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Pour une "Palestine démocratique"

Article de Partisan n°83 - Octobre 1993

Le mouvement national palestinien s’est constitué à la fin des années soixante et les débats autour de son projet politique ont eu lieu à cette époque. Nous publions ci-dessous plusieurs documents éclairant quelle était alors la conception de la société à construire.

La charte nationale palestinienne de l’OLP (1968)

Ce document, compromis entre les diverses forces politiques palestiniennes, n’est guère radical et propose en fait une conception de la Palestine libérée purement nationale et étatique.
On notera que les seuls Juifs considérés comme Palestiniens sont ceux présents "avant l’invasion sioniste" (qui a commencé bien avant la création de l’état d’Israël, voir "Partisan" N°59, avril 1991). C’est, de fait la conception qui l’a emporté aujourd’hui, sous une forme édulcorée par 25 ans de trahisons.

1) La Palestine, partie du peuple arabe palestinien, constitue une partie inséparable de la grande patrie arabe, et le peuple palestinien fait partie de la nation arabe.
2) La Palestine, dans les frontières du mandat britannique, constitue une entité territoriale indivisible.
3) Seul le peuple palestinien a des droits légitimes sur se patrie. Après l’avoir libérée, il exercera son droit à l’autodétermination, selon ses vœux et sa seule volonté.
4) L’identité palestinienne est une caractéristique authentique, intrinsèque et perpétuelle. Elle se transmet des parents aux enfants. Ni l’occupation sioniste, ni la dispersion du peuple arabe palestinien résultant des souffrances qu’il a endurées ne peuvent effacer cette identité palestinienne.
5) Les Palestiniens sont les citoyens arabes qui résidaient habituellement en Palestine jusqu’en 1947, qu’ils aient été forcés de partir ou qu’ils y soient demeurés. Toute personne née de parents palestiniens après cette date, que ce soit en Palestine ou hors de Palestine est Palestinienne.
6) Les juifs qui résidaient habituellement en Palestine jusqu’au commencement de l’invasion sioniste sont Palestiniens.
(...)
8) Le peuple palestinien traverse actuellement la phase de la lutte nationale pour la libération de sa patrie. Pour cette raison les divergences entre les forces nationales palestiniennes doivent passer au second plan, pour donner la priorité à la contradiction fondamentale qui existe entre, d’une part, le sionisme et l’impérialisme et d’autre part, le peuple arabe palestinien.

Projet de résolution proposé au sixième Congrès du Conseil palestinien (Le Caire, septembre 1969)

Ce projet (dont nous ne connaissons pas les auteurs) vise explicitement les conceptions racistes et chauvines sévissant dans certains courants palestiniens. Il est intéressant dans la mesure où il montre la lutte politique existant à l’époque sur le rapport aux Juifs et la société à construire.
On comprend mieux pourquoi ce projet (à l’époque très populaire) était un cauchemar tant pour les sionistes que pour les régimes réactionnaires arabes...

Après la déroute de 1948, les organisations palestiniennes et les régimes arabes ont gardé les mêmes solutions chauvines et racistes ("les juifs à la mer", "égorger les juifs"). Au lendemain de juin 67, tous les appels chauvins creux se sont effondrés pour laisser place aux solutions impérialistes réactionnaires, fondées sur la "Reconnaissance d’Israël dans des frontières sûres". Le conseil national palestinien, conformément aux aspirations démocratiques du peuple palestinien décide :
(...)
Le refus des solutions chauvines palestiniennes et arabes en cours, avant et après juin 67, consistant à égorger les juifs et à les jeter à la mer, aussi bien que le refus des solutions réactionnaires fondées sur l’acceptation de l’État d’Israël dans des "frontières sûres et reconnues" selon la fameuse résolution du 22 novembre. Toutes ces solutions s’opposent aux droits du peuple palestinien à disposer de lui-même sur son propre territoire, et implantent au Moyen Orient, un État capitaliste, raciste et expansionniste intimement lié au capitalisme international, hostile aux mouvements de libération palestinien, arabe et aux forces de libération et du socialisme dans le monde.

