Vous êtes dans la rubrique > Archives > Enquête : Femmes de ménage
Enquête : Femmes de ménage
Partisan N°232 - Novembre 2009
L : Je suis en CDI, j’embauche à 6h15 jusqu’à 8h15 pour faire le ménage dans les bureaux et de 11h00 à 14h00 dans une banque : il me faut ¾ d’heure pour changer de lieu de travail. Ce qui me révolte, c’est qu’on nous demande de faire un travail de 3h00 en 2h00 pour un salaire misérable (le smic). La pénibilité est dans le fait de se lever tôt (4h30 du matin), de prendre les transports ensuite de s’attaquer au ménage : c’est usant physiquement et psychiquement. De plus, on a une pression permanente. Des contrôles surprises et continuels. La majorité des employés sont à temps partiel. Les seuls à être à temps pleins sont les chefs, des hommes bien sûr. De toute les façons, c’est comme dans d’autres boulots : à Quick par exemple (où j’ai travaillé avant), pour avoir un 30h00, il faut être assistant ou manager.
M : J’ai 42 ans et je suis dans la même boite depuis 12 ans dans une ville de la banlieue parisienne. Je travaille dans les cuisines des écoles. On est toutes polyvalentes, entretien et cuisine. Je suis à plein temps et en CDI depuis seulement 3 ans. Le travail est pénible avec un abus des personnes qui ont du pouvoir. Et cet abus s’exerce surtout sur les précaires. Les conditions de travail changent une fois que tu passes en CDI : tu tournes moins sur les différents postes.
VP : Qu’est-ce qui te révolte le plus dans la situation des ouvriers au boulot ?
L : C’est l’ensemble qui est révoltant. Tout est lié : les horaires discontinus, l’intensité du travail, le fait de se lever à l’aube . Dans le boulot proprement dit, c’est la solitude qui est dure à supporter. Celle du matin, dans les bureaux vides (nous avons chacune un étage à faire : on ne se rencontre jamais), celle de l’après-midi face aux clients de la banque qui n’ont aucune considération pour toi ou pour ton travail. Et les rares qui t’adressent la parole, c’est pour être paternalistes. Ce qui est dur dans ce métier, c’est que tu passes ton temps à nettoyer la merde des autres et qu’en plus, t’en as honte.
VP : Quelle garantie as-tu pour l’avenir ?
L : Aucune, à moins de faire le larbin de service pour avoir une promotion. De toutes les façons, pour progresser il faut bien maîtriser le français. Et là, ce n’est pas dur vu les nationalités multiples qui sont présentes. La seule garantie sur l’avenir, c’est d’avoir un CDI si on tient le coup. Et de toutes les façons, il y a des femmes qui n’ont pas le choix, surtout les plus âgées. La sanction suprême quand t’es trop chiante, c’est le CDD à répétition et donc la précarité.
M : Moi j’ai seulement la garantie de l’emploi car je suis en CDI fonctionnaire territoriale. Mais je n’ai aucune garantie en ce qui concerne ma santé physique et morale.
VP : Les ouvriers, ils sont plus unis, plus forts qu’avant ?
L : Il n’y a pas d’unité dans ce boulot. Les chefs sont systématiquement des hommes et on n’embauche que des femmes pour faire le ménage. Les anciennes ont un discours unitaire. Elles proposent que l’on écrive des courriers ensemble, que l’on prenne les décisions ensemble. Même si elles ne sont pas syndiquées, elles ont le sens de l’unité. Les jeunes sont d’accord pour dire que ce travail est mal payé, qu’il est pourri, mais elles se réfugient dans le fatalisme et passent leur temps à dire que la grève ça ne sert à rien.
M : Les ouvriers, il me semble sont moins unis qu’avant. En tout cas, dans mon boulot, le racisme est un frein pour une unité. La question que je me pose aujourd’hui, c’est comment amener mes collègues à dépasser cette division.
VP : A ton avis, pourquoi n’engage-t-on que des femmes dans ces boites ?
L : Ce sont les femmes qui s’occupent des enfants, du coup elles ont au quotidien une responsabilité qui leur fait accepter plus de choses. Elles sont de ce point de vue plus malléables que les hommes qui ont moins l’esprit de sacrifice.
VP : Que penses-tu des syndicats de ta boite ? Et comment est l’équipe qui anime ?
L : Il n’y a pas de syndicat dans cette boite de nettoyage. Même pas un affichage qui de toutes les façons n’y resterait pas.
M : Je ne vois pas d’avancée. Une polyvalence généralisée des employés a été mise en place récemment. Il y a eu une bataille syndicale qui n’a pas abouti car ni le personnel ni les syndicats ne se sont vraiment mobilisés contre ce projet. De plus les syndicats ne sont pas présents dans tous les établissements. On ne les voit jamais.
VP : Ton temps libre, tu le passes à quoi ?
