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Le Venezuela au bord de la guerre civile inter-bourgeoise

Article paru dans « Conciencia Revolutionaria » N°49 du mois de mai 2017, revue publiée en Equateur par le mouvement « Vientos del Pueblo » qui regroupe plusieurs organisations populaires sous la direction du Bloque Proletario.

Le Venezuela se trouve au bord de l’effondrement, la confrontation entre les chavistes et l’opposition se règle dans les rues où les affrontements sont toujours plus permanents. Les chiffres diffusés par les médias soutiennent que la semaine dernière il y a eu plus de vingt morts et des centaines de détenus. Les divers gouvernements se sont prononcés en faveur ou contre le régime de Maduro. Dans l’opinion publique internationale, il s’agit d’une lutte supposée entre socialisme et capitalisme, entre dictature et démocratie. Mais cela ne correspond pas à la réalité, car ce qui se passe au fond est une dispute entre fractions bourgeoisies qui font partie de la classe dominante, qui opprime les centaines de milliers de Vénézuéliens, parmi lesquels beaucoup ont dû quitter le pays pour se réfugier dans d’autres, compte tenu des conditions économiques précaires dans lesquelles ils vivaient.

Rappelons qu’en 1992 Hugo Chavez a tenté un coup d’Etat manqué contre le gouvernement de Carlos Andres Perez, que pour cette raison il a été emprisonné deux ans, pour ensuite fonder le Mouvement Cinquième République avec lequel il a triomphé aux élections de 1998. En 1999, il assume la présidence d’un Venezuela en crise par suite des mesures néolibérales de ses prédécesseurs. Il triomphe avec un discours qui revendique la figure de Simon Bolivar et qui promettait de sortir le Venezuela de l’arriération, en mettant en place un régime qui s’autodéfinissait comme socialise, en mettant en place une nouvelle Constitution, et en gouvernant grâce aux larges bénéfices de la production pétrolière combinés à une série de politiques assistantialistes, parmi lesquelles se détachent les Missions Bolivariennes. Chavez a gouverné jusqu’en 2013, où il est décédé des suites du cancer dont il souffrait.

Le socialisme nouveau proposé par Chavez reposait théoriquement sur le Socialisme du XXIème siècle, proposé par Heinz Dietrich, qui n’est rien d’autre qu’une usurpation du vrai socialisme, dépouillé de ses principes fondamentaux pour le transformer en une théorie docile adaptable au système capitaliste, qui nie la lutte des classes, le rôle de l’Etat comme instrument de domination de classe, et les logiques capitalistes et impérialistes qui oppriment les pays semi-coloniaux et surexploitent les travailleurs de la campagne et de la ville.

Dans la pratique, le Socialisme du XXIème siècle a été la stratégie de la classe dominante pour sauver les Etats d’Amérique Latine en crise. Il fallait les rénover et les oxygéner pour qu’ils servent mieux les variantes d’accumulation des puissances impérialistes et des élites locales, et en permettant à son tour l’ascension d’une nouvelle fraction de la classe dominante : la bourgeoisie bureaucratique qui trouve dans la gouvernance corrompue de l’Etat sa principale forme d’enrichissement.

Sous le régime chaviste, le Venezuela a commencé par mettre en place de manière temporaire certaines mesures assistantialistes qui n’ont été que des rustines qui ne résolvaient pas les problèmes de fond des masses populaires. La dépendance pétrolière s’est approfondie, qui maintient ce pays dans une économie primaire-exportatrice, hautement fragile aux variations du marché international. Au fur et à mesure que passaient les années, la crise économique est devenue toujours plus aigüe, les produits se raréfiaient, l’inflation croissait à des niveaux exorbitants, la pauvreté et la misère se répandaient dans tout le pays.

Depuis la mort de Chavez, Nicolas Maduro, qui n’a pu inverser cette situation, a bien assumé la crise qui s’est approfondie à des niveaux insupportables. Avec la disparition du caudillo s’est évanoui également un certain appui populaire sur lequel comptait le régime. Au contraire les contradictions entre les divers groupes qui sont partie prenante du régime, parmi lesquels se détachent les groupes de Diosdado Cabello, actuel président de l’Assemblée Nationale, la famille de Chavez et les groupes liés à Maduro ont augmenté, à l’intérieur du parti et du gouvernement.

