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"Fabriquons français" vs "Fabriquons chinois" ?

Un article publié sur le blog Ouvalacgt, animé par les militants de l’OCML-VP

Le débat autour de la question du Front National se polarise, pour ce est de notre syndicat en tous les cas, sur la préférence nationale. La déclaration de Thibault, les motivations de la fédération pour l’exclusion du syndicat de Nilvange en font le coeur des "valeurs" non partagées avec l’extrême-droite.

Nous partageons que c’est bien là une des démarcations du syndicalisme de classe avec toutes les variantes (soft ou hard !) de syndicalisme de collaboration et d’accompagnement.

Mais nous disons, nous affirmons qu’on ne peut pas en rester à des déclarations humanistes, à se délimiter juste avec l’extrême-droite ce qui est positif mais un peu insuffisant. Nous disons qu’il faut aller au coeur de ce qu’est le syndicalisme de classe.

Là encore, il y a deux manières de le faire : en rester aux généralités, comme le font les CSR, ou le Front Syndical de Classe, en réaffirmant (ce qui est juste au demeurant) que seul le syndicalisme de classe est une réponse au FN. Mais dans la mesure où on ne rentre pas dans le contenu de la démarcation et du programme, ça ne mange pas de pain et d’une certaine manière cela revient à noyer le poisson !

Car il faut rentrer dans le concret. Il faut éplucher à fond ce qu’est la préférence nationale, la démarcation avec le nationalisme et le chauvinisme, le patriotisme économique ou social. Et on tombe sur un sujet assez brûlant, la préférence nationale en matière économique, à savoir le "Fabriquons français !".

Nous avions promis un article, le voilà. Un peu long et détaillé, mais il faut bien cela, et vu les polémiques qu’il ne manquera pas de susciter, on sera sûrement amené à y revenir (version imprimable sur le blog).

1. L’internationalisation de la production

La défense du "Fabriquons français" se présente comme la réponse évidente pour contrer les suppressions d’emploi, en particulier face aux délocalisations. "Vous préférez que l’on fabrique chinois !" nous rétorque un lecteur indigné !

Il faut revenir sur la réalité du caractère purement national des productions.

- Premier exemple : l’iPhone de Apple, fabriqué en Chine. Seulement 3,6% de la valeur est d’origine chinoise (puisqu’il s’agit uniquement de l’assemblage), mais 6% des USA, 34% des entreprises japonaises, 17% des allemandes, 13% des sud-coréennes etc. Tout cela pour un produit estampillé "Made in China"... Comment apprécier le caractère "national" de cette production ?
- Deuxième exemple : la plupart des entreprises à l’origine des suppressions d’emploi récemment en France n’ont rien de françaises : Continental, Goodyear, Fralib (groupe Unilever), Arcelor Mittal, Molex, Ford, General Motors, etc. En 2007, dans l’industrie manufacturière, les entreprises étrangères contribuaient pour 26% à l’emploi et pour 31% à la valeur ajoutée (ICI). La plus récemment citée est Toyota à Onnaing, dont les travailleurs viennent de suspendre une grève pour les salaires menée rudement depuis début avril.
- Troisième exemple : l’économie est désormais totalement mondialisée et inter-imbriquée. Le séisme et le tsunami au Japon l’ont montré une nouvelle fois, puisque les soucis de production liés à la catastrophe ont provoqué en ricochet le chômage technique à PSA (le jour même de l’arrivée du panache radioactif, ironie...) et aujourd’hui dans toutes les usines Toyota en Europe. En fait, la plupart des usines automobiles mondiales ont été touchées suite au tsunami, du fait du caractère désormais généralisé de la mondialisation...
- Quatrième exemple : les monopoles français, bien de chez nous : Renault, EdF, France Télécom, Veolia, Saint-Gobain, Carrefour, Alstom, Bolloré, Areva, Total, SFR etc. sont tous largement implantés sur toute la planète.

C’est à dire que du point de vue de la production elle-même, la notion de production "nationale", à l’époque de l’impérialisme, de la mondialisation, de la guerre économique mondiale, n’a aucun sens.

Elle en a encore moins, si l’on intègre les degrés de sous-traitance, la part des ouvriers et travailleurs de ces monopoles et leur nationalité (et oui, il y a des immigrés dans les entreprises françaises...).

Raisonner en termes de production "nationale", c’est d’une part s’enfermer dans un schéma totalement dépassé (celui de l’apparition du capitalisme au 19ème siècle), d’autre part raisonner selon les critères et la logique de la production capitaliste - la logique de nos exploiteurs.