L : Je dors… je récupère. Ensuite je surfe un peu sur internet puis je fais mon propre ménage. Au début, je faisais un peu de théâtre, mais j’ai arrêté par manque de moyens financiers. Le cinéma, c’est trop cher : il me reste seulement la bibliothèque.
M : Je n’ai pas de temps libre. Je travaille de travaille de 7h30 à 14h00 et je travaille en plus pour des réceptions sinon je ne m’en sors pas financièrement. Alors ensuite, je rentre, je refais le ménage mais cette fois chez moi.
VP : Les partis de gauche et les syndicats n’organisent pas la riposte nécessaire, pourquoi à ton avis ?
L : Parce qu’ils ne servent pas le prolétariat. Ils sont inscrits dans le système. Le fait que le PCF disparaisse n’est pas forcément positif car il représentait quand même une classe ouvrière qui se reconnaissait en temps que classe. C’est important d’avoir un parti qui se revendique communiste, et même quand il ne l’est pas car dans l’histoire sociale c’est un repère, une identité pour une partie de la population. Mais sa disparition, c’est aussi quelque chose de positif dans le fait que c’est la fin d’une structure bureaucratique. Il n’y a plus d’illusion sur le PCF. C’est un groupe qui n’apporte plus rien. Lutte Ouvrière, je les ai connus à la fac et ils soutenaient l’UNEF dans le mode de fonctionnement. Ils n’avaient pas de grosse remise en question du système. Si certaines personnes s’identifiaient encore au PCF, personne ne s’identifiait à LO.
Le NPA est pour moi un parti d’élections, dont les revendications immédiates sont intéressantes mais qui n’a pas de débat de fond. Ils veulent seulement prendre la place du PCF voire même celle du PS.
VP : Qu’est-ce qui te révolte le plus aujourd’hui, autour de toi, dans le monde ?
L : Ce qui me révolte le plus, c’est l’aliénation des masses de manière générale : la quête du bien-être individuel. Le capitalisme a gagné sur le plan de la consommation et sur l’image de soi. Et la précarité ajoutée à cela fait que tu te sens de moins en moins à même de lutter.
M : Moi, c’est le fait qu’on laisse tomber les jeunes. C’est comme s’ils n’avaient plus d’avenir. On les traite de délinquants, de fainéants et de voyous .
VP : Quel est à ton avis la solution pour les ouvriers, syndicalement et politiquement ?
L : Il faudrait déjà que les ouvriers s’emparent des luttes et qu’elles soient inscrites syndicalement et politiquement. Syndicalement, il faut s’emparer des syndicats. Politiquement, il faut construire un parti.
M : Il faudrait déjà que je me syndique, mais souvent je ne sais pas quoi répondre aux gens, sur le racisme, sur plein d’autres sujets. Il faut juste une direction pour mes lectures : je veux me former politiquement et syndicalement.
La division sociale du travail
Avant l’ère industrielle, le travail domestique des femmes était reconnu et donc considéré comme utile. Les femmes avaient des tâches de production visibles, comme par exemple filer la laine, faire les tissus et fabriquer les vêtements, traire les vaches et transformer le lait en produits laitiers…. De ce fait, la division sexuelle du travail n’était pas hiérarchisée mais complémentaire. Le travail de l’homme en dehors du foyer et celui de la femme à l’intérieur étaient tous deux essentiels à la survie du ménage. D’ailleurs, selon Angela Davis (dans « Femmes, race et classe »), les femmes de l’ère pré-industrielle avaient des contraintes de production qui leur laissaient peu de temps pour les tâches dites aujourd’hui ménagères. « Au lieu de nettoyer tous les jours ou une fois par semaine, elles faisaient le nettoyage de printemps. Les repas étaient simples et peu variés ; les vêtements se portaient longtemps et le linge sale pouvait s’accumuler jusqu’à la lessive mensuelle, voire trimestrielle dans certains foyers ». Progressivement, l’industrialisation du textile, de l’alimentation, etc…. a confisqué aux femmes tout ce travail productif visible, c’est-à-dire leur rôle économique au sein de la famille. Ne leur sont restées que les tâches ménagères invisibles : vous savez, celles qui ne sont remarquées que lorsqu’elles ne sont pas faites ! Ce travail, qui ne dégage aucune plus-value, fut donc considéré comme inférieur au travail salarié. Et de fait, ce travail, même effectué dans le cadre du salariat, était dévalorisé, entaché de l’inutilité sociale dévolue aux tâches domestiques puisqu’il ne faisait que remplacer le travail gratuit qu’étaient censées faire les femmes de la bourgeoisie. Aujourd’hui, nous voyons bien à quel point les métiers du nettoyage sont méprisés, sous-payés, tributaires de cette dévalorisation du travail des femmes. La lutte contre le capitalisme ne doit pas s’arrêter à des considérations économistes. Elle doit prendre en compte les aliénations, dont celle de la place de chacun dans la production. Nous devons détruire la division sociale des tâches dans la famille comme dans l’usine.
P.-S.
