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Lorraine Cœur d’Acier : une radio trop libre
Partisan N°251 - Novembre 2011
La Radio Lorraine Cœur d’Acier a été créée le 17 mars 1979 à l’initiative de la confédération CGT, relayée par l’UD CGT 54, dans la région sinistrée de Longwy. L’État, qui a pris le contrôle des sociétés sidérurgiques depuis septembre 1978, annonçait le 3ème plan acier, soit 21 000 licenciements dont 7 800 dans le bassin sidérurgique de Longwy. Dès le 19 décembre, 25 000 personnes ont manifesté dans la ville.
C’est dans le hall de l’hôtel de ville de Longwy-Haut, avec le soutien de la mairie PC, que s’installe le studio pirate « Lorraine Cœur d’acier » (LCA). Pourquoi « pirate » ? C’est une radio illégale, une radio de lutte. Sous l’immense banderole, en lettres rouges, placée à son fronton, était écrit : « Vivre, étudier et travailler à Longwy ». En créant LCA, il s’agissait surtout, pour la CGT, de préparer la grande marche des sidérurgistes sur Paris, prévue pour le 23 mars. La CGT souhaite limiter l’existence de la radio à 1 semaine. Le 23 mars 1979, près de 300 000 personnes participent à la marche des sidérurgistes de Longwy sur Paris. La manifestation est marquée par des affrontements très durs avec la police. Il s’agissait aussi pour la direction CGT de contrer la CFDT locale qui avait créé, au milieu de l’année 1978, une radio pirate baptisée « SOS-Emploi ». Mais l’émetteur de la CFDT était de faible puissance. LCA possédait un puissant émetteur, un studio fixe aux portes grandes ouvertes au beau milieu de la mairie. LCA est lancée avec des moyens importants, des professionnels, et privilégie le direct. Elle embauche deux journalistes parisiens et membres du PC, Marcel Trillat et Jacques Dupont. Le succès des premières émissions font que l’expérience durera plus d’un an.
C’est le début de plusieurs mois de lutte acharnée des sidérurgistes. La CFDT nationale avait signé une convention généralisée de protection sociale (CGPS) et avait dissous sa section locale. La CFDT locale rassemblait des gens qui voulaient affronter le pouvoir. Mais ils ont été utilisés par l’appareil national CFDT afin de présenter une façade radicale, pour doubler la CGT sur la gauche, puis ensuite se recentrer. Exclure les radicaux en se montrant « responsable » auprès du pouvoir, et truster des places.
Dans le studio de LCA, avec le chiffon rouge de Michel Fugain comme couleur d’antenne, Marcel Trillat et Jacques Dupont accueillent des personnalités de passage, de tout bord, hormis l’extrême droite... et surtout donne la parole à ceux qui en sont privés. La radio est écoutée sur les lieux de travail, dans les magasins. Dès le début, LCA, pour anticiper une intervention des forces de l’ordre dans son studio, a mis au point sa défense. Au moindre mouvement de la police, les sirènes de Longwy appellent la population et les sympathisants à se rendre au studio pour défendre leur radio. En quelques minutes, la station est capable de mobiliser plusieurs milliers de manifestants, ce qui dissuadera les forces de l’ordre d’une intervention directe.
Après six mois d’existence de LCA, la CGT coupe les vivres à ce qu’elle avait lancé comme une radio de lutte et qui s’était avéré simplement une « radio libre », au prétexte qu’elle doit soutenir financièrement deux nouveaux émetteurs ailleurs, la différence étant que, ces deux-là, elle les contrôle étroitement. Marcel Donati, et la quasi-totalité du syndicat CGT de Réhon avec lui, ainsi que des militants de Longwy dont Michel Olmi, le secrétaire de l’union locale, créent alors une association pour permettre à leur radio de durer.
1200 cartes d’Amis de LCA sont bientôt placées dans la région, qui assurent les 40 000 francs mensuels nécessaires pour payer les salaires plus les charges de Marcel Trillat et Jacques Dupont. C’est la Vie Ouvrière qui les leur reverse, de sorte qu’ils puissent continuer à bénéficier de la carte de presse. LCA aura ainsi gagné un an, quand en juillet 1980 la Vie Ouvrière licencie les deux journalistes.
La CGT accuse l’équipe de Longwy de "dérapages". On lui reproche, sans le dire clairement, de sortir des problèmes syndicaux, de prendre des positions contraires au dogme du PCF sur la démocratie des pays de l’Est. Les campagnes de dénigrement, les ragots et rumeurs seront orchestrés par les "orthodoxes" de la CGT contre l’équipe d’animation de la station. Le 5 juillet 1980, devant une foule de militants de base et de sympathisants, l’équipe fondatrice de la station assure la dernière émission avant la fermeture des vacances. Ce sera aussi la dernière émission de cette équipe. Michel Olmi, le secrétaire de l’Union locale, démissionne par solidarité avec les deux journalistes, mais son départ est justifié publiquement et pudiquement "pour raisons de santé". A la rentrée de septembre, la Confédération envoie à Longwy des responsables du secteur propagande et de l’UD CGT de Nancy, chargés de reprendre en main la station. Les instances du syndicat retirent aux "Amis de LCA" le droit de regard sur le programme de la station.
Le 17 novembre 1980, la CGT ressuscite LCA sur le mode syndical, sans journalistes professionnels. La radio n’intéresse plus guère et quand, au début de janvier 1981, les gardes mobiles cernent Longwy-Haut , le tocsin ne sonne pas comme il l’avait fait à d’autres tentatives : les gendarmes peuvent intervenir sans que la population s’interpose. La radio a été sacrifiée à l’approche des élections de 1981 et la stratégie d’union de la gauche du PCF. Juste avant ces élections, le candidat Mitterrand avait dit en venant dans la région que « Longwy restera le fer de lance de la sidérurgie ». C’est la Gauche qui liquidera plus tard la sidérurgie, alors que l’immense majorité des travailleurs avaient voté pour « changer la vie ». En supprimant LCA, le PC et le PS supprimaient de possibles futures résistances à leur politique.
Valentin
La Gauche au pouvoir en 1981 a-t-elle sauvé les emplois en Lorraine ?
A voir : PETIT FILM de Daniel Ropars, LONGWY 1979, 13 min 25

