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Femmes exploitées, femmes opprimées, osons lutter

Il y a un peu plus de 40 ans paraissait la brochure « Femmes exploitées, femmes opprimées, osons lutter » (voir ci-dessous).
Cette brochure a éclairé le chemin des militant.e.s de l’OCML-VP depuis lors, certain.e.s camarades en ayant d’ailleurs été partie prenante. Nous avions depuis longtemps, envie de partager ce texte de 1976, avec l’objectif de l’actualiser, d’en discuter la pertinence aujourd’hui, à une époque où il est de bon ton de déclarer les concepts marxistes obsolètes. 
Nous n’avons bien sûr pas l’ambition de couvrir en quelques lignes tous les sujets soulevés par l’émancipation des femmes, et nous avons des lacunes certaines. Disons, que pierre par pierre, nous continuons le débat…

 

La brochure « Femmes exploitées, opprimées Osons lutter » a été réalisée en octobre 1976 par une organisation aujourd’hui disparue, l’OC GOP (Organisation Communiste Gauche Ouvrière et Populaire). Il s’agissait d’une organisation issue du PSU, qui avait lui-même regroupé pendant la guerre d’Algérie, pendant mai 68 et dans les années qui ont suivi, un courant combatif en rupture à la fois avec le PCF et la SFIO (origine du PS).
On peut considérer que l’OC-GOP était une des tendances du mouvement marxiste-léniniste de l’époque. Se réclamant du maoïsme mais marquée par l’opportunisme vis-à-vis des réformistes et par le spontanéisme, cette organisation était néanmoins implantée dans la classe ouvrière et la paysannerie et a joué un rôle certain dans les conflits de l’époque, en particulier Lip et le Larzac. Elle a disparu, comme les autres, à la fin des années 70 dans le reflux post 1968. Quelques camarades de l’OCML Voie Prolétarienne viennent de ce courant. 
Sur quelques questions importantes (l’analyse de la crise capitaliste, la compréhension de la dictature du prolétariat, la révolution portugaise…), elle a fait avancer une compréhension matérialiste et marxiste du monde, et c’est le cas pour ce qui est du travail politique parmi les femmes. Ayant participé à toutes les évolutions du féminisme depuis le MLAC et le MLF, elle a été moteur dans la construction du réseau « Femmes Travailleuses en Lutte » qui s’est explicitement développé contre le féminisme bourgeois et petit-bourgeois. En particulier, elle a parmi les premiers théorisé la notion marxiste de « double exploitation », dans l’entreprise et à la maison (prise en compte du travail domestique), complétée par l’oppression machiste dans la société capitaliste.
C’est le sens de cette brochure, réalisée sur la fin de l’OC-GOP, et qui est par ailleurs mise en ligne comme transmission de l’expérience du mouvement marxiste-léniniste  : http://ocml-vp.org/article493.html

 

 

Du féminisme aux féminismes… N’abandonnons pas le point de vue de classe !

 

 
Quel est donc l’intérêt aujourd’hui de repartir des acquis politiques et théoriques des années 70 ? 
Le monde a changé, le « féminisme » aussi, il ne s’agit pas d’être nostalgique. Nous voulons nous réapproprier l’histoire des générations militantes avant nous, et réaffirmer ce qui est largement devenu invisible depuis : 
 

 

