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L’Union Européenne, la France et la libre circulation

Les lois sur l’immigration et la fermeture des frontières provoquent des catastrophes, telles que celles qui se produisent régulièrement sur les rives de la Méditerranée. Les migrants meurent par centaines dans la traversée. Face à ces catastrophes, les États européens prétendent vouloir venir en aide aux migrants, en élaborant des programmes de surveillance et de sauvetage [1].

TRITON, FRONTEX... contre les migrants !

Le remplacement de l’opération Mare Nostrum par l’opération Triton est révélatrice de la politique de l’Union Européenne (UE) concernant l’immigration clandestine. Les objectifs de Triton ne sont plus de secourir et de dissuader les passeurs (comme c’était le cas pour Mare Nostrum, mise en place en octobre 2013 suite au naufrage d’une embarcation de 500 migrants à Lampedusa), mais uniquement lutter contre les migrations irrégulières [2]. L’UE se soucie peu du sort des migrants. Elle ne souhaite pas leur venir en aide, car seul compte le contrôle de ses frontières. C’est d’ailleurs dans cette optique que Frontex, l’agence européenne pour la gestion et la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, a été créée en 2004. Frontex ne vise pas à apporter du secours aux migrants, mais à empêcher leur arrivée en collaborant avec les polices des frontières des États membres ainsi qu’avec les autorités des pays voisins afin de pouvoir patrouiller dans les eaux extra-européennes. Frontex organise également des vols de retour pour les migrants et une surveillance technologique des frontières [3].

Ainsi, à chaque nouvelle catastrophe, les États européens se renvoient la balle, l’Italie souhaitant que l’immigration clandestine soit prise en charge de manière égalitaire par tous les pays de l’UE, les autres États envisageant la fermeture de leurs frontières (en suspendant les accords de Schengen) lorsque des migrants arrivent en grand nombre à leurs portes [4]. C’est ce que souhaitait faire la France en 2011 à sa frontière avec l’Italie lorsque des milliers de personnes, fuyant les pays nord-africains, désiraient trouver refuge en France [5]. Elle récidive en juin 2015, bloquant des centaines de migrants à Vintimille, les obligeant à dormir dans des gares ou à l’air libre.

La situation des migrants arrivant à destination n’est pas non plus très enviable : pas de solution de logement proposée, ce qui oblige les migrants à construire des campements de fortune au sein des villes (camps de La Chapelle et d’Austerlitz à Paris…), expulsions régulières de ces camps sans solution viable de logement… Les migrants sont obligés de se déplacer régulièrement, subissant des violences policières lors des expulsions, vivant dans la peur et l’incertitude. Lorsqu’ils s’organisent et qu’un mouvement de solidarité se crée avec eux, comme ce fut le cas avec les migrants du camp de La Chapelle, les solutions proposées par le gouvernement sont des logements en nombre insuffisant [6], répartis dans plusieurs endroits de la capitale, éparpillant ainsi les migrants afin de briser leur regroupement, leur capacité de lutte et leur visibilité publique. Les migrants de La Chapelle se sont retrouvés « dispersés en Île-de-France dans des hôtels sociaux sans repas et dans des structures d’accueil de nuit pour personnes sans domicile fixe (avec remise à la rue le matin), ils se sont retrouvés sans repère, sans argent et sans accompagnement. Une centaine d’entre eux ont estimé qu’en quittant le campement, ils avaient perdu au change (leurs quelques possessions – tente, couverture, etc. – ont été mises à la poubelle) et ont décidé de revenir à Paris, pour retrouver un semblant de solidarité entre compatriotes, quitte à dormir de nouveau à la rue » [7]. Le regroupement et la lutte des migrants et de leurs soutiens a permis de débloquer de nouveaux hébergements, mais cela ne change pas le problème de l’acquisition de papiers.

En effet, les migrants sont hiérarchisés en fonction du titre de séjour auquel ils peuvent prétendre. « Deux solutions sont offertes aux migrants : les personnes voulant demander l’asile reçoivent l’engagement qu’elles seront aidées dans leur démarche (sans garantie d’obtenir le statut), les autres reçoivent la visite de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), qui leur propose de… repartir dans leur pays d’origine avec une « aide au retour ». Autrement dit, une sorte de tri s’opère entre les uns et les autres. Ceux, notamment originaires d’Afrique de l’Ouest, qui savent qu’ils n’ont aucune chance d’obtenir le statut de réfugié mais qui aimeraient rester en France sont dans l’impasse » [8]. Moins de 30% des demandeurs (17% ou 22% selon les calculs) [9] obtiennent l’asile chaque année en France, car pour obtenir cet asile, il faut démontrer que l’on a été victime de violence ou de menace « à titre individuel ». Le durcissement des lois concernant l’immigration vise aujourd’hui à « distinguer les « bons » migrants relevant de la convention de Genève (les demandeurs d’asile) des « migrants économiques irréguliers » à renvoyer dans leur pays d’origine » [10].
Les seules revendications justes par rapport à cette situation sont l’exigence de régularisation de tous les sans-papiers, sans critères ni quotas, la libre circulation des travailleurs et l’égalité des droits.

