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"Land and Freedom" : à voir et à discuter

Partisan N°104 - Novembre 1995

Enfin un film militant ! Beaucoup de camarades de VP ont vu ce film et pour la plupart l’ont trouvé « dynamisant », propre à donner « la pêche ». J’attendais moi-même, avec impatience, ce film qui rappelant l’expérience, les débats et la lutte du peuple espagnol anciens de 60 ans me paraissait néanmoins tout à fait d’actualité.

D’actualité, car propre à stimuler le regain militant que nous percevons face à la dégradation générale de la vie des travailleurs. D’actualité enfin parce que le problème central de la lutte révolutionnaire en Espagne - le rapport entre la lutte anti-fasciste et les tâches socialistes - se pose encore à de nombreux révolutionnaires.

J’avais beaucoup d’attentes et j’en fus déçu. Je n’ai pas pu applaudir à l’arrêt du film comme d’autres spectateurs, car je n’y ai retrouvé ni l’élan et la force des masses espagnoles, ni la richesse des contradictions et des débats qui agitaient l’Espagne républicaine. Film militant, il est difficile de le juger sans apprécier les positions qu’il développe. C’est à dire en militant.

Sa force émotive repose sur la chaleur fraternelle et militante de la milice dans laquelle il nous introduit. Il nous fait partager l’enthousiasme, les passions et les haines de militants révolutionnaires sincères. Il nous ne pousse donc pas à prendre du recul politique, mais à adhérer à leur point de vue.

Tout le contenu politique du film est construit sur l’opposition entre « Battre le fascisme en défendant d’abord la république, la révolution venant après » et « faire la révolution pour battre le fascisme ». Si la première proposition est clairement opportuniste, la seconde n’en est pas pour autant juste. Et tout le problème de la révolution espagnole est là.

Le moment le plus intense du film reste le débat au sein de la communauté villageoise sur le partage ou la collectivisation des terres. S’il démasque les partisans du compromis avec la bourgeoisie internationale et laisse la victoire aux partisans de la collectivisation, il ne règle pas la question du contenu de l’alliance entre les ouvriers et les paysans sur la question de la terre. Pourtant en Catalogne où prédominaient le métayage et la petite propriété, le volontarisme révolutionnaire éloigna les paysans de la révolution.

La virulence anti-stalinienne du film, finit par jeter le bébé avec l’eau du bain et à obscurcir les enjeux et la réalité contradictoire du mouvement populaire en Espagne. La CNT-FAI n’existe qu’en toile de fond alors que ce fut la force ouvrière principale à laquelle le POUM incapable de définir une politique indépendante, se raccrocha toujours.

L’affrontement entre le POUM et le PCE est privilégié sur la lutte antifasciste. Le PCE apparaît comme l’ennemi intérieur du camp républicain, et le danger immédiat (sinon principal). Le milicien qui rejoint l’armée populaire est un traître et les brigades internationales les instruments d’une politique contre révolutionnaire. Il suffit de quelques exemples pour régler ces questions. Bianca fait appel à l’expérience immédiate de David pour caractériser les camps. Les militants du PCE sont caricaturaux à souhait. Pour illustrer son propos Ken Loach n’hésite pas à transposer un fait survenu sur le front entre miliciens et fascistes, à Barcelone en mai 37 entre militants du PCE et Anarchistes : l’invective sur la faim qui se termine par l’envoi d’un « saucisson » (une grenade) sur les anarchistes [1].

Il faut donc voir ce film. Mais pour en saisir l’actualité brûlante, pour que l’expérience espagnole nous éclaire sur la façon dont on peut s’appuyer sur la lutte anti-fasciste pour préparer la victoire de la révolution socialiste, il faut prendre du recul. L’enthousiasme, la sincérité sont indispensables à la révolution, mais ils ne remplacent pas une claire vision des tâches dans chaque situation politique, sans laquelle la lutte produit des martyrs, non la révolution.
GF

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