 
La lutte pour la libération de femmes est une lutte de classe, dont le cœur sont les femmes prolétaires à travers le monde, un point devenu étrangement aveugle dans un certain nombre de débats et d’expressions se disant féministes.
Le mouvement féministe est depuis l’origine (et par définition, du fait de l’oppression des femmes en général) un mouvement « interclassiste ». Il s’est diversifié, internationalisé, ce qui est positif, mais dans le même temps, il s’est aussi spécialisé, morcelé avec des liens plus compliqués à faire entre l’exploitation au travail, l’oppression patriarcale, et l’aliénation, ou entre genre/race/classe comme cela peut aussi s’exprimer. Une lutte de ligne existe entre des conceptions différentes du féminisme (donnant lieu à des féminismes dans des sphères différentes) et elle ne date pas d’aujourd’hui.
Ces différentes conceptions recoupent pour nous des positions de classe. En effet, s’il y a eu une « alliance historique » autour de la question du droit à l’avortement comme revendication unificatrice, dans la foulée du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), dès les années 70, le mouvement était déjà traversé de « courants » politiques. Du MLAC et du Mouvement de libération des femmes (MLF) à Femmes travailleuses en Lutte dans les années 70, de la Marche Mondiale des Femmes à des collectifs populaires comme Femmes en Lutte 93 aujourd’hui, le mouvement est tiraillé entre deux voies : 
- celle du réformisme, dans toutes ses variantes, depuis les grandes figures bourgeoises (à la Elisabeth Badinter) aux revendications de « conciliation » entre la vie privée (comprendre familiale) et professionnelle, d’égalité salariale, d’accès paritaire aux postes à responsabilité dans les entreprises et l’appareil d’État, de l’altermondialisme (Marche mondiale des femmes), de rejet des personnes prostituées ou des femmes voilées au nom de « valeurs » faisant fi des situations concrètes d’exclusion. 
- celle d’une émancipation sociale et collective portant une transformation plus en profondeur de la société, révolutionnaire pour une part, historiquement autour des collectifs de femmes dans les banlieues, et dans les entreprises avec des femmes ouvrières et prolétaires.

 

« Les clivages se creusent alors (ndlr : après 1973) entre celles pour qui la lutte de libération de femmes est intemporelle, pour qui l’oppression est un facteur d’unification suffisant (« toutes les femmes sont sœurs »), pour qui exploitation, restructuration, licenciements ne signifient rien, et celles pour qui la lutte de libération des femmes passe par la défense des intérêts immédiats des femmes de la classe ouvrière et du peuple. »

 

Brochure « Femmes exploitées, femmes opprimées, osons lutter », GOP, 1976

Ces différents courants allaient se structurer et se différencier en féminisme bourgeois, petit-bourgeois et féminisme révolutionnaire, avec des enjeux politiques et idéologiques pour le capital :
- d’affaiblir politiquement la classe ouvrière, déjà collectivement attaquée par les restructurations dès le début des années 80,
- de réduire le féminisme à l’émancipation individuelle pour quelques-unes par l’intégration à la bourgeoisie ou son aspiration à l’intégrer, pour refuser l’émancipation collective de la masse des femmes du peuple.

 

Face à la remontée de courants ultra-réactionnaires ou masculinistes en Europe ou aux États-Unis, s’attaquant à des fondamentaux comme le droit à l’avortement, l’illusion bourgeoise peut se redorer à bon compte. C’est l’image que travaille Macron, du « mec ouvert et progressiste » d’un côté, en intégrant des jeunes femmes à son gouvernement, et dans le même temps, de l’autre côté, qui stigmatise comme aux pires heures du colonialisme la masse des femmes africaines populaires lors de sa dernière visite en Afrique ou de son discours à Hambourg le 8 juillet dernier : « Quand des pays ont encore aujourd’hui sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien [1] ». Macron veut nous faire croire qu’il peut laisser derrière lui, par un effet « magique » de génération, des siècles d’exploitation et d’oppression systémique et de mentalités socialement construites. La réalité lui donne tort, comme en témoigne la libération de la parole autour de #balancetonporc, #metoo, etc.

 

A côté des caricatures du féminisme (grand) bourgeois sur le mode Elisabeth Badinter ou islamophobe de Caroline Fourest, ont émergé des groupes, des penseuses, issues des couches intermédiaires de la petite-bourgeoisie sur des plans divers : féministes radicales, grève à 15h40 (celles qui revendiquent l’arrêt du travail plus tôt, du fait des différences salariales avec les hommes), collectifs afro-féministes…
Elles ont en commun très souvent de ne pas porter politiquement un point de vue de classe, ou plutôt par défaut de porter celui de la petite-bourgeoisie, s’adressant notamment dans l’immigration très peu au concret aux femmes des quartiers populaires, terrain peu investi au profit d’interventions plus médiatiques. Cependant, nous sommes attentifs à ces expressions, à discuter au cas par cas des prises de positions et des actions engagées, de façon polémique mais non sectaire.

