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MINGUETTES : les grandes manoeuvres

Pour Le Parti N°61 - Août 1983

Dans notre dernier numéro, nous parlions de la grève de la faim, menée par les jeunes du quartier Monmousseau. Nous parlions aussi de la démolition menée tambour battant d’une tour de ce même quartier.
Début juin, toute la France a pu voir, sur ses écrans de télévision, s’écrouler la tour n°6 du quartier Monmousseau, présentée comme le symbole du mal de vivre dans les ZUP. Mitterrand est venu sur le terrain... Les Minguettes étaient clairement désignées comme le terrain d’essai de la politique de la gauche en matière de "réhabilitation".
TF1 a parlé de "nettoyage par le vide" en enchaînant sur la délinquance des jeunes de Monmousseau. La vérité était lâchée. Car derrière les discours ronflants sur l’espoir d’une vie meilleure dans les ZUP, se cache bel et bien une autre politique beaucoup moins alléchante.
Pour nous, il est clair que la rénovation mise en œuvre par la gauche avec le concours des sociétés H.L.M., de la Préfecture, des Conseils régionaux, généraux, etc. n’est pas tant une affaire d’espaces verts qu’une affaire de rééquilibrage sociologique.

QUEL REEQUILIBRAGE SOCIOLOGIQUE ?

Il s’agit d’évacuer des familles à problèmes, d’expulser les familles dites lourdes, familles immigrées en tête, pour peupler les ZUP de familles françaises à revenus moyens, sans trop d’enfants, de catégories sociales diverses : des étudiants, des commerçants, des ouvriers de la couche supérieure.
Déclaration de Houël, Maire PC de Vénissieux à la télévision :
"Nous voulons une population de toute origine, des célibataires, des ménages sans enfants, mais pas d’immigrés car nous en avons eu notre comptant, pensez donc, nous avons 41 nationalités différentes !

COMMENT REALISER LE REEQUILIBRAGE SOCIOLOGIQUE ?

Raser des tours ne suffit pas. Il faut encore isoler les familles qu’on veut expulser, les désigner aux yeux de la population comme l’ennemi public numéro 1 et, pour pousser des gens à partir, il faut semer l’insécurité, leur rendre la vie impossible.

Depuis des mois, mais surtout depuis mars, les épisodes d’une telle politique se multiplient aux Minguettes.
Le mois de juin n’a pas fait exception. Quelques dates :
• 4 Juin : des policiers interviennent violemment à la Cafétéria Casino. Ils lâchent leurs chiens contre 4 jeunes qui sont sévèrement mordus et interpellent Kamel pour sa soi-disant participation aux évènements de mars.
• 9 Juin : démolition de la tour n°6 avec, lors de cette opération, un groupe de jeunes qui occupent une tour à proximité immédiate de la 6 pour dénoncer les provocations policières du 4 Juin.
• 20 Juin : point culminant de l’escalade. Toumi Djaidja, Président de l’association SOS Minguettes, créée aux lendemains de la grève de la faim, est grièvement blessé d’une balle de magnum 357, tirée par un maître-chien qui avait encore lancé son chien contre un gamin de la ZUP.

La position des Marxistes Léninistes de Voie Prolétarienne sur tous ces évènements est claire :

La démolition des tours et les violences policières dont sont victimes les jeunes immigrés des Minguettes ne sont pas deux phénomènes séparés.
Ce sont les deux faces d’une même politique qui vise à chasser les plus touchés par la crise, familles immigrées en tête, pour les remplacer par d’autres couches sociales, familles françaises à revenus moyens, commerçants, étudiants etc.

Les tentatives de dialogue avec la population, comme la commission gouvernementale envoyée sur le terrain après la tentative de meurtre de Toumi, enfin la visite du Président lui-même, apparaissent dans ce contexte pour ce qu’elles sont en réalité : de la fumée destinée à masquer la violence quotidienne faite aux jeunes et à la population immigrée des Minguettes. Pour ceux qui douteraient de la justesse de notre position, est-il besoin de rappeler l’exacte similitude des versions policières des évènements des Minguettes et des versions de la mairie PCF de Vénissieux. Au lendemain du 24 Juin, et alors que Toumi était entre la vie et la mort, Houël déclarait au Progrès : (à peu près]
"Il y a 65 familles lourdes qui déséquilibrent dangereusement la population par un % trop élevé d’immigrés, qui empêchent la ZUP de tourner rond".

