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Ne pas mourir idiot-passifs et radioactifs

Un tract de mai 1986, après la catastrophe de Tchernobyl

Nous republions un tract, diffusé peu de temps après la catastrophe de Tchernobyl dont nous célébrons aujourd’hui le triste 34ème anniversaire, alors que les incendies de forêt autour de la centrale nous envoient à nouveau un deuxième panache de fumées radioactives.

Ce tract du 24 mai 1986 est toujours largement d’actualité, et vient compléter la publication, toujours à l’époque, d’une brochure "La société électronucléaire en crise", également disponible en ligne sur ce site.

Le tract original d’époque scanné


Malgré le silence officiel, on apprend chaque jour des détails sur les conséquences tragiques que la catastrophe nucléaire de Tchernobyl a provoqué ou failli provoquer. Si les 2000 morts annoncés par la presse américaine au début ont été gonflés, que savons-nous réellement des victimes en URSS et des conséquences à long terme pour l’Europe entière contaminée.

Du coup, des révélations récentes nous ont appris bon nombre d’accidents survenus ces dernières années aux USA, en Angleterre et en France, à La Hague, à Bugey... On a beau nous dissimuler beaucoup de vérités, on sait maintenant un peu plus sur quel volcan on est assis.

UNE EVOLUTION SOUS LE SIGNE DU PROFIT

Tous les pays qui ont des centrales nucléaires jouent les apprenti-sorciers.
Il est clair qu’en cas de gros pépin (improbable nous disait-on !), le pire peut arriver, sur des centaines de kilomètres, pendant des dizaines d’années... Qui pourrait arrêter les nuages radioactifs, la pollution profonde des eaux ? Avec les conséquences que les Japonais d’Hiroshima endurent depuis la guerre : lésions, malformations, cancers, avortements...

Et le problème des déchets radioactifs, actifs pendant des milliers d’années, qu’on entasse dans un coin ou qu’on jette au fond des mers pour faire semblant d’en être débarrassés ? Pourquoi ces folies suicidaires ? A quoi correspond le choix du nucléaire ?

En France, l’exploitation de l’énergie nucléaire a commencé en 1945 quand De Gaulle a créé le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) dans le but de doter la France de la bombe atomique. C’est pour produire du plutonium militaire que le CEA a construit les premières centrales nucléaires à Marcoule et qu’il déve¬loppe aujourd’hui les surgénérateurs (Marcoule, Creys-Malville).

C’est pour mieux vendre les techniques nucléaires mises au point que le CEA a dissuadé tous les gouvernements successifs de signer le traité de non-proli¬fération des armes atomiques. Ce monopole d’état à vocation militaire, on le retrouve dans la réalisation de toutes les installations nécessaires au nucléaire civil. Et ce n’est pas un hasard si André Giraud, aujourd’hui ministre de la défense, a exercé auparavant les fonctions d’administrateur du CEA puis de ministre de l’industrie.

Nucléaire civil et militaire sont intimement liés pour la meilleure santé de l’impérialisme français.

Le nucléaire civil, lui, a connu un essor frénétique suite au choc pétrolier de 1973. A cette époque le choix du "tout électrique, tout nucléaire" pris pas l’état visait à restaurer la puissance électrique du capitalisme français. Il permettait notamment de :
• faire fructifier une part plus grande des capitaux nationaux dans le secteur de l’énergie en y réduisant la part du charbon et du pétrole plus dominés par les capitaux étrangers.
• limiter la dépendance vis-à-vis des pays producteurs de pétrole de l’OPEP et bénéficier de sources d’approvisionnement (en uranium) plus sures.
• offrir en ce début de crise la garantie de profits plus satisfaisants aux grands groupes industriels (Empain-Schneider, CGE-Alsthom, Péchiney-Ugine-Kuhlman) : économie sur les frais de recherche-développement (déjà réalisés par l’état), sur les frais commerciaux (commandes d’EDF garanties), concurrence très limitée dans l’hexagone, amortissement des investissements facilité par la quantité et la taille des commandes.
• faire jouer aux centrales exploitées par EDF le rôle de vitrine pour les acheteurs étrangers et développer l’exportation.

Plus qu’aucun autre pays, la France s’est donc lancée à corps perdu dans les centrales nucléaires. La baisse de la consommation d’électricité, la baisse du pétrole, la faiblesse des exportations ont rendu plus difficiles les profits juteux escomptés.

