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Faut-il revenir au programme du CNR ?

Face aux attaques actuelles de la bourgeoisie, le Front de Gauche, Attac et d’autres voudraient en revenir au programme du CNR de 1944 (Conseil National de la Résistance). Mais le retour « aux jours heureux » de la Libération est pure utopie.

Que proposait le programme du CNR ?

Le CNR se réunit en mai 1943. Il est formé de huit mouvements de résistance, dont les gaullistes et les FTP dirigés par le PCF ; de la CGT et de la CFTC ; et de six partis politiques allant de la droite au PC. Après de longs débats, il adopte en mars 1944 un programme qui fixe les mesures à appliquer dès la libération du territoire. Il vise à « rétablir la France dans sa puissance, dans sa grandeur et sa mission universelle ». Il prévoit la sanction des traîtres par confiscation de leurs biens, le rétablissement des libertés démocratiques et des réformes économiques et sociales.
Les mesures économiques visent à l’organisation rationnelle de l’économie et à l’intensification de la production selon « un plan arrêté par l’Etat » ainsi que « le retour à la nation » des mines, des sources d’énergie, d’une partie des assurances et des banques. Ces nationalisations sont avancées par les socialistes avec l’appui de De Gaulle. Au début, le PCF s’y oppose, pour ménager les petits propriétaires et ne pas diviser la Résistance, avant de s’y rallier.
Le programme dit vouloir garantir le pouvoir d’achat des salaires. Il envisage « la participation des travailleurs à la direction de l’économie », rétablit la liberté syndicale et les délégués d’ateliers supprimés par Vichy. Il crée la Sécurité Sociale et la retraite. Enfin, il envisage « une extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales ».

Pourquoi un tel programme ?

L’objectif du CNR et De Gaulle est de restaurer la puissance de l’impérialisme français. Cela exige de réunir des conditions politiques économiques et sociales.
La majorité de la bourgeoisie s’est discréditée dans la collaboration. Il y a un large consensus dans la Résistance pour affirmer que le capitalisme a fait « faillite », non du fait de la crise de 1929, qui a débouché sur la guerre, mais parce qu’il s’est mis au service de l’occupant. Pour le sauver, il faut changer une partie de son personnel et surtout renforcer l’Etat. Nationalisations et plan n’ont pas d’autre objectif que mobiliser les ressources du pays pour créer les infrastructures indispensables au développement du capitalisme.
La droite et la gauche sont convaincues que ce redressement exige la participation active de la classe ouvrière. Pour De Gaulle, les travailleurs, qui se sont comportés en patriotes, ne doivent pas être « écartés de la communauté nationale ». Pour que les ouvriers renoncent à la lutte de classe et appuient les plans de la bourgeoisie, le CNR propose des réformes réduisant leur précarité et leur promet une participation à la direction de l’économie. Le CNR crée donc les conditions d’une collaboration de classe avec l’appui des dirigeants du mouvement ouvrier.

Que dire de son application ?

Les mesures prises à la Libération renforcent le rôle de l’Etat. Sont nationalisées l’Electricité et le Gaz, les Houillères, les transports (Air France, Compagnie de navigation, RATP plus tard), quatre banques de dépôts et la Banque de France, ainsi que deux sociétés d’assurance. Loin d’affaiblir le capitalisme et les « féodalités financières », ces mesures les ont au contraire renforcés.
La nationalisation de l’énergie permet la réorganisation d’un secteur économique peu rentable, mais indispensable au développement de tous les autres. Seules les banques de dépôt et les assurances passent sous contrôle de l’Etat, pas les banques d’affaires. Avec elles, l’Etat se donne les moyens de collecter l’épargne au bénéfice du développement de l’économie. Enfin, sauf pour Renault et Gnome et Rhône (devenu la SNECMA), la nationalisation se fait en indemnisant les actionnaires, souvent grassement, bien que les sociétés soient peu rentables, comme dans l’électricité. Ce sont les exploités qui indemnisent leurs exploiteurs par le biais de l’Etat. Les capitaux ainsi libérés s’investissent dans des secteurs plus rentables.
Les cinq années qui suivirent la Libération sont, malgré les réformes sociales, les années les plus dures. Les salaires sont soumis au contrôle de l’Etat. Les horaires de travail sont augmentés. Le pouvoir d’achat des ouvriers baisse de 1944 à 1947, malgré les hausses accordées qui sont bien inférieures à l’inflation. Il ne revient au niveau de 1938 qu’au début des années 1950. La reconstruction implique des sacrifices, mais seule la classe ouvrière en paie en le prix. Les profits capitalistes explosent, comme les revenus des petits propriétaires (paysans et commerçants) qui tirent bénéfice de la pénurie.
Les reformes sociales, aujourd’hui attaquées, sont à l’époque jugées insuffisantes par la CGT. Le système de protection et de retraite mise en place ne suscite pas l’enthousiasme. Il est bien moins favorable que ceux acquis dans les transports et les mines, dès avant la guerre. Dans la sidérurgie ou le bâtiment, bien peu d’ouvriers atteignent l’âge de la retraite de 65 ans. Quant à la participation des travailleurs à la direction de l’économie, elle n’est que consultative. Les CE gèrent seulement les œuvres sociales.