 

Si nous refusons de lâcher le point de vue de classe, et de le considérer à égalité avec d’autres questions, ce n’est pas par « dogmatisme » marxiste. 
Nous avons toujours lutté en tant que maoïstes, contre toutes les positions (longtemps influentes) du révisionnisme dans le marxisme de type « faisons la révolution d’abord, l’émancipation des femmes suivra » qui ont fait beaucoup de mal et ont servi à légitimer des attitudes sexistes et racistes dans le militantisme. Des positions qui réduisaient l’exploitation à son sens économique étroit, et faisaient disparaître sous le tapis les aspects idéologiques, qui étaient celles du PCF et dont on trouve encore plus que des traces dans LO aujourd’hui (voir article dans ce numéro).

 

Nous le réaffirmons d’autant plus, qu’avec la crise du capitalisme et l’affaiblissement du mouvement ouvrier à partir du début des années 80, il est plus que jamais nécessaire de mettre les intérêts des femmes prolétaires au centre du débat.
Isolément, les femmes prolétaires n’ont ni l’argent, ni les conditions de rapport de force, de vie et de liberté individuelle qu’ont des femmes même de la petite-bourgeoise urbaine pour se défendre et faire valoir leurs droits. Elles ne peuvent avoir d’espoir que dans une émancipation collective. 
Si on ne part pas des conditions des plus exploitées, on ne peut prétendre à l’émancipation des femmes en général ou dans leur ensemble, on se limite forcément à l’amélioration des femmes hors du prolétariat, ce qui ne fait au final qu’améliorer les conditions d’intégration d’une minorité aux différents étages de la bourgeoisie.

 

C’est notamment un point de rupture politique avec les féministes radicales qui mettent la lutte de sexes comme contradiction principale au-dessus de tout. Nous considérons qu’il est faux de créer une « classe d’hommes » oppresseurs sans distinctions sociales. D’une part, si on peut effectivement dire que tous les hommes profitent d’une position « dominante » vis-à-vis des femmes, tous n’ont pas les mêmes moyens de domination qui sont avant tout déterminés par leur position sociale. D’autre part, cela conduit à des alliances politiques dangereuses avec des femmes bourgeoises avec qui nous n’avons pas les mêmes intérêts et qui peuvent aussi exploiter d’autres femmes en tant que patronnes.  
Cela met en outre l’accent sur un déterminisme de genre ou de sexe, alors que nous mettons l’accent sur les choix politiques et les comportements des individu.e.s, c’est-à-dire le positionnement conscient et le choix du camp prolétaire ou pas.

 

« Pour nous, l’oppression est la domination politique, économique et idéologique d’un groupe social sur un autre, en raison de son sexe, de son âge ou de sa nationalité, domination dont les formes sont principalement réglées par l’appartenance de classe : ainsi tout homme est bien agent de l’oppression sur la femme ; mais, de même que la femme bourgeoise n’est pas opprimée de la même façon que l’ouvrière, l’ouvrier homme n’a pas les mêmes moyens de domination que le capitaliste. L’oppression des femmes est donc liée :
— à la division sexuelle des rôles sociaux liés historiquement au patriarcat ;
— aux conditions matérielles spécifiques de chaque classe.
Il faut établir sans cesse le lien entre ces deux aspects, sous peine de tomber dans une déviation sexiste (le patriarcat est plus important que le mode de production dominant) ou économiste (seule compte la lutte contre l’exploitation de la classe ouvrière indifférenciée. »

 

Brochure « Femmes exploitées, femmes opprimées, osons lutter », GOP, 1976

 

