précaires. Taxer les robots, cela reviendrait donc non pas à s’opposer à ce processus de précarisation, de création de chômage (mais également d’augmentation de l’intensité et de la pénibilité du travail pour ceux qui garderaient un travail) mais à l’accompagner, à le subventionner, pour que le capitalisme français puisse rattraper son retard sur son concurrent allemand.

 

D’autres affirment que les profits des grandes multinationales sont là pour ça. Mais les profits de ces grandes multinationales sont tirés de l’exploitation des prolétaires, ceux d’ici ou ceux des pays dominés, et du pillage des ressources naturelles de ces pays. Le revenu universel ne peut être financé qu’en décidant qu’une part supplémentaire de la plus-value tirée de de l’exploitation doit revenir à une masses d’improductifs dans les pays impérialistes, et non pas à ceux qui l’ont produit à la sueur de leur front. Il n’y a pas de « disparition du travail » ; tant que nous resterons dans une société basée sur l’exploitation, sur la production et l’échange de marchandise, Il y aura bien, dans le monde, une classe ouvrière qui sera là pour produire au profit du Capital. Dans ces conditions, le Revenu universel revient juste à associer une partie du prolétariat des pays dominant au statut de rentier, petit rentier certes en comparaison du Capital impérialiste, mais rentiers quand même. Cela ne peut que renforcer les idéologies réactionnaires dans les masses, parce que, forcément, cette exploitation assumée des peuples dominés, ne peut que raffermir le racisme impérialiste et les points de vue petit-bourgeois.

 

Alors on peut penser qu’il y aurait une certaine justice à ce que les ouvriers licenciés des pays impérialistes touchent un peu des profits du Capital en dédommagement de leur exploitation passée ; mais avec le Revenu universel, les couches intermédiaires parasitaires vivant de la redistribution des sur-profits impérialistes, tous ces cadres, tous ces petits chefs, déjà surreprésentés dans nos sociétés, mangeraient une part supplémentaire de la plus-value issue de l’exploitation du Travail. Chaque individu dans la société aurait le droit à un revenu minimum, mais quid du revenu maximum ?

 

Pour assurer un revenu et une place digne à tous dans la société, une seule solution : la dictature du prolétariat

 

Oui, nous avons besoin d’une nouvelle organisation sociale qui gomme la distinction entre travail productif, loisirs, et activités désintéressées. Mais ce n’est possible qu’en remettant en cause frontalement le Capitalisme. Assurer un revenu digne à chacun, en attendant de transformer l’économie pour que chacun puisse vivre de son travail, ne sera possible qu’en faisant passer devant les intérêts du prolétariat, et ça n’est possible que si il prend le pouvoir.

 

Sous son aspect séduisant, le Revenu universel, s’il est mis en place, ne peut que servir à accélérer, faciliter, les restructurations capitalistes avec tous ses impacts terribles sur nos vies. Et, comme les mouvements réactionnaires ont le vent en poupe, le Revenu universel pourra également très bien mettre la pression pour le retour des femmes au foyer, utilisé comme « Salaire domestique » revendiqué par des organisations catholiques.

 

Nous devons exiger que le Capital assure la subsistance des prolétaires exclus du salariat par le capitalisme. Ou la prise en charge, par exemple, des étudiants, dans l’idée que plus tard ceux-ci contribueront au développement social. C’est pour cela que VP exige de porter les minimas sociaux (RSA, Allocation vieillesse, etc.) et les bourses d’étude à la hauteur nécessaire.

 

Comme nous exigeons le plafonnement des revenus et salaires, et à bien moins que vingt fois le SMIC ! L’inégalité, l’injustice, ce n’est pas le cœur de l’exploitation capitaliste, mais c’est sa manifestation la plus visible et la plus scandaleuse ! Alors, on plafonne, on supprime les bonus, jetons, les retraites chapeaux et autres parachutes dorés, on établit un statut unique des travailleurs, cohérent et égalitaire. Si on imagine à titre d’exemple un SMIC à 2000€, un salaire maximum à 5000€ serait largement suffisant…

 

Lorsque les prolétaires auront pris le pouvoir, à cette condition là - et seulement à cette condition – il sera possible d’assurer aux exclus du salariat un revenu digne, en attendant que la reconstruction socialiste de l’économie permette à chacun d’avoir une ou plusieurs activités socialement utiles, dignes, émancipatrices.

 


- Le Revenu universel est une illusion, une tentative de maintenir la paix sociale, alors même que la dégradation de nos conditions de vie est inévitable si on laisse le Capitalisme commander nos vies. Cela, nous devons le refuser.

 


- Travailler tous, moins et autrement, embauche des chômeurs ! En finir avec la misère, la mort au travail, la pénibilité, la souffrance, la précarité et la sous-traitance ! Du pain, un toit, un emploi pour tous !

 


- Assez d’injustices ! Exigeons des retraites, revenus et salaire à un niveau suffisant, avec ajustement de tous les minima sociaux (chômage, étudiants, handicapés, vieillesse etc.) à ce niveau. Nous voulons vivre, et pas survivre !

 

OCML Voie Prolétarienne, Avril 2017

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