LE NUCLEAIRE, SOURCE D’OPPRESSION ACCRUE

Technique développée pour le profit de la bourgeoisie, le nucléaire a durci tous les rapports dans la société : l’asservissement des hommes au machinisme, le pouvoir des experts, spécialistes, dirigeants contre les autres couches sociales, le renforcement de l’Etat, la domination des grandes puissances sur les autres pays. Cela tient aux particularités techniques et économiques de l’énergie nucléaire, notamment au gigantisme requis par tous les équipements nucléaires pour rentabiliser cette source d’énergie vis-à-vis des autres.

La puissance des centrales nucléaires a ainsi du passer de 1 ou 2 unités de 500 MW à 6 unités de 950 MW comme à Gravelines. Le problème d’écouler une telle puissance en limitant les pertes à 10% amène à un gâchis de dépenses qui remplit bien les poches des capitalistes de l’électromécanique. Cette concentration de la production électrique sert et renforce la concentration de la production et des travailleurs dans des agglomérations démentielles au milieu de campagnes désertifiées.
• la réalisation d’un programme aussi gigantesque a poussé à la concentration des entreprises, des capitaux, des connaissances et des pouvoirs, l’Etat dirigeant tout le processus.
• les délais de mise en service, de l’ordre de 8 ans après la commande, ont empêché l’adaptation du programme nucléaire à la baisse de consommation d’énergie.
• les centrales nucléaires doivent être utilisées en permanence, malgré une consommation électrique qui varie de 1 à 3 selon les saisons et les heures. EDF sous-emploie d’autres centrales, plus rentables. EDF pousse à la consommation d’électricité et nous fait payer lourdement les tarifs préférentiels conçus pour attirer des gros consommateurs industriels ou étrangers.
• l’alimentation des centrales en combustible à partir de quelques centres d’enrichissement du minerai, les usines de retraitement rares aussi (La Hague seule en Europe), tout cela fait parcourir des millions de kilomètres à des millions de tonnes de produits radioactifs. En plus des dangers propres à chaque centrale...
• la sauvegarde des gisements d’uranium pour la France (au Gabon et Niger) nécessite la soumission de toute l’Afrique centrale à l’ordre impérialiste.

On comprend donc que l’Etat et les trusts électronucléaires assimilent toute contestation du nucléaire à de la subversion, à de terrorisme. Le nucléaire n’est accessible qu’à une poignée de spécialistes. Par contre les flics sont légions pour protéger les installations, ficher et surveiller les opposants. Le nucléaire renforce le terrorisme d’état.

Ainsi au lieu d’être au service de l’homme, avec des risques qu’il maîtrise, le nucléaire constitue un développement d’ensemble opposé à nous. Le coût social global est inconnu, mais tout le développement énergétique est fondé sur le nucléaire. Il y a plus ou moins de protection, mais nulle part le danger est écarté. Au contraire, il grossit avec la taille des centrales, leur prolifération et l’accumulation des déchets radioactifs...

ET EN URSS ?

Développé en URSS de la même façon qu’en France, le nucléaire est un révélateur supplémentaire de la nature capitaliste de ce pays :
gigantisme des installations, sécurité calculée au plus juste, proximité des villes, lien étroit au militaire, spécialistes et dirigeants qui étouffent les informations, enjeu impérialiste représenté par la vente de 68 centrales pour ce second exportateur mondial après les USA.
Tout manifeste des rapports d’exploitation des masses identiques à ceux développés par la bourgeoisie française.

LA SOCIETE SECRETE

La première campagne des médias (relayée par Montand et compagnie) pour criti¬quer le silence criminel de l’URSS tombe vraiment à côté. Le capitalisme occidental n’est guère plus démocratique que celui de l’Est, Rappelons-nous :
• l’EDF a tout fait pour étouffer le débat national autour du programme nucléaire
• les luttes qui dénonçaient les dangers du nucléaire ont été sévèrement réprimées s Chooz, Malville, Plogoff, La Hague
• les essais nucléaires à Mururoa dont on dissimule les conséquences. Greenpeace attaqué à la mine pour le faire taire
• la catastrophe de Seveso en Italie (émission de dioxine mortelle) étouffée. Transports des fûts de dioxine en France dissimulé, de même que le transport du fluor radioactif vers l’URSS (navire Mont-Louis chaviré en Belgique)
• les accidents nucléaires soigneusement tus comme le feu dans un silo à La Hague en 81 (de même qu’en URSS ont été cachés deux précédents accidents nucléaires importants)
• enfin la pollution radioactive de l’atmosphère cachée pendant 15 jours en France, les responsables ayant multiplié les fausses déclarations, au mépris total des risques encourus.