Rappelons que ce clivage est ancien, il est né dans les années 70, parti d’une critique juste de l’économisme dominant. Mais l’intention s’est rapidement muée en une tentative de discréditer le marxisme dans son ensemble, pour recréer une autre théorie, le « french » féminisme, centrée sur le travail domestique, via Christine Delphy par exemple [2].
Au passage, cela a eu pour effet de faire disparaître les acquis de l’expérience militante du passé au profit d’un matériel théorique délivré par le monde universitaire, comme si seuls les intellectuels pouvaient être porteurs de nouveautés et de réflexion. Nous n’oublions pas que le savoir sur notre lutte (au sens historique, au-delà des luttes immédiates) a d’abord été un savoir militant dégagé et construit dans la lutte politique et par le bilan des expériences, et non un savoir produit individuellement par quelques théoriciens universitaires (même si certains travaux documentent la réalité et sont intéressants).
Marx a beau être un intellectuel, il n’est rien sans le mouvement ouvrier.

 

Les femmes, les marxistes et le travail…

 

La première chose à réaffirmer, c’est l’unité de la lutte entre le travail salarié et le travail domestique, parce qu’il y a unité dans la double journée (on n’en a qu’une, de journée, qui n’excède pas 24h) et par l’unité dans l’exploitation, qu’elle soit directe pour le travail salarié et indirecte pour le travail domestique. Sous le mode de production capitaliste, toute l’activité de la société est socialisée, de sorte qu’il n’y a pas deux systèmes d’exploitation ou d’oppression séparés mais interdépendants. D’un côté le capitalisme dans la sphère du salariat et du travail, et de l’autre, le patriarcat qui exercerait sa domination dans la sphère privée.

 

Pour les femmes du peuple, avec ou sans emploi, c’est la surexploitation par définition. Les femmes y sont doublement exploitées, soit directement dans le rapport salarial, soit indirectement par le travail domestique. Si le salaire représente à peine de quoi reproduire sa force de travail (se nourrir, se loger, se déplacer, éduquer ses enfants…), Engels avait bien raison de dire que la femme est le prolétaire de l’homme. Si le capital au début de son expansion tuait tout le monde au travail dans les manufactures, femmes et enfants, l’État bourgeois a par nécessité restauré la « cellule familiale » pour préserver la santé de sa main-d’œuvre, assignant les femmes à cette tâche, sous couvert d’une idéologie de soumission, la femme « pilier » de la famille à l’intérieur de la sphère privée qui est le mastic de la domination entre le plan économique, social et idéologique.
Donc au final, comme depuis des millénaires, les femmes sont des piliers de la société, et si elles ont été « spécialisées » dans des tâches, elles assument l’ensemble de la reproduction sociale (et pas uniquement reproductive) de la société et les besoins sociaux de la collectivité.

 


- Dans le cadre du patriarcat, les tâches domestiques et la charge mentale de l’organisation de la vie familiale incombent encore de manière écrasante aux femmes. Dans les faits c’est la femme qui a en charge l’éducation des enfants. Encore plus s’il s’agit de familles monoparentales.
L’État sous-traite aux femmes la gestion des enfants lorsqu’elles sont sans emploi et qu’elles ne peuvent pas mettre leurs enfants à la crèche.
L’État sous-traite aux femmes la prise en charge de la dépendance des parents âgés dont certaines sont obligées de s’arrêter de travailler, pour des générations de femmes à partir de 50 ou 55 ans. Pour les familles prolétaires, il n’est pas possible de s’appuyer sur les services collectifs privatisés à des coûts prohibitifs par le système des maisons de retraite, véritables pompes à frics aux mains de fonds de pensions internationaux.
Jeunes enfants ou personnes dans l’âge, ce sont autant d’emplois non créés qui devraient appartenir au secteur public, parce que les capitalistes ont trop de main d’œuvre et qu’ils refusent d’en payer d’une part l’éducation, d’autre part, la retraite et la fin de vie…

 


