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Les sardinières de Douarnenez en 1924

Partisan N°236 - Mars 2010

Côte de la mer d’Iroise, il y a 86 ans... En période de pêche, la journée des sardinières commence à 7 ou 8 h du matin, se termine à minuit ou à 1 h, et cela plusieurs jours, et souvent plusieurs semaines par mois. Toutes les heures leur sont payées au même tarif, 80 centimes. Une semaine de 125 h rapporte 100 francs. Les cuiseuses restent debout durant tout le temps, le visage au-dessus de l’eau ou de l’huile bouillantes où elles plongent leurs pesants grills remplis de poisson, pour 90 centimes de l’heure.
Douarnenez compte 21 conserveries : succursales d’Amieux Frères, qui ne sont que quelques-unes des quatorze usines d’alimentation de la société réparties entre différents ports de la côte Atlantique ; ou succursales de Béziers qui, sur ses 11 fabriques de conserves, en possède 6 dans le Finistère ; ou Saupiquet, qui en a 10. Pour ces grosses firmes, si l’un de leur établissement est à l’arrêt par défaut d’approvisionnement, une augmentation de la cadence dans les autres rattrape le manque. Il en irait ainsi en cas de grève, s’il y avait des syndicats dans les conserveries de Douarnenez. Cinq patrons qui n’ont d’usine que dans la localité sont plus vulnérables.

Au tournant d’octobre et de novembre 1924, les mécaniciens de chez Ramp, une usine qui fait des boites vides, ont obtenu grâce à 3 jours de grève une augmentation de 10 centimes de l’heure. Le 21 novembre, le personnel de Carnaud, qui fait aussi des boites vides, les imite. Il réclame 1 franc de l’heure pour les ouvrières, 1,50 pour les manœuvres (hommes). Le mardi 25, la grève se généralise, c’est un mouvement absolument spontané. Les ouvrières quittent parfois l’usine en laissant du poisson non travaillé sur les tables. Bientôt, 2 200 grévistes sont dans la rue.
Des représentants nationaux de la CGTU, Maurice Simonin, délégué à la propagande de la Fédération de l’alimentation, et Lucie Colliard, membre de sa commission féminine, viennent apporter leur aide. Avec celle de Charles Tillon, secrétaire de l’UD-CGTU d’Ille-et-Vilaine, un comité de grève s’organise, qui établit les revendications : 1,25 franc de l’heure pour les ouvrières payées 80 centimes, et 1,75 franc de l’heure pour les manœuvres qui sont à 1,30 franc.

Les patrons ne veulent rien savoir. Tous les jours, les sardinières se réunissent dans le jardin communal. A midi, c’est la soupe communiste à la cantine scolaire, mise à disposition par la municipalité. Puis on forme une manifestation, qu’accompagnent de nombreux pêcheurs. Le soir, toute la population travailleuse se retrouve sous les halles, où intervient Daniel Le Flanchec, maire depuis le 10 octobre. Douarnenez a élu en 1920 le premier maire communiste de France, Sébastien Velly – le décès de celui-ci en cours de mandat a placé son adjoint à la tête de la municipalité...

Les petits cultivateurs de la région ont répondu nombreux aux appels de solidarité ; celle de la conserve n’est pas sans failles. A Audierne, une seule usine refuse de travailler le poisson venu de Douarnenez. A Concarneau, les ouvriers de Carnaud sont tiraillés entre leur désir de grève et la nécessité pour les ouvrières travaillant le sprat d’avoir des boites à remplir si elles veulent pouvoir profiter de l’augmentation qui vient de leur être accordée : 10 francs de plus sur les 35 francs payés pour le travail d’une caisse...

Une équipe du syndicat réformiste et jaune fait son apparition à Douarnenez. Des bagarres s’en suivent, le bruit court que le maire a été tué. Les gendarmes chargent... on en ressort pour exprimer son indignation, malgré la nuit, comme le relate La Dépêche de Brest et de l’Ouest : « Le chant l’Internationale remplit l’air. En longs cortèges, les manifestants suivent les rues de Douarnenez, malgré la pluie qui se plaque aux vêtements, en dépit du vent qui agite les plis rouges des drapeaux avec une violence à laquelle les porteurs ne résistent que péniblement. Derrière les délégués du Parti communiste viennent les femmes avec leurs coiffes blanches... »

Le 4 janvier, les patrons font des promesses par voies d’affiches aux portes des conserveries, qui n’entraînent aucune rentrée le jour suivant. Dans l’après-midi, les premiers pourparlers directs ont enfin lieu. Le soir, la ville va chercher à la gare son maire qui rentre de l’hôpital. Le lendemain, le préfet rencontre à Quimper le vice-président de la Chambre de commerce, puis quelques-uns des patrons de la conserve, qui acceptent soudain toutes les conditions du comité de grève. « On raconte que la police aurait découvert des papiers compromettants pour les patrons. Ceux-ci auraient envoyé une assez forte somme au ’syndicat réformiste’. » Vers 18 heures, ils signent un protocole d’accord devant le juge de paix, qui entérine les miettes que la direction avait accordé 15 jours plus tôt, à quoi s’ajoutent une augmentation des salaires du personnel payé au mois proportionnelle à celle du taux horaire, l’augmentation des salaires dans les usines métallurgiques fabricant les boites vides, et 2 heures quotidiennes de congé payé pour les apprentis afin qu’ils puissent suivre les cours professionnels du soir. Toute la population réunie aux halles y acclame le comité de grève. Le 17 janvier, jour de fête, une manifestation grandiose célèbre la victoire.

Aux élections municipales qui suivent, au mois de mai, Joséphine Pencalet, l’une des grévistes les plus en vue, figure sur la liste communiste, qui est élue toute entière avec un score jamais atteint. Mais les femmes ne sont alors ni électrices ni éligibles et le scrutin est invalidé.

D’après : Les grandes luttes de la France ouvrière, de Alain Rustenholz, Les beaux livres.
À lire : Lucie Colliard, Une belle grève de femmes : Douarnenez , librairie de l’Humanité, 1925
Charles Tillon, On chantait rouge.
A voir : Le film Penn sardines de Marc Rivière, 2004.

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