Cela ne ressemble-t-il pas comme de gouttes d’eau à la déclaration du syndicat de police SNAPC [Syndicat National Autonome des Policiers en Civil) :
"Il est absolument intolérable que 300 individus fassent la loi dans une cité de plus de 30 000 habitants"

LES EVENEMENTS DES MINGUETTES REVETENT UNE IMPORTANCE NATIONALE

Ils éclairent sans ambiguïté la politique qu’entend mener le gouvernement de gauche à la fois contre la population ouvrière la plus déshéritée et contre la population immigrée des ZUP. L’assassinat de Toufik (10 ans) à la Courneuve est l’occasion pour la mairie PCF de l’endroit, de ressortir des plans de restructuration du quartier, approuvés par le ministre Quillot, qui passent par la démolition de 1500 logements sur 4000.
Partout, on met en avant les phénomènes de délinquance dans les grands ensembles avec, comme solution, des plans de réhabilitation. Et partout ces plans de réhabilitation comportent des destructions de logements, des transformations de F5 ou F6 en F2 ou F3, des études sur l’accession à la propriété pour ceux qui resteraient.

A notre avis, le gouvernement de gauche n’entend pourtant nullement améliorer les conditions de vie de la population ouvrière en France, car s’il y a de mauvaises conditions de vie, il s’agit d’abord pour nous :
-  du chômages
-  des bas salaires ;
-  des familles immigrées entassées à plusieurs générations dans des appartements trop petits pendant qu’on prévoit de détruire des F5 ou F6 qu’on commence par leur refuser ;
-  du racisme ;
-  de l’insécurité à cause de la police, des groupes d’autodéfense, et du climat de haine sociale qui encourage tout individu à tirer sur des enfants et des étrangers.

Les mauvaises conditions d’habitat sont une réalité contre laquelle il faut aussi lutter. Mais nous tenons à préciser que cette réalité est plus vaste que le problème des ZUP (que penser des vieux quartiers et du 3ème arrondissement de Lyon envahi par les rats ?).

C’est de la "fumisterie” que de vouloir faire croire que c’est en modifiant l’espace et la disparition des immeubles en espaces verts que l’on réglera les problèmes vitaux de la classe ouvrière, le chômage, les salaires, la forme du travail, et tout ce qui s’ensuit, comme la délinquance.

Or, qu’entend faire la gauche pour venir à bout de tous ces maux ?
Entend-elle mobiliser la population ouvrière la plus pauvre des ZUP pour mener la lutte contre ?
Nullement, elle entend disperser cette population. Et si elle mobilise aujourd’hui c’est autour d’une propagande qui divise les ouvriers, qui désigne les plus pauvres et les immigrés comme fauteurs de troubles qui appelle à la répression.

La gauche avance partout la fausse solution de la répartition.

Or, vouloir répartir les plus pauvres et les immigrés, c’est vouloir répartir la misère, ce n’est pas s’y attaquer. Ce n’est pas s’attaquer au chômage, aux bas salaires, au racisme, aux causes profondes de la délinquance, même pas améliorer les conditions d’habitat des ouvriers puisqu’on chasse les pauvres dans l’inconnu. Quant aux autres couches d’ouvriers qu’on accepte, on leur proposera de s’endetter pour acheter des appartements dont les charges d’entretien leur reviendront ensuite entièrement.
Preuve que la répartition ne règle rien pour les ouvriers, Ahmed (15 ans) abattu fin juillet à Grenoble dans un quartier rénové du centre-ville, quartier qui voulait être un exemple de rénovation répartition.

La gauche veut la répartition parce qu’elle refuse la lutte pour supprimer le capitalisme.
A nous de nous battre pour faire en sorte que ce soit cette grande lutte-là qui soit prise en main par la classe ouvrière !
Correspondante VP

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