- Dans le cadre du travail domestique salarié, sous-traité et surexploité par la classe capitaliste, ce sont les femmes immigrées qui sont « importées » comme main d’œuvre dans les grandes métropoles impérialistes. Les femmes sont spécialisées dans la division internationale du travail, dans la « domesticité », le travail d’assistance, voire des cas extrêmes de commercialisation du ventre des femmes avec le développement (en Inde par exemple) d’un marché de la gestation pour autrui (GPA). 
- Dans les quartiers populaires, les femmes « gèrent » aussi toutes les conséquences sociales des violences et du harcèlement policier, contre la violence sociale qui découle de la misère capitaliste, elles luttent, elles servent « d’amortisseurs » aux contradictions d’une société de plus en plus violente et clivée, ce sont elles qui gèrent les conflits et tentent de limiter la casse de ghettos abandonnés au chômage, à la drogue et aux mafias.

 

Il ne nous semble pas possible de dissocier par des revendications séparées, d’un côté l’égalité salariale par exemple, de l’autre la revendication pour une rémunération du travail domestique (quel que soit son nom, salaire maternel, contre le travail ménager…). C’est pourquoi nous ne pouvons extraire la lutte pour l’émancipation des femmes d’une transformation profonde du travail, qui pourrait se résumer au mot d’ordre : travaillons toutes, moins et autrement !

 

Alors, au-delà du changement de société pour lequel nous combattons, quelles priorités donner et quelles revendications porter ?

 


- Lutter pour l’égalité salariale ? Bien sûr. Mais cela va bien au-delà de l’égalité des salaires, il faudrait parler en général d’égalité face à l’emploi, quand les femmes prolétaires subissent le temps partiel, le sous-emploi et l’hyper flexibilité des horaires, le cumul des petits boulots, le travail le dimanche de façon régulière, le travail de nuit. Avec la crise, les femmes prolétaires sont de plus en plus exclues du droit à l’emploi et se retrouvent renvoyées aux foyers où elles doivent trouver des solutions avec des aides sociales insuffisantes. Si on veut vraiment en faire une revendication inclusive, qui porte l’unité du mouvement, il faut prendre en compte en priorité les conditions de travail ou de non-travail des femmes prolétaires. Se cantonner à la revendication du salaire égal, c’est s’adresser essentiellement aux femmes de la petite-bourgeoisie salariée déjà en fait intégrées d’une certaine manière à la division sociale du travail existante.

 


- Se battre pour un salaire féminin, maternel, ménager ou d’autres variantes ? C’est un mot d’ordre qui date des années 70, et qui retrouve une nouvelle jeunesse, portée par des prétendues féministes modernes. Puisque le travail domestique est un travail productif (exploité indirectement) pourquoi ne pas revendiquer un salaire ? De plus, l’idée d’un salaire maternel a trouvé un appui nouveau avec le développement du revenu minimum, nivelé à la baisse avec les minimas sociaux, ou sur la base d’un élargissement du congé parental, très majoritairement utilisé par des femmes, et qui les fait se retirer pendant un temps du marché du travail.
Nous sommes contre cette revendication pour de nombreuses raisons.
Dans l’hypothèse même où cela reconnaît le caractère socialement utile et économique du travail domestique, elle maintient les femmes dans l’isolement du foyer domestique, hors de tout cadre collectif de lutte et sans ennemi identifié.C’est une proposition portée à de nombreuses reprises par les courants réactionnaires, avec une idéologie de soumission des femmes, de refus de leur indépendance et de leur maintien dans un salaire qui ne sera jamais qu’une activité d’appoint dépendante d’un homme.
Et surtout, elle repose sur le principe fondamental de l’affectation des tâches domestiques aux femmes, et du rejet de la bataille pour le partage des tâches domestiques à égalité entre hommes et femmes. C’est entériner une division sexiste du travail mise en place depuis des millénaires, mais entretenue et développée par le capitalisme dans le champ de la reproduction de la force de travail.
Il est plus qu’étonnant de voir la reprise aujourd’hui de cette vieille lanterne déjà dénoncée par les collectifs « Femmes en lutte  » dans les années 70, par certains courants féministes qui s’intègrent de fait dans le réformisme « du possible » à l’intérieur du cadre capitaliste. C’est en plus, aujourd’hui, une revendication anachronique et de fait réactionnaire dans la crise du capitalisme, alors que l’État bourgeois abandonne des pans entiers des besoins sociaux en coupant dans les dépenses sociales et en rognant sur les pensions, la santé, etc.

