Approfondir > Livre : "En finir avec les nationalismes" de Tom Thomas

Livre : "En finir avec les nationalismes" de Tom Thomas
Partisan Magazine N°22 - Décembre 2023
En finir avec les nationalismes
Tom Thomas, Ed. Critiques 2023, 176 pages, 16,00 €
« On constate aujourd’hui aisément l’expansion envahissante, dans le monde entier, de puissantes tendances nationalistes », affirme la première phrase du livre. Tom Thomas s’empare donc du sujet, le creuse de la manière qu’on lui connaît, systématiquement. Il rappelle (ch. 1) que le concept et la réalité de la nation sont « apparus récemment », liés à ceux de peuple et d’État, et d’abord au développement du capitalisme. Il rappelle ensuite (ch. 2 et 3) comment la question a été traitée par Marx et Engels puis par Lénine. Mais nous ne sommes plus au XIXe ou au XXe siècle et à l’époque coloniale. Dans les chapitres suivants (5 et 6), « La mondialisation contemporaine » et « Les nationalismes contemporains », on est au cœur du sujet : que reste-t-il de légitime dans les aspirations à une indépendance nationale aujourd’hui ?
Le titre semble donner une réponse simple : « En finir avec les nationalismes ». On entend : TOUS les nationalismes. La 4e de couverture explicite : « Face aux catastrophes économiques et écologiques en cours, tout nationalisme, qu’il vienne des élites ou du peuple, demeurera une impasse et interdira toute voie vers le socialisme ». Au cours du texte une phrase confirme (p. 65) : « Il n’y a plus de luttes nationalistes positives aujourd’hui, au XXIe siècle » ; même si la Palestine est citée régulièrement comme une exception qui confirme la règle.
Cependant, l’affirmation sera relativisée dans la suite du texte (ainsi p. 157-158) : « Pour autant, il ne faut pas considérer les nationalismes « d’en bas » comme un bloc auquel il faudrait s’opposer globalement et frontalement. Car s’ils se font nombreux avec la crise, c’est qu’ils expriment une opposition de ceux qui en sont les principales victimes... Leur nationalisme… est aussi une révolte contre l’état de choses existant ». Il faut distinguer, dans les pays dominés, entre le nationalisme de la bourgeoisie locale, qui « consiste à pouvoir négocier librement la meilleure place possible dans les chaînes de valorisation mondialisées », et celui des travailleurs, qui accusent leur bourgeoisie d’être un relais des impérialismes dominants.
Cette distinction ne s’applique pas à l’Ukraine, dont la problématique affleure à plusieurs reprises comme une toile de fond. Sa lutte nationale est, pour Tom Thomas, condamnable pour deux raisons. Dans l’histoire du mouvement communiste, le soutien aux luttes nationales n’a jamais été inconditionnel. Certaines conditions « restent toujours d’actualité, notamment aujourd’hui à propos de l’Ukraine : premièrement que ces luttes nationales ne se mettent pas sous la coupe d’un impérialisme ; deuxièmement qu’elles n’entraînent pas une guerre mondiale dont les peuples et les prolétaires du monde entier seraient les victimes » (p. 140).
Ainsi l’Ukraine serait entièrement sous la coupe des USA, de l’OTAN et de l’Union Européenne. Zelenski et le pouvoir en place le sont, sans aucun doute. Mais un se divise en deux. Quid de l’opposition politique et syndicale, jusque dans l’armée, au pouvoir ukrainien ? Voyez dans les Partisan n° 20 et 21 ! Et que penser de la résistance du peuple palestinien, de la lutte du peuple kurde et de bien d’autres… Cette opposition n’a aucune chance ? Mais les Communards avaient-ils une chance ?
Deuxième condition : que la lutte nationale n’entraîne pas une guerre mondiale. Ce serait alors Cette contrainte ne peut pas non plus être un feu vert pour toutes les initiatives impérialistes les plus guerrières !
Soyons concrets et réalistes, certes. Mais ne soyons pas non plus comme ces « critico-utopiques » stigmatisés par Marx dans le Manifeste (III,3) : « Les inventeurs de ces systèmes [critico-utopiques] constatent certes l’antagonisme des classes, ainsi que l’efficacité des éléments dissolvants que recèle la société dominante elle-même. Mais s’agissant du prolétariat, ils n’aperçoivent pas dans l’histoire aucune activité autonome, aucun mouvement politique qui lui appartienne en propre ». Ils restent spectateurs.
Vous voyez bien que Tom Thomas est passionnant. On le savait, mais là, il se trompe. Ne ratez pas son dernier livre sur les nationalismes. Et dites-nous ce que vous en pensez, et ce que vous pensez de nos réserves critiques.