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بالشّعب وللشّعب « Par le Peuple et pour le Peuple »

Depuis le mois de février, prenant au mot la devise de leur « République  » - « par le peuple, pour le peuple  » - les Algériens et les Algériennes des classes populaires comme de la petite-bourgeoisie, de toutes les régions, de culture arabe ou berbère, avec les femmes et la jeunesse à l’avant-garde, disent leur volonté de mettre fin au « système  » qui les spolie, et de se réapproprier le pouvoir sur leurs vies et sur leur pays. Ils rejettent un pouvoir sénile, dont l’ossature est l’Armée qui a confisqué une indépendance chèrement acquise par leurs parents ou leurs grands-parents. Une armée qui a fait de sa participation à la lutte de libération nationale, un gage de légitimité patriotique, alors même que la caste des généraux, et les bourgeois qui se sont développés en association avec elle, ne craignent pas de mettre leur richesse à l’abri à l’étranger, richesse bâtie sur le détournement à leur profit de la rente pétrolière. Grâce à ce pétrole, le régime algérien est pleinement intégré et soumis aux règles du système impérialiste, malgré ses discours nationalistes qui ne servent qu’à tenter de leurrer le peuple algérien. D’ailleurs, lorsque les grandes manifestations ont commencé, Macron et les autres dirigeants impérialistes se sont surtout inquiétés du risque de « déstabilisation » du régime. Pour les impérialistes, la défense de la démocratie s’inscrit dans la sauvegarde de leurs intérêts.

L’enthousiasme du peuple algérien, la force et la dynamique de son soulèvement, marquent un tournant dans son histoire depuis l’Indépendance. Ce n’est plus un pouvoir usurpateur de la légitimité populaire qui parle au nom du peuple, mais lui-même. Certes l’Algérie avait connu de nombreuses révoltes, au début des années 1980 et 2000, mais régionales, et de nombreux conflits locaux. Le pouvoir avait neutralisé les premières et leur possible extension par la répression, quelques concessions, et surtout par l’activation des contradictions ou des méfiances réciproques entre arabophones et berbérophones. Pour les seconds, la rente pétrolière avait permis d’acheter la paix sociale, alors que le traumatisme des années 1990 pesait lourdement. Le gouvernement Bouteflika avait soldé les crimes de cette période par une amnistie et en s’appuyant sur les courants islamistes. La construction de la Grande Mosquée d’Alger, la troisième par la taille, après celles de Médine et de Mecque, devait permettre de gagner l’appui plus large des musulmans, mais vainement car ils en paient le prix par le sacrifice des budgets de la santé et de l’éducation.

Le peuple algérien, dans sa diversité, se dresse contre le pouvoir, avec ses ambiguïtés, ses intérêts sociaux parfois contradictoires, et ses perspectives immédiates incertaines. Mais cette incertitude ne doit pas effacer la portée politique de ce soulèvement. à propos du soulèvement irlandais de 1917, Lénine condamnait déjà ceux qui attendaient d’une révolution naissante qu’elle soit un affrontement entre ceux disant « nous sommes pour le socialisme » et le camp bien délimité du pouvoir. Pour lui, cette « pureté révolutionnaire » revenait à « répudier la révolution sociale ».

L’avenir de la révolte du peuple algérien n’est pas tracé sur le long terme. Cependant, elle brise les liens idéologiques et politiques qui assuraient la stabilité du pouvoir et ouvre de nouveaux avenirs possibles. Elle ne trace pas à coup sûr la voie d’une révolution sociale, mais elle en ouvre la possibilité. Le peuple n’est pas dupe de la nature et de la force de son adversaire, et sa maturité politique s’affermit de jour en jour. C’est dans ce sens que doivent être regardés le caractère pacifique revendiqué des mobilisations et la volonté collective d’éviter tout affrontement prématuré.

Le soulèvement du peuple algérien nous concerne au premier chef. Le prolétariat de France est pour une part notable lié par des attaches fortes à l’Algérie, parce que beaucoup d’entre-nous sont immigrés ou enfant et petits enfants d’immigrés originaires de ce pays. L’impérialisme français s’est, pour une bonne, part, construit sur l’exploitation de l’Algérie et des Algériens. De plus, dans les années 50 et 60, la guerre de libération nationale algérienne a imposé un positionnement opposant ceux qui restaient attachés à l’internationalisme, à l’anticolonialisme, non en parole, mais dans les actes, et des organisations comme le PCF qui ont alors refusé de faire du soutien à l’indépendance leur mot d’ordre central (ne parlons pas des socialistes, organisateurs de la répression coloniale). Les internationalistes ont été à contre-courant d’une majorité de travailleurs marqués par des décennies de propagande colonialiste et de mépris raciste des dominés. Mépris que perpétuent la bourgeoisie française et la réaction pour diviser les exploités.

Le peuple algérien a obtenu une première victoire. En empêchant la réélection de Bouteflika, il a forcé le régime à changer ses plans. Mais paradoxalement, les généraux ont aujourd’hui ouvertement pris le pouvoir. Les militaires font croire qu’ils obéissent aux aspirations populaires, alors qu’en réalité ils veulent juste profiter de la révolte des masses pour éliminer des factions bourgeoises concurrentes, comme cela s’est passé en Egypte après la chute de Moubarak.

En Algérie comme ailleurs, la seule perspective positive pour les masses populaires, c’est le développement de leur auto-organisation, dans les entreprises, dans les facultés et les lycées, dans les quartiers, afin de commencer leur longue marche vers la prise du pouvoir des mains de la bourgeoisie bureaucratique, militariste et affairiste qui les enchaîne. Cette auto-organisation s’oppose à la « transition » pilotée par les généraux, qui se sont débarrassés de Bouteflika pour mieux perpétuer leur mainmise. De son côté, l’opposition bourgeoise et petite-bourgeoise, réformiste ou libérale, revendique une « Assemblée constituante », mais un changement de constitution ne changera fondamentalement rien à la situation des classes populaires, comme on a pu le voir en Tunisie, et ce seront globalement les mêmes qui resteront aux commandes.

Le soulèvement populaire algérien est un encouragement pour tous les exploités, pour tous les révolutionnaires. Si l’issue en est encore incertaine, le mouvement progressera nécessairement dans sa conscience, non par le ressassement des « leçons » sur ses illusions, mais par sa confrontation au pouvoir, à ses manœuvres. Nul doute que dans cette lutte, les premières batailles seront des revers, mais le peuple s’aguerrira, et les organisations qui en son sein en portent les aspirations les plus avancées, en sortiront renforcées, et consolideront en conscience et organisation les aspirations profondes du peuple.

Solidarité avec la lutte du peuple algérien !
À bas l’impérialisme !
Vive l’union internationale des exploité-e-s !

OCML Voie Prolétarienne, le 13 avril 2019

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