 

La lutte pour une solution démocratique populaire aux questions palestinienne et israélienne, qui consiste à : abolir le fait sioniste incarné par l’ensemble des institutions étatiques (administration, police et armée), à dissoudre toutes les organisations politiques et syndicales chauvines et sionistes et à créer un pouvoir démocratique et populaire en Palestine où Juifs et Arabes cohabitent sans discrimination, ni oppression nationale ou de classes.

 

Cette solution démocratique est à même de libérer les Arabes et les Juifs de toutes les idéologies réactionnaires sionistes et arabes.

 

Cette solution transformera la région en un bastion révolutionnaire partie intégrante de la révolution mondiale."

Pour un état démocratique en Palestine

Ce texte, plus complet et détaillé est celui d’une résolution du GUPS, syndicat général des étudiants palestiniens, votée en 1970. Ce syndicat a longtemps été le fer de lance de la gauche palestinienne et ce texte est le plus précis à notre connaissance définissant ce qu’est le projet de la Palestine démocratique, c’est à dire d’une perspective poli-tique et sociale libératrice sur la base d’une lutte de libération nationale.

1) Le territoire
Il doit être tout à fait clair que la Nouvelle Palestine discutée ici n’est pas la rive ouest du Jourdain occupée ou le territoire de Gaza ou les deux. Ce sont là des zones occupées par les Israéliens depuis Juin 67. La patrie des Palestiniens usurpée et colonisée en 1948 n’est pas moins chère et importante que la partie occupée en 1967. D’autre part, l’existence même de l’État raciste et oppresseur d’Israël, basé sur Je départ et l’exil forcé d’une partie de ses citoyens, ne peut âtre acceptée par la révolution, même s’il ne s’agit que d’un petit village palestinien. N’importe quel arrangement favorable à l’État colonial agresseur est inacceptable et non durable. N’est permanente que la population de la Palestine : ses juifs, ses chrétiens et ses musulmans dans un pays qui les intègre tous.

 

2) Les composants
Tous les juifs, musulmans et chrétiens vivant en Palestine ou exilés par la force auront le droit à la citoyenneté palestinienne. Ce principe garantit à tous les Palestiniens exilés de retourner dans leur patrie, qu’ils soient nés en Palestine, ou en exil et quelle que soit leur présente nationalité. Cela signifie également que tous les juifs palestiniens actuellement israéliens ont les mêmes droits à condition naturellement qu’ils rejettent le chauvinisme sioniste et raciste et qu’ils acceptent pleinement de vivre comme des Palestiniens dans la Nouvelle Palestine. La révolution rejette donc le principe selon lequel seulement, les Juifs qui vivaient en Palestine avant 1948 ou avant 1914 et leurs descendants, seraient acceptables. Après tout, Dayan et Allon sont nés en Palestine avant I948 et eux, ainsi que beaucoup de leurs collègues, sont des sionistes racistes invétérés qui n’ont évidemment pas qualité pour recevoir le statut de Palestinien.

 

3) L’idéologie
Les Palestiniens, au cours de leur lutte de libération et au moment de leur libération, décideront du système de gouvernement et de l’organisation politique, économique et sociale de leur patrie libérée. (On répète ici que le terme Palestiniens comprend les Palestiniens arabes qui sont exilés, ceux qui vivent en terre occupée ainsi que les juifs anti-sionistes).
Une Palestine démocratique et progressiste, toutefois, rejette par élimination une forme de gouvernement théocratique, féodal, aristocratique, autoritaire ou raciste-chauviniste. Ce sera un pays qui ne permettra pas l’oppression ou l’exploitation d’une partie de la population par un autre groupe ou par des individus, un État qui donnera des chances égales à chacun de ses citoyens pour le travail, l’accomplissement des devoirs religieux, l’éducation, le droit de décision politique, l’expression culturelle et artistique.
Ce n’est pas un rêve utopique, car la lutte pour réaliser la Nouvelle Palestine crée par elle-même le climat nécessaire au futur système de gouvernement, c’est-à-dire que la guerre populaire de libération fait surgir de nouvelles valeurs et suscite un nouveau comportement qui sont une garantie pour la démocratie qui suivra la libération.