2. L’impasse réformiste

Mais alors, comment expliquer la réapparition du "Fabriquons français", y compris timidement repris par Thibault devant les Molex (voir la vidéo ICI) ? Ce mot d’ordre réformiste et chauvin date en fait des années 80 et avait surtout été avancé par le PCF, décliné ensuite par la CGT selon les entreprises et les secteurs d’activité. Il avait disparu face à l’évidence de la mondialisation, des restructurations, des diverses vagues de la crise du capitalisme.

Il resurgit pour deux raisons : d’une part parce que la forme actuelle des restructurations capitalistes dans la période que nous vivons, c’est avant tout les délocalisations. Les restructurations massives ont eu lieu, la précarité est généralisée, les gains de productivité ont été énormes et arrive un moment où le citron n’a plus rien à rendre sous le pressoir. Et quand en même temps de nouveaux terrains de jeux sont ouverts ailleurs, il est tentant pour les capitalistes de jouer la carte de la délocalisation. En attendant un contre coup, des développements de la lutte des classes etc.

D’autre part parce que les réformistes sont totalement impuissants face à ces délocalisations, n’ont rien à avancer comme contre-proposition réformiste, réaliste ou pas n’est pas la question, face aux attaques du capital. Rien, strictement rien. Alors que les licenciements se comptent par centaines de milliers, ce sont d’abord les ouvriers et prolétaires qui en subissent de plein fouet les conséquences.

Depuis toujours la CGT se targue de défendre l’emploi industriel (voir notre dossier ICI), en se plaçant d’un point de vue raisonnable, du point de vue du capitalisme mondialisé. Mais face aux délocalisations en Asie ou vers les pays de l’Est, rien, rien du tout, silence radio. Lors d’une réunion à Montreuil le 19 janvier sous le titre édifiant de "comment sortir l’industrie du carcan des finances" (sic !!!) la question a été posée plusieurs fois de la salle - sans aucune réponse.

Car plus on sombre dans le réformisme, plus on veut être précis, plus on est acculé par les lois d’airain de la guerre économique capitaliste, et plus on arrive à s’aligner ouvertement ou inconsciemment, sur les décisions des monopoles et du gouvernement. La CFDT le fait ouvertement, la CGT y arrive progressivement en s’enferrant toujours plus dans la logique du marché et de la concurrence.

La CGT a toujours tenté de répondre par les contre-plans industriels, mais ils ne sont une réponse (illusoire au demeurant, comme si le capitalisme productif et financier n’avait pas étudié d’autres solutions) qu’entreprise par entreprise. Alors, à l’heure où le chauvinisme resurgit, via le FN, Sarkozy, la chasse aux sans-papiers et les politiques migratoires, il est facile de déraper vers le chauvinisme économique du fabriquons français, simple "élargissement national" des contre-plans industriels.

On l’a vu à Molex, à Arcelor Gandrange, on le voit à Renault ou des militants qui se disent syndicalistes de classe en arrivent à exiger de "replacer Renault sur sa base nationale", on le voit encore à Fralib, filiale de Unilever, où la lutte pour l’emploi dérape sur le caractère marseillais du Thé de l’éléphant et le caractère quelque peu anti-français de Unilever... (voir ci-contre un appel au rassemblement pour l’emploi vendredi prochain).

3. Le vrai problème de l’emploi ouvrier et sa solution

Les tenants du "Fabriquons français" nous attendent au tournant : vous êtes pour tout laisser faire, vous préférez qu’on "fabrique chinois", qu’on laisse fermer des usines et envoyer des ouvriers au chômage.

Trop facile, démagogique et malheureusement ils escamotent la lutte des classes.

Il y a une chose de certaine, c’est que le capitalisme passe d’une vague de restructurations à une autre, laissant à chaque fois des milliers de travailleurs (de toutes nationalités), et avant tout des ouvriers sur le carreau. Ce sont les prolétaires qui servent de chair à canon dans la guerre économique mondiale et qui paient par la misère, le chômage et la précarité les gains de productivité, les profits et les injustices monstrueuses de ce monde de barbares.

Alors, on fait quoi, face à ces restructurations qui semblent implacables ? Les réformistes nous proposent les contre-plans industriels, les chauvins nous proposent le "fabriquons français", et nous refusons ces deux voies.

Nous les refusons pour une seule et unique raison : elles se placent du point de vue de l’économie "en général", de la production "en général", en laissant de côté le caractère de classe de l’entreprise ou de la nation (allez, un petit tour du côté de la formation théorique, par ICI, pour se rafraîchir la mémoire...).

Nous, nous nous plaçons du point de vue de l’ouvrier, de son intérêt et de son seul intérêt, sans nous préoccuper du capital.