Face à la crise sociale, économique et politique, un secteur s’est dressé comme principale opposition au chavisme, la bourgeoisie traditionnelle. Cette oligarchie rance qui a gouverné le Venezuela durant des décennies prétend récupérer les espaces perdus et est passée d’une opposition propagandiste à la lutte ouverte contre le régime actuel, en utilisant le sabotage et la spéculation, jusqu’à la confrontation de rue. Dans l’imaginaire collectif, on cherche à faire rentrer l’idée qu’il existe une opposition de fond entre deux bandes, en provoquant dans la compréhension commune un antagonisme de fantaisie qui n’existe pas dans la vie réelle, car les deux sont des défenseurs à outrance du système capitaliste, leurs différences trouvant leurs racines dans les formes d’accumulation de chaque groupe. D’un côté, c’est la bourgeoisie et l’oligarchie traditionnelle, les élites locales alliées plus particulièrement à l’impérialisme américain, qui s’enrichissent basiquement via la banque, l’entreprise privée et les activités orientées vers l’importation et l’exportation ; de l’autre se trouve une couche de nouveaux riches qui utilisent l’Etat comme levier d’accumulation via la corruption et la gestion mafieuse des contrats, et qui sont spécialement liés à l’impérialisme chinois avec lequel le Venezuela se trouve endetté jusqu’au cou. C’est une dispute inter-bourgeoise, rien d’autre, dans laquelle on prétend traîner le peuple comme chair à canon en se déguisant comme ses représentants.

La confrontation a atteint un tel point que les formes pacifiques – lire les élections – qu’ont les élites pour se disputer le contrôle étatique ont été dépassées. Les contradictions ont atteint un tel degré qu’elles pourraient produire une solution violente, et dans ce cas, l’impérialisme et l’armée se transformeraient en arbitres médiateurs des rapports de force entre les groupes opposés. On a dépassé le point d’équilibre que doit maintenir la démocratie bourgeoise pour les élites qui la dirigent, c’est-à-dire permettre l’accumulation de toutes les fractions bourgeoises, en respectant l’intérêt général de toute la classe dominante. Ils ont atteint un point d’éclosion qui n’est rien d’autre que la manifestation directe de la lutte économique entre eux. Le chavisme a cessé d’assurer les garanties de toute la classe dominante, ses caractéristiques lumpen bourgeoises ont brisé le pacte, et maintenant ils cherchent seulement à voler le plus qu’ils peuvent avant d’être renversés. Au fond, cela marque en outre une lutte entre l’impérialisme chinois et américain dans la région, confrontation encore embryonnaire, mais qui s’accentuera sans doute dans les années à venir.

Au Venezuela, il n’y a pas de confrontation entre socialisme et capitalisme, mais entre fractions bourgeoisies qui défendent le système capitaliste et qui sont liées à diverses puissances comme la Chine et les Etats-Unis. Elles cherchent à utiliser le peuple comme chair à canon pour trancher leurs différences. Cette confrontation ne changera pas le caractère de classe de l’Etat vénézuélien et ne changera pas non plus en profondeur cette société. Il est lamentable que l’on n’aperçoive pas de forces révolutionnaires indépendantes qui pourraient modifier cette situation au profit du peuple, ce qui veut dire que le chavisme a réussi une stratégie efficace quant à l’enrôlement et la réduction au silence de l’opposition populaire.

Le gouvernement Maduro est en train de tomber comme un fruit mûr, et pendant ce temps, ses acolytes pillent sous forme de vol tout ce qu’ils peuvent grâce à leurs positions privilégiées dans l’appareil d’Etat. Si le pouvoir de la bourgeoisie traditionnelle augmente, elle ne tardera pas à montrer son véritable visage. Il ne reste aux Vénézuéliens que l’option de développer un véritable courant révolutionnaire dans leur pays, ce qui sera la seule manière de les sortir du retard auquel les ont menés les nouveaux et les anciens bourgeois.

Traduction : OCML VP

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