 

Aussi, ce que nous revendiquons, c’est :
- L’égalité des droits : droit à l’emploi, le droit à un revenu pour toutes au minimum égal au SMIC à temps plein.
- La socialisation des tâches domestiques : combat pour les crèches, les cantines, pour les maisons de retraites EPHAD, commencé avec les aides à domicile pour les seniors. 
- Travailler toutes, moins et autrement !
- Partage des tâches domestiques, enjeu dès aujourd’hui du combat féministe, en particulier dans les secteurs populaires.
- Défense du Planning familial mis à mal par tous les gouvernements successifs, défense du droit à la contraception et à l’avortement, des infirmières scolaires et des moyens pour les hôpitaux publics.
- Contre les agressions sexistes, auto-organisation, dénonciation, tolérance zéro !

 

Nous insistons sur la question du travail, car elle est centrale dans la lutte anticapitaliste, c’est l’exploitation qui détermine largement les conditions de vie. C’est pourquoi nous maintenons cette priorité politique. Nous ne concevons pas l’exploitation comme s’arrêtant à la porte de l’entreprise ou à la débauche en fin de journée. L’exploitation n’est pas séparée de l’oppression et de l’aliénation, elles se reproduisent l’une l’autre.
Le premier ennemi des femmes aujourd’hui c’est la galère capitaliste, la misère sociale qui bouffe la vie. La première condition pour y échapper c’est de construire des luttes égalitaires qui s’appuient sur les luttes des femmes, précaires, dans le nettoyage, les quartiers populaires, la santé… C’est développer des pratiques militantes collectives de gestion des enfants pour libérer le temps pour les activités politiques par exemple, d’éduquer les hommes au partage des tâches sans concession ni compromis, afin de permettre aux femmes de s’emparer de la lutte pour l’émancipation.


Nous reproduisons ci-dessous, un encadré fameux (à l’époque) sur la démonstration de l’exploitation indirecte des femmes via le travail domestique, la double exploitation lorsqu’elles travaillent en entreprise [issu de la brochure de l’OC-GOP]. C’est un calcul marxiste, comme Marx en faisait dans Le Capital, ou dans « Travail salarié ou capital », non pas pour donner des valeurs exactes (impossibles à connaître en fait), mais pour démontrer les mécanismes de l’exploitation capitaliste, élargie à la sphère domestique de la reproduction de la force de travail. Encore aujourd’hui, c’est vraiment une pierre de touche pour se démarquer à la fois du courant économiste comme du courant bourgeois et petit-bourgeois.

 

ET SI NOUS CALCULIONS...

 

Pour aider à comprendre le mécanisme de l’exploitation indirecte du travail domestique, nous donnons ici un exemple numérique, forcément schématique. Pour faire vivre un ménage d’ouvriers, avec 1 ou 2 enfants, il faut exercer chaque jour 8 heures de travail domestique (cf. encadré 3) : il s’exerce sur des objets de travail (aliments crus, tissus, meubles, etc.) avec des moyens de travail (ustensiles, balais, etc.). La consommation de ces denrées, l’usure de ces ustensiles équivalent environ à 4 heures de travail social dans le cadre de la production capitaliste (on comprendra plus loin pourquoi on donne ces chiffres). Au total, donc, le travail pour entretenir un ménage représente 12 heures : 4 heures de production capitaliste (objets et moyens de travail achetés) + 8 heures de travail domestique. Disons pour simplifier que cela représente 6 heures dont « profite » la femme et 6 heures pour l’homme : 6 heures de travail social nécessaires pour reproduire le travailleur (reproduire sa force de travail présente, et la force de travail future oui le remplacera : son enfant).