Communiqué du FPLP

Le FPLP (à références marxistes) fait partie d’un groupe de dix organisations (dont Hamas) qui ont rejeté les accords OLP/Israël et ont créé à Damas un nouveau Front du Refus. Nous publions ce communiqué pour faire connaître les positions de la gauche palestinienne passée sous silence entre l’OLP et Hamas.
Cela dit, nous avons plusieurs remarques sur ce document, qui tournent toutes autour de l’absence d’alternative à la trahison de l’OLP. Appeler à relancer l’Intifada sans lui donner d’objectif politique est voué à l’échec et croire qu’un Front du Refus (en plus avec des groupes comme Hamas) en fera l’office est une illusion.
On notera aussi l’absence de redéfinition lié à ce tournant historique et au contraire la tentation de la répétition (créer une nouvelle OLP) qui ne tient pas compte de ce nouveau contexte politique et social. Sans même parler des questions liées à la population d’Israël. Quant au refus de l’affrontement entre Palestiniens, il est évidemment contradictoire avec l’affirmation de la trahison de la bourgeoisie bureaucratique palestinienne alliée au sionisme et à l’impérialisme : ne faut-il pas s’affronter à ces ennemis ?

 

Une telle position ne peut survivre longtemps. Où elle est marginalisée, où elle se radicalise dans un sens (alignement sur les secteurs radicaux mais réactionnaires), ou dans un autre (redéfinition d’un projet alternatif). Espérons que les éventuels militants communistes au sein du FPLP sauront faire avancer le débat dans la bonne direction...

Devant l’évolution dramatique qu’a connue le conflit au Proche-Orient, particulièrement entre Israël et le peuple palestinien, et dans le but d’étudier les événements ré-cents, le Bureau Politique du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) s’est réuni le 6 et le 7 septembre. Il s’est arrêté longuement et profondément sur l’accord catastrophique et capitulard, connu sous le nom de « Gaza-Jéricho d’abord », et qui a été signé entre l’ennemi sioniste et la partie dominante dans la direction de l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP).
Le Bureau Politique a tiré la conclusion suivante concernant cet accord : il s’agit d’une percée stratégique réalisée par l’État sioniste et son projet politique dans le conflit entre 1’Etat d’Israël cale peuple palestinien. C’est une capitulation totale devant l’ensemble des conditions politiques posées par l’alliance entre les États-Unis et Israël. Cet accord est le résultat logique de l’entrée de la direction dominante de l’OLP dans le processus de Madrid, qui a été entamé après le changement dramatique survenu au niveau international.
Le Bureau Politique du FPLP constate les dangers suivants dans l’accord « Gaza-Jéricho d’abord » :
1. L’abandon par la direction dominante de l’OLP de son programme national, c’est-à-dire des droits suivants : le droit à l’autodétermination, le droit au retour des réfugiés et le droit de créer un État indépendant, dont la capitale serait Jérusalem.
2. L’accord donne raison, sans contrepartie, à toutes les exigences d’Israël. Nous constatons cela notamment par le maintien permanent des forces d’occupation sous la nouvelle appellation : « redéploiement des forces » ; par le maintien de l’ensemble des colonies et de leurs habitants ; par le maintien de la sécurité interne et externe entre les mains de l’occupant israélien et enfin, par l’exploitation des richesses naturelles nationales par Israël.
3. Cet accord conduit à la division du peuple palestinien et au déchirement de la terre palestinienne.
4. Cet accord abandonne la question de la ville de Jérusalem. Cette question ne sera discutée que dans un avenir lointain, sans la moindre garantie. L’accord déchire la terre occupée en 1967 en une série d’ unités territoriales distinctes, sans garantie pour la nature de la solution finale.
5. Cet accord remplace les institutions répressives de l’occupation par des institutions répressives palestiniennes, la « police » palestinienne ; le rôle de cette police sera de garantir la sécurité des forces occupantes et de réprimer l’opposition des masses palestiniennes ainsi que l’opposition politique organisée.
6. Cet accord cherche à arrêter l’intifada et vise sa liquidation totale.
7. Cet accord liquide le droit de retour et ouvre lapone à l’installation définitive des réfugiés palestiniens dans leur pays d’accueil.
8. Cet accord reconnaît définitivement l’État sioniste d’ Israël en contrepartie de la reconnaissance de l’OLP, mais après avoir supprimé la Charte nationale de celle-ci, son programme national d’unité et la lutte armée. En d’autres mots, c’est reconnaître l’État sioniste après avoir transformé l’OLP en parti politique et après avoir abandonné son caractère de mouvement de libération nationale.
9. L’accord réalise une percée historique du projet politique sioniste dans le monde arabe par la signature des accords de normalisation totale avec chacun des pays arabes, dont le seul bénéficiaire sera l’État sioniste.
La réalisation de cet accord mettra fin au projet national palestinien. Il liquide l’ensemble des acquis obtenus grâce à la lutte de notre peuple. La signature de l’accord « Gava-Jéricho d’abord » conduit le FPLP à considérer la direction dominante de l’OLP avec à sa tête Yasser Arafat, en dehors de l’unanimité nationale palestinienne. Cette direction abandonne clairement l’ensemble de nos droits historiques et légitimes. Elle dépasse toutes les conditions posées par le Conseil national palestinien comme prix de la participation au processus de Madrid-Washington. Cette conclusion politique nous conduit à considérer que cette partie de la bourgeoisie bureaucratique dominante se met en dehors de la ligne nationale. cette partie dirigeante bureaucratique de l’OLP est devenue une alliée de l’ennemi sioniste dans son entreprise de liquidation de la cause nationale de notre peuple. Cette partie dirigeante possède une base sociale minoritaire qui ne voit que ses intérêts économiques et politiques et se trouve en alliance directe avec les projets impérialistes et sionistes dans la région. La collaboration dans les domaines de la sécurité et de l’économie prévue dans cet accord n’est que la preuve de cette alliance. La capitulation de cette couche bureaucratique dans l’OLP ne signifie pas la capitulation de la bourgeoisie nationale palestinienne dans son ensemble.
Devant cette dangereuse situation que connaît l’OLP, le FPLP propose à l’ensemble des forces palestiniennes, opposées à cet accord liquidateur, de revoir les différentes institutions de l’OLP et leur composition. Nous proposons de mener ensemble des actions populaires et de masse. Leur l’objectif est de donner à notre peuple dans les territoires occupés, ainsi que dans la diaspora, la possibilité de choisir librement et démocratiquement leurs représentants qui composeront ces différentes institutions de l’OLP, en particulier un nouveau Conseil national palestinien. Les bases politiques de ces différentes actions seraient l’attachement à la Charte nationale palestinienne, le respect du programme de l’unité nationale palestinienne ; et faire face à l’accord « Gaza-Jéricho d’abord ». L’OLP, en tant que front national représentatif large pour nous comme pour noue peuple, représente l’identité nationale du peuple palestinien ; elle est l’affaire de tous les Palestiniens et pas la propriété d’un seul dirigeant ou d’une seule direction.

