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Fermer les frontières : une illusion !

L’accueil de plusieurs milliers de réfugiés et la politique de quotas par pays d’accueil ne doivent pas faire illusion. Ils démontrent, certes, que la fermeture totale des frontières est impossible. Mais la politique officielle reste l’immigration choisie, sur la base de cette fermeture, la plus étanche possible. A contre- courant, nous revendiquons à l’OCML VP la libre circulation et l’égalité des droits pour tous les travailleurs (immigrés ou non, avec ou sans-papiers...). Cette revendication de liberté de circuler est primordiale notamment dans le combat pour des papiers pour tous. Pour cela, il est important de montrer pourquoi la fermeture des frontières est une illusion et de voir quelles idées fausses sur l’immigration se cachent derrière cette revendication. Il faut en effet être en capacité de contrer ces idées et de montrer que la libre circulation n’est pas l’utopie d’un humanisme naïf mais une revendication de classe, inscrite dans un combat émancipateur et révolutionnaire.

VOULOIR FERMER LES FRONTIÈRES, C’EST NIER LES CAUSES DE L’IMMIGRATION [1]

L’évolution du nombre de personnes déplacées pour cause de persécution, conflit ou violence généralisée explose depuis quelques années :
★ En 2014, on comptait 59,5 millions de personnes déplacées dans le monde, dont 20 millions de réfugiés. Il s’agit du nombre le plus élevé de personnes ayant fui depuis que le HCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) a commencé ses enregistrements et ses statistiques.
★ En 2013, il y avait 51,2 millions de personnes déplacées dans le monde. Sur ces 51,2 millions, plus de I0 millions ont dû se déplacer en 2013, dont 2,5 millions hors de leurs frontières. 1,2 million de migrants ont demandé l’asile dans le monde en 2013.
★ Il y a une décennie, on comptait 37,5 millions de personnes déplacées.

Cela signifie qu’aujourd’hui, à travers le monde, une personne sur 122 est un réfugié, un demandeur d’asile ou un déplacé interne (c’est-à-dire déplacé à l’intérieur même de son pays).
En 2014, chaque jour, 42 500 personnes en moyenne sont devenues réfugiés, demandeurs d’asile ou déplacés internes. C’est quatre fois plus qu’en 2010. L’augmentation depuis 2013 est la plus importante jamais enregistrée par le HCR en une année.

Les causes de ces départs ? Les guerres, les catastrophes humanitaires, l’instabilité politique, la misère. En 2013, par exemple, la guerre en Syrie a fait exploser le seuil en provoquant 2 millions de réfugiés. Dans cette même année, les principaux pays d’origine des migrants étaient l’Afghanistan (instabilité politique, intervention impérialiste en 2001, résistance des talibans), la Syrie (guerre civile en 201 I) et la Somalie (guerre civile depuis 1991, sécheresse et famine). A ceux-là s’ajoutent les réfugiés de la guerre en Irak et en Libye, les déçus des printemps arabes et plus récemment les Soudanais et les Erythréens (qui fuient les combats, la violence et la famine) [2].

Les pays impérialistes jouent un rôle dans ces conflits en intervenant militairement dans ces pays, en instaurant à leur tête des régimes dictatoriaux ou en y maintenant une instabilité politique afin d’y préserver leurs intérêts, en y imposant leur mode de production capitaliste qui déstructure les sociétés traditionnelles et cause crises et famines... Peut-on s’étonner après que cette misère créée en Afrique et aux Proche et Moyen Orients rejaillisse au sein des métropoles impérialistes ? Si ces millions de nouveaux migrants tentent de venir en Europe au péril de leur vie, ce n’est pas par choix mais par un impératif de survie. Réclamer la fermeture des frontières, c’est se voiler la face concernant la situation politique mondiale, c’est ne pas voir la responsabilité de notre État dans la situation des pays de départ de ces migrants, c’est ne pas voir que tant que l’impérialisme existera, le nombre de personnes déplacées continuera à exploser.

Aucune frontière, aucun mur ne peut être une solution viable au problème. Car le problème, ce n’est pas l’immigration, c’est l’impérialisme !

IMMIGRATION : CONTRER LES IDÉES FAUSSES

De nombreuses idées reçues sont véhiculées sur l’immigration et la capacité de la France à accueillir les migrants. Ce discours n’est pas l’apanage des racistes et des réactionnaires. Il peut se retrouver, de manière plus ou moins atténuée, dans le mouvement de soutien aux migrants et dans les organisations de gauche ou d’extrême gauche, ainsi que chez les personnes immigrées ou issues de l’immigration. Il est nécessaire de contrer ces conceptions erronées.