 

1. L’EXPLOITATION INDIRECTE

 

L’homme travaille chez un capitaliste 8 heures par jour, il ne touche comme salaire que l’équivalent des marchandises nécessaires à la reproduction de sa force de travail (femme et enfants compris), c’est-à-dire de ce que sa femme doit acheter sur le marché pour le ménage. On sait que le salaire pour une journée de 8 heures ne représente la valeur que de 4 heures de travail : c’est le taux d’exploitation moyen. Le salaire représente donc 4 heures de travail social.

 

 

La plus-value extraite par le capital est donc de 4 heures par jour. Pour obtenir ces 4 heures, le capitaliste doit avancer un capital variable (= salaire) de 4 heures. On calcule ainsi le taux de plus-value directe du capitaliste :

 

 

Qu’en est-il pour l’homme et pour la femme ? Chacun a fourni 8 heures de travail mais n’a reçu de travail social (d’eux-mêmes et de la société) que 6 heures. Le reste de leur travail a profité à d’autres (les capitalistes). De leur point de vue, par rapport au travail fourni, leur taux d’exploitation est :

 

 

Tous deux sont également exploités par rapport au travail fourni, mais l’homme est directement exploité par son patron, et la femme l’est indirectement, en reproduisant gratuitement la force de travail. L’hypothèse suivante prouve qu’il s’agit bien d’une exploitation indirecte par le capital.

 

2. S’IL N’Y AVAIT PLUS D’EXPLOITATION INDIRECTE

 

Imaginons que les femmes n’effectuent plus aucune tâche domestique, que tout le travail domestique devienne marchand, capitaliste. Imaginons que l’homme vive, seul ou avec un enfant, dans une pension de famille où tous les services que lui rendait sa femme sont maintenant payés. Ces services seraient plus rationnalisés, mais des salaires s’y ajouteraient aussi le travail social nécessaire à la reproduction de la force de travail (travailleur + son enfant) demeurerait à peu près le même : 6 heures. Si tous les prolétaires sont dans le même cas, les capitalistes devront bien payer l’équivalent de ces 6 heures (nous ne sommes plus en 1830...). Dans une journée de travail de 8 heures, la plus-value tomberait à 2 heures. Le taux de plus-value pour le capitaliste baisserait donc :

 

 

La différence c’est que maintenant les femmes de ménage, les cuisinières, etc., sont payées.

 

3. LA DOUBLE EXPLOITATION

 

Quand les femmes prolétaires sont rappelées massivement dans la production, nous ne nous trouvons pas pour autant dans l’hypothèse précédente : elles demeurent obligées d’assurer les tâches domestiques, mais cela suppose une certaine socialisation de ces tâches : elles utilisent des conserves, des surgelés, elles ont recours aux crèches et cantines, elles jettent au lieu de raccommoder. Les 12 heures de travail social nécessaires à la reproduction du ménage se décomposent alors ainsi : 7 heures de production capitaliste, 5 heures de travail domestique. Par ailleurs, la femme dans la production est surexploitée et elle reçoit un salaire inférieur à celui de son mari : c’est un salaire d’appoint destiné à compenser le manque dans sa production domestique (ou à peine plus...). Donc puisqu’il faut que ce ménage achète sur le marché l’équivalent de 7 heures de travail social et que le mari en perçoit 4 par son salaire, elle n’en recevra que 3. On a le schéma suivant :

 

 

Le taux de plus-value du capital augmente (il profite de la surexploitation des femmes dans l’exploitation directe) :

 

 

Le taux d’exploitation du point de vue de l’homme est inchangé :

 

 

Mais le taux d’exploitation pour la femme augmente considérablement :

 

[2Féministe « radicale » réformiste. Elle a théorisé une soi-disant « Lutte de classes de sexe » notamment autour de son ouvrage « L’ennemi principal ».

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