Concernant l’extension des droits « des indigènes des colonies » les choses sont claires. Dès le 8 mai 1945, la répression s’abat sur les patriotes algériens. L’impérialisme français a trop besoin des ressources de ses colonies pour concéder quoi que ce soit à leurs habitants.
La collaboration de classe est permise par l’orientation imposée par la direction du PCF à tous les militants. Celle-ci, dès le retour de Maurice Thorez d’URSS, s’emploie à ce que les ouvriers s’engagent dans la bataille de la production, abandonnant tout espoir de profondes réformes sociales et politiques. Dans ses mémoires De Gaulle rend hommage à Thorez pour cela. Dans ses carnets Marcel Cachin, directeur de l’Humanité, note en 1946 que les nationalisations ont permis de faire passer les sacrifices demandés aux ouvriers.

Peut-on imaginer aujourd’hui un nouveau programme du CNR ?

Si le programme a mis en œuvre quelques réformes favorables aux travailleurs, c’est que la bourgeoise discréditée avait besoin de leur appui pour restaurer sa puissance. Si les ouvriers avec le PCF n’étaient pas en condition de faire la révolution, ils auraient pu imposer plus, car ils avaient été à la pointe de la résistance armée. La direction du PCF offre donc à la bourgeoisie une collaboration contre de maigres contreparties.

L’amélioration du sort des ouvriers ne devient notable qu’au milieux des années 1950. Après l’éviction des communistes du gouvernement en mai 1947, la pression ouvrière se fait plus forte. Les travailleurs mènent de grandes grèves qui se soldent souvent par des échecs. Mais les capitalistes concèdent, ensuite et à froid, des augmentations réelles du pouvoir d’achat, des congés payés augmentés, les retraites complémentaires, le paiement des jours fériés aux ouvriers horaires, pour maintenir les luttes ouvrières à un niveau acceptable pour eux.
Il peut sembler paradoxal que ce qui a été possible il y a 50 ans ne le soit plus aujourd’hui, alors que la productivité du travail a été multipliée par 5 depuis. Cette productivité permettrait la réduction du temps de travail, l’extension du temps libre, et une meilleure satisfaction des besoins de la majorité. Mais penser que cela est possible par une simple répartition de la richesse créée, sans toucher au capitalisme, est ne pas comprendre la nature de sa crise.
La hausse de la productivité signifie que la production capitaliste exige plus de capitaux et en même temps beaucoup moins de travail réellement créateur de plus-value. D’où une baisse du taux de profit. Le capital a tellement réduit la part du travail créateur de plus-value, qu’il ne peut plus compter sur de nouvelles hausses de productivité pour maintenir les profits en améliorant la condition ouvrière comme dans les années 1950 et 1960.
Maintenir ce taux de profit exige pour lui de détruire du capital (fermetures d’usines, délocalisation), des hommes et des femmes (chômage et usure au travail). Il doit aussi baisser le coût du travail en s’attaquant aux retraites, aux dépenses d’éducation et de santé ou en délocalisant pour employer des travailleurs « moins coûteux » en Chine ou ailleurs. Bref, il n’a d’autre choix que d’attaquer ce qui avait permis d’améliorer les conditions de vie pendant les 30 ans de l’après-guerre.

L’avenir ne se trouve donc pas dans un retour utopique au capitalisme régulé par l’Etat tel que le proposait le programme du CNR. Face au capitalisme en crise, le choix est pour les ouvriers soit d’accepter d’être laminés par le capital et détruits en tant qu’êtres humains, soit de détruire ce capital et l’Etat qui en est l’expression.

La voie de la réforme du capitalisme est fermée, seule reste pour les prolétaires celle de son renversement, la révolution.

G.F.

De Gaulle et le PCF

Maurice Thorez et Jacques Duclos le 1er mai 1945

« Quant à Thorez, tout en s’efforçant d’avancer les affaires du communisme, il va rendre, en plusieurs occasions, service à l’intérêt public. Dès le lendemain de son retour en France, il aide à mettre fin aux dernières séquelles des « milices patriotiques » que certains, parmi les siens, s’obstinent à maintenir dans une nouvelle clandestinité. Dans la mesure où le lui permet la sombre et dure rigidité de son parti, il s’oppose aux tentatives d’empiétements des comités de libération et aux actes de violence auxquels cherchent à se livrer des équipes surexcitées. A ceux – nombreux – des ouvriers, en particulier des mineurs, qui écoutent ses harangues, il ne cesse de donner pour consigne de travailler autant que possible et de produire coûte que coûte. Est-ce simplement par tactique politique ? Je n’ai pas à le démêler. Il me suffit que la France soit servie. »

Mémoires de guerre, Le salut : 1944-1946, page 124.

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