 

Le FPLP renforcera ses alliances dans le cadre de la direction commune FPLP-FDLP et dans l’alliance de. dix organisations opposées à cet accord. Nous proposons à l’ensemble des personnalités palestiniennes patriotiques, qui ont exprimé leur opposition à cet accord, de constituer un front large qui sauvera l’OLP et qui donnera à notre peuple un représentant digne de son combat, de ses sacrifices, de ses souffrances ainsi que de ses aspirations légitimes et historiques. Le FPLP appelle les membres, les cadres et les dirigeants de Fatal, qui ont exprimé leur opposition à cet accord catastrophique, à renforcer les liens avec l’ensemble des forces palestiniennes patriotiques. Le FPLP ne tombera pas dans le piège tendu par l’ennemi qui vise une guerre civile palestinienne. Il continuera et renforcera son rôle dans l’Intifada. C’est la meilleure réponse que nous donnerons à ceux qui ont signé cet accord liquidateur de nos droits. Nous appelons toutes les forces palestiniennes à faire de même. Le FPLP appelle les masses arabes eues forces d’avant-garde à créer une situation d’opposition à la politique de normalisation totale entre l’État sioniste et les régimes arabes. Le peuple égyptien nous a donné l’exemple après la signature de l’accord de Camp David.
Le jour de la signature de cet accord sera un jour de deuil national. Ceux qui l’ont signé perdent leur légitimité. Ils n’ont aucun droit de parler au nom de notre peuple. Cette signature n’engage pas notre peuple dans la lutte légitime contre l’occupant sioniste.

 

Bureau politique du FPLP, 8 septembre 1993

 

Voir aussi, Israël/OLP un tournant historique et une trahison

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