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Femmes en lutte en Tunisie

Le 3 septembre 2011, au local de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), à Sousse.

 


- Nous nous trouvons au local de l’ATFD , peux-tu nous dire, Amina, quand cette organisation de femmes a-t-elle été créée ?
- En 1989. Et c’est la seule année où l’association a perçu des subventions, lors de sa création, car ensuite, comme elle a refusé tout compromis avec le RCD, elle n’a plus reçu de financement.
Actuellement nous faisons un dossier pour récupérer des fonds, et au moins des locaux, car nous n’en avons qu’à Tunis et à Sousse.

 


- Quel rôle jouez-vous en direction des femmes tunisiennes ?
- Ici, nous avons ouvert un centre d’aide aux femmes victimes de violences, où nous travaillons selon trois axes : accueil, écoute, orientation. Nous ne pensons pas avoir la solution aux problèmes des femmes : il faut l’élaborer ensemble à partir de l’écoute qui débouchera sur une aide psychologique et/ou juridique, l’essentiel étant de créer la confiance.
Le contact humain est essentiel, les enfants de ces femmes souffrent aussi, et lorsqu’ils sont témoins de violences, ils mettent toujours la mère en accusation en protégeant l’image du père. De victimes, beaucoup de ces femmes se ressentent coupables !

 


- Et dans le contexte actuel, après le 14 janvier, quelles sont vos priorités ?
- Les féministes alliées aux militants des partis progressistes viennent de gagner la bataille de la parité sur les listes électorales. L’enjeu également, c’est qu’il y ait une alternance Femme/ Homme pour les listes de gauche. Nous sommes fières d’avoir refusé tout compromis ou dédommagement financier pour non-mixité de liste : aucune liste non mixte n’a été validée, même les islamistes ont dû s’y plier !

 


- Comment vous faites-vous connaître des femmes ?
- Nous menons une « Caravane des femmes » » à travers le pays, en tenant des stands publics, ce qui nous assure de nombreux contacts. A Tunis cela s’est bien passé, mais à Kairouan, Ennahda est venu pour saboter nos interventions, déchirer les affiches, ayant même payé le voyage de certaines femmes voilées pour les soutenir dans leur opposition à « une réunion contre Dieu » ! Certaines se sont aperçues du piège.

 


- Les islamistes sont-ils un danger pour la Tunisie de demain ?
- Moins qu’on ne peut le croire, car la mixité est installée dans toute la vie des Tunisiens (école, travail, associations), et il y a des acquis sur lesquels il n’y aura pas de recul, la polygamie par exemple ! Par ailleurs, il faut souligner que chaque fois qu’on les interroge sur leur programme économique, ils n’ont rien à répondre. Bien sûr, ils ont de l’argent et des moyens, mais pas de vision pour l’avenir de la Tunisie.

 


- Et le divorce, comment cela se présente pour les femmes tunisiennes ?
- Sur le papier, sur le plan du droit, pas de problème, une femme peut en avoir l’initiative. Mais dans la réalité, les pensions versées par le père pour aider à l’éducation des enfants jusqu’à 16 ans ne suffisent pas. Beaucoup de femmes ne peuvent pas se permettre de divorcer par manque de ressources.

 


- Que pensez-vous du droit inégal des femmes à l’héritage ?
- C’est un des enjeux de la future Constitution. Actuellement les femmes, selon les situations, perçoivent un tiers ou un huitième d’héritage, ce qui parfois ne leur permet même pas de conserver leur domicile ! Nous revendiquons bien sûr l’égalité absolue .

 


- Et la garde des enfants ?
- La législation établit que, si dans une entreprise il y a 40% de femmes, le patron doit proposer une crèche d’entreprise, mais cela n’est pas appliqué. Nous devons nous battre pour faire appliquer le droit.

 


- Pensez-vous que les femmes prennent toutes les responsabilités qu’elles sont capables d’assumer dans la vie publique ?
- Loin de là. On peut donner l’exemple du secteur textile où les ouvrières représentent 70% des effectifs, mais les dirigeants de l’UGTT du secteur sont encore des hommes ! Pourtant, les ouvrières du textile sont des femmes courageuses : elles ont mené une lutte de résistance contre des licenciements à Djerba, lutte soutenue par l’ATFD qui a organisé des réunions clandestines (en 2008) et vendu des écharpes et sacs d’artisanat réalisés par les ouvrières.

 


- Dans quel autre secteur s’est-il passé des luttes de femmes ?
- Dans la région de Gafsa, où les mineurs ont fait des grèves en 2008, une quinzaine d’entre eux ont été arrêtés et emprisonnés. Des mères et sœurs de mineurs ont alors planté la tente devant l’entrée de la mine et y sont restées durant un mois et demi pour dénoncer la répression. Leur organisation et leur courage ont préparé le terrain de la Révolution. Cela, on ne l’oublie pas !

 


- Comment allez-vous continuer à exercer votre vigilance pour assurer les droits des femmes ?
- Nous avons créé récemment une structure de « monitoring des médias » composée d’une trentaine de jeunes chargés de surveiller la parité dans le secteur de l’information : presse, radio, télé… Actuellement, seuls quelques hommes démocrates comprennent et soutiennent le combat des femmes. Pour beaucoup « ce n’est pas le moment », mais nous allons continuer à avancer !

 

Brigitte Clément

 

LE CODE DU STATUT PERSONNEL
Interview de Mina, à l’ATFD de Tunis

 


- Tu as parlé de la nécessité, selon l’ATFD, de moderniser le CSP, peux-tu préciser ?
- Le CSP a représenté une révolution en 1956, mais il doit accompagner l’évolution de la société et donc changer. Des inégalités ont été abolies, comme la polygamie, maintenant l’enjeu est l’égalité face à l’héritage. La société demande autant ou même plus aux femmes qu’aux hommes, l’héritage doit donc être égal.
La justification, avant, était que les femmes étaient prises en charge et protégées par la structure familiale et par un homme. Ce n’était pas toujours vrai, mais avec l’évolution de la société ce n’est plus le cas. Les femmes qui veulent divorcer n’ont pas le soutien de la famille, et souvent pas assez d’autonomie financière pour le faire. Il faut l’égalité face à l’héritage. Mais cette vision moderniste du CSP n’est soutenue que par une minorité, car l’héritage renvoie au texte sacré coranique qui ne doit pas bouger, donc même parmi les partis progressistes ce n’est pas clair …
L’égalité n’est assumée que par très peu de partis, dont Ettadjdit. Quant au Forum, il y a un point timide sur 100, sur les principes de l’égalité. Ennahda (islamiste) déclare : « Point de progrès pour les femmes sans chasteté et pudeur » ; ça promet ! Globalement, les associations de femmes sont entendues, mais elles ne sont pas soutenues. Souvent on les invite « pour l’image de modernité ».

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