LES IMMIGRÉS REFUSERAIENT DE S’INTÉGRER À LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE :
C’est ce qui est régulièrement reproché aux immigrés, notamment maghrébins. Il y a 100 ans, les mêmes préjugés couraient sur les immigrés italiens [3].
Chaque nouvelle vague d’immigration s’accompagne de son lot de préjugés (les « plombiers polonais » ou les Roumains qui seraient des voleurs en sont d’autres exemples). Tous ces préjugés racistes et xénophobes sont renforcés aujourd’hui par la peur des attentats islamistes et l’amalgame entre arabe, musulman et islamiste. Ils ne font que diviser les prolétaires entre eux et désignent un bouc émissaire pour détourner la colère des travailleurs, pour masquer le réel responsable des crises économiques et sociales : le capitalisme.

L’IMMIGRATION CRÉERAIT DU CHÔMAGE :
Les suppressions d’emplois, les licenciements, les fermetures de sites, ne sont pas dues à l’immigration. Ce ne sont pas les sans-papiers qui ferment les usines.
« La crise et la guerre économique entre capitalistes, qui poussent à la recherche incessante de gains de productivité, en sont les causes. Les restructurations qui ont supprimé beaucoup de postes peu qualifiés ont particulièrement frappé les ouvriers immigrés qui sont plus touchés par le chômage que les autres travailleurs » [4].
Cet extrait de notre brochure « Contrer les idées fausses sur l’immigration » est toujours d’actualité. Les immigrés ne sont pas responsables du chômage, ils en sont même les premières victimes. En mettant en avant la préférence nationale, certains pensent diminuer le risque de chômage pour l’ouvrier français. Mais cette mesure « ne soustraira pas l’ouvrier français à cette menace. Si le chômage augmente, ce n’est pas parce qu’il y aurait trop de travailleurs, c’est que le capitalisme est en crise. [...] La nécessité de restaurer les taux de profits, de faire face à la concurrence, conduit à la fermeture d’usines, à la réorganisation d’autres, à la liquidation de branches, à l’introduction accélérée de nouvelles techniques, à des attaques en règle contre les conditions de travail des ouvriers » [5].

L’IMMIGRATION AUGMENTERAIT LA CONCURRENCE ENTRE LES TRAVAILLEURS :
Certes la bourgeoisie se sert de toute nouvelle main- d’œuvre pour faire pression sur les conditions de vie et de travail des prolétaires, surtout si ces nouveaux arrivants n’ont aucun droit. Cependant, la fermeture des frontières « n’entrave en rien la concurrence entre ouvriers qui s’exerce au gré des déplacements de capitaux et de marchandises. Les chômeurs des pays du tiers-monde ou d’autres pays capitalistes (ceux à qui l’on refuse par exemple l’entrée en France) font [aussi] pression sur les conditions de travail et de salaire des ouvriers de France [...]. Si les frontières se ferment aux hommes, elles ne sont imperméables ni pour les capitaux ni pour les marchandises » [6]. Ainsi, les immigrés ne sont pas responsables de la concurrence, pas plus que les travailleurs des autres pays. Ce sont les capitalistes qui créent cette concurrence et l’entretiennent afin d’augmenter leurs taux de profit.

LA FRANCE NE POURRAIT PAS ACCUEILLIR « TOUTE LA MISÈRE DU MONDE » :
En 2013, les trois principaux pays d’accueil de réfugiés étaient le Pakistan (1,6 million), l’Iran (857 400) et le Liban (856 500) [7]. Suivent la Jordanie, la Turquie, le Kenya, le Tchad et l’Éthiopie. La France (232 500 réfugiés) ne se place qu’en 11ème position, derrière l’Irak. Ainsi, les pays supportant le plus la misère créée par l’impérialisme sont les pays dominés par lui, limitrophes des zones de violence et/ ou de crise humanitaire. Cela sans compter les déplacés internes qui n’ont pas les moyens de fuir leur pays ni d’entreprendre un périlleux trajet jusqu’en Europe (ce qui concernait 38 millions de personnes en 2014) [8]. La France est donc loin d’être la principale terre d’accueil des migrants. De plus, dire que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, c’est nier le rôle de l’impérialisme français dans le monde ou se ranger derrière lui. Pourquoi la France ne pourrait-elle pas accueillir toute la misère qu’elle crée ?