Un ouvrier menacé de licenciement c’est la loi implacable de la concurrence et de la compétitivité, mais pour nous c’est un être humain, une famille, des relations sociales au boulot et en dehors, un collectif de lutte. Tant que durera cette barbarie qu’est l’exploitation, l’appropriation privée de la force de travail du prolétaire par les exploiteurs, nous serons écrasés, balladés, nous ne serons qu’une "ressource humaine", belle formule moderne pour éviter de dire "chair à canon". Et c’est pour cela que nous nous battons pour un autre monde, un monde meilleur, pour tout le peuple où les prolétaires seront aux manettes et dirigeront la société pour le bien être du plus grand nombre.

C’est ce futur que nous préparons, un projet politique - et c’est pour cela que le syndicalisme ne suffit pas, même le plus radical ; mais c’est un autre débat.

Dans l’attente, nous menons le combat quotidien, parce que nous n’avons pas le choix. Dans ce combat, nous refusons les options réformistes qui nous enchaînent à la logique du capital, nous refusons les options chauvines qui divisent et dressent les prolétaires les uns contre les autres.

Alors quoi ? Défendre l’intérêt ouvrier, c’est se placer de son point de vue et ne pas lâcher un pouce.

Et malheureusement pour les réformistes et les chauvins, ce n’est pas une illusion, nous avons des exemples, offensifs, et qui marchent. Au moins un exemple, mal connu, peu popularisé, et pourtant il y aurait de quoi !

C’est le cas des camarades de Goodyear à Amiens

Voilà trois ans et demi que les camarades se battent contre le projet de fermeture d’une usine archi-vétuste, dont le propriétaire (américain...) veut tirer le maximum de sueur et de profit avant fermeture. Une usine où avec une CGT de pointe, les ouvriers ont d’abord refusé les 4x8 qui détruisait leur vie de famille en élargissant le travail au weekend. Où ils ont fait échouer plusieurs PSE tombés aux oubliettes. Où aujourd’hui, il n’y a encore eu aucun licenciement alors que la direction avait juré que tout serait réglé fin 2008. Une usine où la CGT vient d’être confortée aux élections avec plus de 80% des voix sur les trois collèges, malgré les candidatures CGC et même SUD qui prônent la négociation des suppressions d’emploi.

La CGT refuse tout licenciement, veut des garanties sur l’avenir des éventuels départs des anciens sachant ce qui se passe ailleurs (voir les licenciés de Renault Sandouville). Elle ne refuse pas le débat économique autour d’un éventuel repreneur, mais exige des garanties, ne se contente pas de vagues promesses. Elle veut des comptes, des chiffres, des investissements (voir par exemple ICI).

Oh, pas du tout pour "fabriquer français", ou pour "défendre le pneu picard", ou pour "défendre la filière" ou on ne sait quelle fadaise. Simplement pour défendre l’emploi des travailleurs de l’usine.

La CGT Goodyear refuse de signer un chèque en blanc pour licencier ensuite. Elle sait - et le dit - qu’aucune solution n’est définitive, que le combat se poursuit toujours, quel que soit le patron.

Mais elle ne se place pas du point de vue de la production, du point de vue de l’entreprise, du point de vue de l’économie. Elle se place du point de vue des ouvriers et rien d’autre, c’est un point de vue de classe.

[Mise à jour 8 Mai : nous relativisons cet avis sans nuance, dans un autre article en forme d’autocritique - ICI]

Voilà, malheureusement pour les réformistes et les chauvins, il y a l’exemple des Goodyear, qui depuis 42 mois ont réussi sans concilier à empêcher tout licenciement économique. Comme l’ont calculé les camarades, s’ils étaient rentré dans la logique de la négociation des suppressions d’emploi, beaucoup des licenciés se retrouveraient aujourd’hui au RSA !!!

Voilà, un autre chemin est possible, voilà l’image du syndicalisme de classe, qu’il faut ensuite faire déboucher sur un projet politique pour éviter des combats éternellement recommencés dans une société gérée par nos ennemis de classe (on lira avec profit, ICI et LA deux articles plus approfondis sur le sujet).

NON, nous ne sommes pas condamnés à l’impuissance, au réformisme ou au chauvinisme.

Il y a le combat de classe - et en plus c’est le plus immédiatement efficace, preuve est faite !!!

4. Pour conclure, où mène le "Fabriquons français" ?

Nous allons rapidement terminer cet article un peu long par ce qui va apparaître comme une provocation pour certains de nos lecteurs. Mais nous invitons tout le monde à méditer ces quelques reproductions.

A méditer pour comprendre qu’il n’y a aucune différence de fond, seulement de degré entre les mots d’ordre que nous allons aligner. Et si aujourd’hui, nous portons le fer sur le retour d’un mot d’ordre qui doit être envoyé à la poubelle de l’histoire, c’est que malheureusement, l’histoire récente a montré comment on pouvait déraper vers les positions du FN en prétendant défendre l’emploi... La présence de militants comme Engelmann dans la CGT n’est hélas, ni une nouveauté, ni un hasard !

Allez, allons-y pour le petit musée des horreurs !

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