Bravo l’information dans le pays le plus nucléarisé du monde. Sur ces questions essentielles, là où sont les vrais choix de société, le mensonge, la collaboration dominent chez tous les partis bourgeois :

Tous défendent le nucléaire civil et militaire, avec ce qu’il entraine de domination impérialiste en France et dans les pays dominés. Tous d’accord dans les faits pour sauver le capitalisme français en difficulté. Car aujourd’hui, défendre le nucléaire, c’est être clairement POUR l’impérialisme français.

Le PS, malgré ses promesses, a accepté la logique nucléaire. Défense du capitalisme oblige !

Le PCF, toujours haut levée la force du capitalisme français contre ses concurrents, a toujours soutenu le nucléaire et caché ses conséquences. Au nom de la défense de l’emploi ou de l’indépendance de la France, il a défendu le "Tout électrique, tout nucléaire" des capitalistes français.

Voilà ce qu’est leur démocratie. Nous maintenir inconscients et soumis, au service du profit.

Comment expliquer qu’en France la chape de plomb du silence ait été si forte ?
• le nucléaire représente déjà les deux tiers de l’énergie produite. C’était reconnaitre l’ampleur de la menace et la folie de ses défenseurs
• le nucléaire civil obéit aux mêmes règles du secret que le nucléaire militaire
• le groupe de pression agro-alimentaire qui est intervenu pour faire valoir son intérêt à maintenir ses débouchés
• enfin le retard accumulé par la prise de conscience anti-nucléaire en France et la faiblesse du mouvement ouvrier sur cette question.

Bon nombre d’antinucléaires se sont ralliés au « réalisme » capitaliste, estimant que l’intérêt du nucléaire pour l’économie nationale était plus important que ses désastreuses conséquences sociales Mais si on ne veut pas que la logique du profit nous entraîne dans la tombe, que peut-on faire ?

NON AU NUCLEAIRE

Il est clair que la lutte est notre seul recours. Le problème n’est pas de chipoter sur un peu plus de sécurité par-ci, par-là. La technologie nucléaire, avec les risques non résolus et les conséquences sociales qu’elle entraîne aujourd’hui EST A REJETER. Nous sommes anti-nucléaires.

Mais l’enjeu est de taille pour l’impérialisme français. Le nucléaire modèle tellement la société, de la consommation individuelle aux plus hautes sphères de l’Etat, qu’il faut renverser cet Etat pour changer vraiment d’orientation. Avec la police, l’armée, le CEA, l’EDF comme appareils à affronter et à bouleverser.

La violence de la répression en France ou en Allemagne montre qu’l faut en passer par la violence révolutionnaire des masses. Alors nous pourrons développer une énergie abondante et peu coûteuse, avec des moyens favorables à la lutte contre la séparation intellectuel-manuel, ville-campagne, Etat-administrés, pays développés – pays dominés.

Etre anti-nucléaire, c’est être anticapitaliste. L’essentiel des mouvements anti-nucléaires français ont véhiculé d’énormes illusions sur la possibilité de développer autrement l’énergie sans bouleverser la société capitaliste. Illusions envers le PS en particulier en 1980-1981. Autant en emporte le vent de la crise. Tirons-en les leçons et attaquons l’impérialisme français dans tous les aspects de sa politique énergétique. Mobilisons-nous sur :

ARRET TOTAL DU PROGRAMME NUCLEAIRE
ARRET PROGRESSIS DES INSTALLATIONS ACTUELLES, ARRET IMMEDIAT DES SURGENERATEURS
ARRET DES ESSAIS NUCLEAIRES, DEMANTELEMENT DE LA FORCE DE FRAPPE
DIVERSIFICATION DES ENERGIES (SOLAIRE, GEOTHERMIE, HYDRAULIQUE, BIOMASSE…)
ARRET DES EXPORTATIONS DE CENTRALES, RETRAIT DE LA CENTRALE DE KOEBERG EN AFRIQUE DU SUD
ABANDON DES INTERETS FRANÇAIS AUX PAYS PRODUCTEURS
AMELIORATION DE LA SECURITE DES INSTALLATIONS ET DE LA PROTECTION DES TRAVAILLEURS
EDUCATION AUX TECHNIQUES NUCLEAIRES ET A LA PREVENTION
INFORMATION TRANSPARENTE, REGULIERE ET INDEPENDANTE SUR LA RADIO-ACTIVITE.
BLOQUONS LA CIRCULATION DES MATIERES RADIO-ACTIVES

Pour un complément d’information, lisez la brochure de la cellule Alsthom de Voie Prolétarienne :
« La société électronucléaire en crise » http://ocml-vp.org/article1912.html

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