RÉPRIMER L’IMMIGRATION CLANDESTINE POUR FAVORISER L’IMMIGRATION LÉGALE :
« La bourgeoisie et ses gouvernements successifs ont toujours affiché d’une part la volonté d’intégrer les immigrés en règle, et d’autre part de combattre l’immigration illégale. Aussi, l’idée est bien ancrée parmi les travailleurs, y compris parmi les travailleurs immigrés, que c’est là une bonne politique. Ce serait une bonne politique parce que les clandestins constitueraient une menace pour l’intégration réussie des autres. [...] Pourtant, ce qui déstabilise les travailleurs immigrés en règle, ou établis ici depuis longtemps, ce n’est pas l’immigration clandestine, qui a de tous temps existé et qui n’a aucune raison de s’arrêter, [...] c’est qu’ils sont devenus dans cette société en crise les boucs émissaires désignés par la bourgeoisie » [9].

Toutes ces idées fausses sur l’immigration servent la bourgeoisie. Elles divisent les prolétaires entre eux, justifient la répression des migrants et les lois racistes imposant des quotas. Mais la bourgeoisie, qui présente dans ses médias l’immigration comme un problème et la fermeture des frontières comme une solution envisageable et réaliste, désire-t-elle vraiment une fermeture totale des frontières ?

LA BOURGEOISIE ET LA FERMETURE DES FRONTIÈRES

On entend souvent dire que l’immigration serait un poids pour l’économie. En réalité, les immigrés reçoivent de l’État français environ 48 milliards d’euros et lui rapportent environ 60 milliards [10]. Et la bourgeoisie ne trouve pas son intérêt que dans l’immigration légale !
Les sans-papiers, n’ayant aucun droit et vivant en permanence dans la peur des expulsions, sont contraints d’accepter des travaux non déclarés, sous-payés, dans des conditions qui échappent au droit du travail. Certains secteurs de l’économie concentrent particulièrement cette main-d’œuvre surexploitée : « Le bâtiment (dans des entreprises sous-traitantes sur des grands chantiers ou en rénovation), [...] la restauration (en cuisine), [...] la confection (chez les façonniers sous- traitants), [...] l’agriculture, (comme saisonniers), [...] les services aux particuliers (services domestiques, garde d’enfants, coiffure) » [11]. Ainsi, « 90 % des autoroutes ont été et sont construites et entretenues avec de la main-d’œuvre étrangère. Sans immigrés, les prix à la consommation (produits agricoles et autres) seraient bien plus élevés, la main-d’œuvre étrangère étant bien moins payée » [12]. Les travailleurs sans-papiers sont nécessaires à la bourgeoisie pour la compétitivité de certaines branches, comme le BTP. Par conséquent, « tant que la bourgeoisie[...] n’aura pas imposé une flexibilité totale du salaire et du temps de travail, elle aura besoin de ce volant de travailleurs extrêmement flexibles, incapables de faire valoir leurs droits, parce que soumis à la menace constante de l’expulsion. La fermeture des frontières et la répression qui l’accompagne ne visent pas à empêcher toute immigration, et en particulier clandestine, mais à maintenir les travailleurs clandestins dans l’impossibilité de faire valoir, face à leurs exploiteurs, leurs droits de travailleurs » [13].

Ainsi, face à l’immigration, la bourgeoisie se place sur deux plans. Un plan économique, en créant une main-d’œuvre surexploitée qui lui assure plus de profits et accentue la concurrence entre les travailleurs en faisant pression sur les conditions de travail de tous les prolétaires. Un plan idéologique, en divisant les prolétaires (français/immigrés, avec ou sans papiers, avec ou sans travail...), en véhiculant un discours raciste et xénophobe sur une immigration présentée comme un problème, et en instaurant des lois sur l’immigration qui, sous prétexte d’une illusoire fermeture des frontières, servent ses intérêts de classe.
Nous devons nous positionner, en tant que communistes révolutionnaires, contre la fermeture des frontières et contre les lois racistes et anti-immigrés. Nous devons nous battre contre les idées fausses qui légitiment cette politique et nous devons mettre en avant l’internationalisme : l’ouvrier, le prolétaire, qu’il vienne de France, du Soudan, d’Érythrée ou de Syrie, fait partie de la même classe et a les mêmes intérêts : abattre le capitalisme et l’impérialisme !

[1Les chiffres présentés proviennent d’un article du Monde daté du 20 août 2014, ainsi que d’un article du site du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) : http://www.unhcr.fr/5584526bc.html

[3Voir la brochure de l’OCML VP « Contrer les idées fausses sur l’immigration », Janvier 1997, page 18

[4Idem, page 6

[5Journal « Pour le Parti » n°37, mai 1981, page 2

[6Journal « Pour le Parti » n°37, mai 1981, page 3

[7« Planète réfugiés », Le Monde, 20 août 2014

[9Voir la brochure de l’OCML VP « Contrer les idées fausses sur l’immigration », Janvier 1997, page 26

[13Voir la brochure de l’OCML VP « Contrer les idées fausses sur l’immigration », Janvier 1997, page 28

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