Vous êtes dans la rubrique > Archives > Des centaines de milliers de manifestants à Bejaia le 3 janvier, un tournant (...)
Des centaines de milliers de manifestants à Bejaia le 3 janvier, un tournant pour la lutte ?
Partisan N°164 - Février 2002
L’année 2002 a commencé par une grève générale et une puissante manifestation à Bejaia, puisque jeudi 3 janvier, plusieurs centaines de milliers de manifestants défilaient dans la ville (de 100.000 à 500.000). Pendant le même week-end (jeudi et vendredi en Algérie), se tenait dans la même ville un colloque de la coordination des Arches et se concluaient à Alger les travaux entre les partisans du dialogue et le gouvernement.
Un mouvement toujours dynamique
Les travaux engagés, le 6 décembre, par le gouvernement avec "les dialoguistes" ont débouché ce week-end de janvier sur quatre rapports de synthèse. Mais les représentants du gouvernement ont refusé de les signer En particulier celui demandant le retrait de la gendarmerie de la Kabylie.
Alors que le dialogue tourne court, le nombre des manifestants est le signe de la vitalité de la mobilisation, ce qui ne signifie pas que le mouvement ne soit pas confronté à des perspectives difficiles. Comme le notait Mohand Larabi, syndicaliste enseignant, "la vitesse de pourrissement est supérieure à celle de nos efforts de reconstruction". En effet, le gouvernement algérien joue le pourrissement. Il s’appuie sur la dégradation de la situation sociale en Kabylie, où la délinquance augmente. Les commerçants se plaignent d’une agitation qui nuit à leur activité. Fin octobre, un comité de mères de famille à Bejaia dénonçait "la prise en otage des enfants par les grèves du secteur scolaire".
De fait, les divisions apparaissent dans le mouvement Mais le comité populaire de Bejaia leur donne un contenu politique et social qui dépasse le qualificatif de "traîtres" utilisé jusqu’alors pour dénoncer les "dialoguistes". Pour ce comité, les divisions sont "la conséquence des divergences sur la nature de mouvement (démocratique et sociale) et son mode d’organisation". La voie ouverte pour un approfondissement politique de contenu du mouvement. Toutefois, cette affirmation est encore contradictoire avec la volonté d’aller vers un mouvement plus large et consensuel que par le passé récent.
Des propositions nouvelles
Les travaux de la conférence nationale de Bejaia, à laquelle ne participaient pas toutes les Wilayas (en particulier celle de Tizi Ouzou était absente), a débouché sur trois séries de propositions.
La première concerne l’unification entre les différents comités sur deux points : la libération inconditionnelle des manifestants arrêtés lors des manifestations du 6 décembre en particulier, et la dénonciation des simulacres de négociation avec le pouvoir. Cette unité est encore conjoncturelle, car elle laisse de côté les divergences de fond sur le contenu du mouvement.
La deuxième proposition, plus importante, est la proposition de l’organisation d’une conférence nationale à Alger en vue d’élaborer une « plateforme qui prendra en considération les doléances populaires, de l’Est comme de l’Ouest, [elle] sera élaborée pour servir de document de référence aux doléances du peuple algérien en entier ». Les délégués de cette réunion ont décidé d’élargir le mouvement « à toutes les forces sociales et œuvrer à l’émergence d’un mouvement populaire national seul capable de venir à bout de ce système, d’abolir la hogra, d’imposer l’émancipation politique, sociale, culturelle et de rendre au peuple sa dignité et sa souveraineté ».
Si la plate-forme d’El Kseur, dans son orientation générale, peut répondre aux besoins du peuple algérien dans son ensemble, son appropriation au-delà de la Kabylie ne peut pas être spontanée. La révolte sociale est endémique en Algérie. Ces derniers mois, dans l’Est algérien, les émeutes et manifestations ont été quotidiennes. Malgré ces révoltes "citoyennes", il n’y a pas fusion entre les mouvements de Kabylie et les mouvements des régions de l’Est, très majoritairement arabophones. La proposition faite par le comité de Bejaia contribuerait à sortir le mouvement kabyle de son isolement politique.
La troisième proposition est de donner au mouvement une direction collégiale nationale « redevable devant l’assemblée générale, renouvelable entre deux conférences et révocable à tout moment » pour « soustraire la dynamique à la lourdeur de l’horizontalité et éviter le recours excessif à la base ».
L’organisation horizontale et formellement démocratique, construite sur le refus de l’imposition de leaderships, n’est effectivement pas adaptée à la satisfaction de revendications politiques qui suppose la mise en place d’une toute autre forme d’organisation.
Vers un mouvement de tout le peuple algérien
Les perspectives proposées constituent un pas en avant. Mais elles vont certainement accentuer les débats politiques au sein des comités, et susciter l’hostilité de ceux qui entendent s’en tenir à des revendications culturelles ou régionales.
Si comme le formulait le comité de Bejaia dans un document en juillet, le but du mouvement est "d’abattre la dictature", cela suppose la mise en place d’une toute autre forme d’organisation que des coordinations de comités, le rejet de l’apolitisme, et de la logique de consensus.
Ces débats ne feront que conforter la nécessité d’une organisation porteuse d’un projet politique et social, répondant aux besoins de tout le peuple algérien. Cela est d’autant plus nécessaire que la force du pouvoir réside, entre autres, dans l’absence d’alternative politique, même réformiste. Les luttes actuelles du peuple algérien soulignent la nécessité d’une organisation révolutionnaire capable de transformer la révolte en lutte révolutionnaire de tout le peuple algérien.
Vive la solidarité des travailleurs français et algériens !
Vive les luttes du peuple algérien pour ses droits démocratiques et nationaux !