Liberté de circulation et égalité des droits

Si les frontières se ferment pour les travailleurs, elles ne l’ont jamais été pour les réactionnaires reçus à l’Élysée, pour les bourgeoisies de tous les pays, pour les multinationales, pour les cadres français des entreprises impérialistes désirant aller travailler à l’étranger, pour les capitaux et les marchandises. La liberté ou non de circuler est un choix politique. Nous devons revendiquer la libre circulation pour tous les travailleurs, quels que soient leur pays d’origine et les raisons de leur départ. Dire cela, c’est se battre pour les intérêts du prolétariat, en tant que classe internationale. Face à une bourgeoisie qui est organisée internationalement (instances internationales, accords commerciaux entre pays, production internationalisée…), nous devons affirmer une solidarité internationale.

Cependant, la libre circulation va de pair avec l’égalité complète des droits : « Certains diront […] qu’en revendiquant la liberté de l’immigration, nous laissons les mains libres à l’impérialisme. Évidemment, revendiquer la liberté de l’immigration sans se battre pour l’égalité complète de tous les droits entre les ouvriers français et les ouvriers immigrés serait réclamer la liberté du loup dans une bergerie où les brebis seraient entravées » [11]. En effet, cela ne supprime pas la division entre français/immigrés, immigrés réguliers ou clandestins et les conséquences que ces divisions ont sur les conditions de vie et de travail de tous les prolétaires. « Mais a contrario prétendre lutter pour l’égalité des droits sans lutter pour la liberté de l’immigration est significatif du caractère restrictif que l’on donne à cette égalité » [12]. Cela instaure une inégalité entre les travailleurs ayant le droit de circuler (les ressortissants de l’UE au sein de l’espace Schengen par exemple) et ceux pour qui les frontières se ferment.

Enfin, affirmer la liberté de circulation et l’égalité des droits, c’est en finir avec la répression des migrants, qui se fait toujours plus violente à chaque loi durcissant le droit d’asile et les conditions d’obtention d’un titre de séjour. A ce niveau, la France détient le record européen du nombre de placements en rétention en 2014 : 50 000 personnes, c’est-à-dire cinq fois plus qu’en Espagne, dix fois plus qu’en Allemagne, dix-huit fois plus qu’en Angleterre [13]. Mais la répression ne touche pas que les migrants : rendre clandestine une partie de l’immigration, c’est légitimer une répression qui touche tous les prolétaires : augmentation de la présence policière dans les quartiers populaires, augmentation des contrôles d’identité et des contrôles au faciès, possibles privations de certains droits (droit de réunion, de manifestation…) sous prétexte de sécurité de la nation.

A une époque où les conflits se multiplient dans les pays dominés, où les crises capitalistes, humanitaires ou écologiques vont continuer à faire exploser le nombre de personnes obligées de fuir leur pays pour survivre, il est illusoire de penser se réfugier derrière des frontières, aussi hautes et technologiques soient-elles. Au contraire, il est plus que jamais nécessaire de nous battre auprès de tous les migrants, de lutter contre la répression et de revendiquer une nécessaire liberté de circulation et une égalité de tous les droits. Contre les idées fausses véhiculées sur l’immigration, nous devons faire valoir la solidarité internationale. Et celle-ci existe : soutiens aux migrants de La Chapelle, aides d’une partie de la population aux migrants débarquant à Lampedusa ou dans les îles grecques, soutien aux migrants bloqués à Vintimille ou à Calais…

Nous devons nous appuyer sur ces solidarités, mais sans jouer le jeu de la bourgeoisie, de ses quotas et sa soi-disant incapacité à accueillir tous les migrants. Nous devons faire vivre la perspective d’une société où l’humain n’est pas assujetti au capital, où les migrants ne sont perçus ni comme une « menace » ni comme une main-d’œuvre surexploitée, où personne ne sera contraint de partir du fait de la domination impérialiste. Nous devons construire notre camp, celui d’un prolétariat international. Pour cela, nous devons nous battre contre les discours qui divisent le peuple, qui accentuent la concurrence entre les travailleurs et qui légitiment la répression.

[1Cet article a été écrit en juillet 2015. Il est possible que des éléments de la politique européenne aient été bouleversés suite à la crise autour de l’accueil des migrants.

[3Politis du 24 octobre 2013, pages 8-9.

[4Le Monde du 19 juin 2015, « Schengen : la tentation des frontières ».

[6Le ministre de l’Intérieur a récemment annoncé la création de 10 500 places d’hébergement, pour 60 000 nouvelles demandes de droit d’asile.

[8Idem

[9Le Monde du 18 juin 2015, « Migrants : des hébergements et des renvois ».

[11Journal « Pour le Parti » n° 37, page 3.

[12Idem

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