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Interview de Varavara Rao, intellectuel et communiste indien

Partisan N°278 - Novembre 2014

Varavara Rao, né en 1940, est un militant communiste, sympathisant naxalite, poète renommé, journaliste, critique littéraire et orateur, originaire de l’Etat de Telangana. Il a passé près de 18 ans de sa vie en prison. Par Anil Kumar pour The New Indian Express - 26 août 2014

LE GOUVERNEMENT FAIT LA GUERRE CONTRE LES MAOÏSTES SUR L’ORDRE DES ENTREPRISES

AK : Quelle a été la raison pour le lancement du Forum for Alternative Politics ?
VV : Le Forum for Alternative Politics a été formé pour unir toutes les forces se révoltant contre le modèle de développement mondial et pour résoudre les problèmes de longue date auxquels sont confrontées diverses sections de la société. Le forum fournira une alternative aux politiques actuelles.
AK : La transition du scénario politique actuelle vers votre proposition est-elle possible ?
VV : Certainement. En fait, ce n’est pas une transition mais une révolution. Nous voulons reproduire le concept de ‘Janata Sarkar’ *1 qui a été réalisé avec succès dans des parties de la région du Dandakaranya. Les People’s War Group (PWG) *2 construisent des routes en ciment et en béton, installent des écoles et fournissent des équipements médicaux aux tribaux dans les poches intérieures du district du Bastar, au Chhattisgarh. Ils encouragent ‘l’autonomie’ dans ces hameaux.

 


AK : Au moment où le mouvement communiste perd de son lustre et est devenu faible dans le pays, l’alternative que vous proposez obtiendra-t-elle l’approbation ?
VV : Absolument. Les communistes *3 sont devenus faibles, pas les révolutionnistes *4. En fait, ils se sont révélés plus forts ces dix dernières années. Les dirigeants maoïstes abordent la situation avec une stratégie sur trois fronts de prise de conscience parmi les sections réprimées dans les ceintures tribales, d’augmentation de la participation des masses contre l’état et d’intensification des attaques armées. Le parti *5 travaille déjà à la libération du Jharkhand, du Chhattisgarh, de régions de l’Orissa, du Bihar et du Bengale occidental. Nous croyons que les communistes appliquent des politiques néo-libérales. Le gouvernement CPM *6 au Bengale occidental a mis en place de nouvelles politiques économiques pendant trente ans. Nous les avons combattues aussi.

 

AK : Avec le gouvernement Modi au pouvoir central, vous attendez-vous à un quelconque changement dans la politique maoïste ?
VV : Pas du tout. En fait, le gouvernement Modi *7 projette de déclencher une guerre totale contre les rebelles maoïstes et les gens dirigés par eux dans différentes régions du pays. Le Centre a déployé d’importants contingents de personnel de la sécurité dans les zones du centre et de l’est de l’Inde, y compris le Chhattisgarh, l’Orissa et le Jharkhand. Le gouvernement Modi bâti une hystérie guerrière contre les rebelles maoïstes sans se soucier du fait que l’attaque serait dirigée contre certains des habitants les plus défavorisés du pays. En fait, ceci est en train de devenir une guerre de l’état contre son propre peuple. La guerre imminente du gouvernement pour expulser les tribaux de leurs villages est à vrai dire menée sur l’ordre de certains organes d’entreprises qui veulent contrôler et piller nos ressources. Il est grand temps que nous reconnaissions ce schéma de guerre dans lequel les pauvres luttent des deux côtés, et où les bienfaits n’atteignent que les capitalistes et leurs partisans au gouvernement. Nous pouvons nous attendre à des conflits violents entre les forces du gouvernement et les maoïstes dans le futur proche.

 

AK : Le gouvernement TSR a récemment annoncé qu’il voulait attribuer trois acres de terre et d’autres avantages aux pauvres sans terre. Ces mesures sont-elles suffisantes pour alléger la pauvreté ?
VV : Notre point de vue est totalement différent de ce que le gouvernement TSR projette de faire. Il prévoit d’acheter des terres aux propriétaires fonciers et de les distribuer parmi les sans terre. Tandis que notre idée est de reprendre ces terres qui ont été illégalement occupées par des propriétaires fonciers et des organes d’entreprises et de les distribuer gratuitement aux pauvres sans terre. Si on achète la terre et qu’on la distribue parmi les pauvres, seuls les propriétaires fonciers devraient y gagner et pas les pauvres. Le chef du gouvernement du Telengana *8, K. Chandrasekhar Rao déclare que son gouvernement a dépensé 1.420.000.000 roupies pour acquérir 10.000 acres de terre. Le gouvernement devrait dévoiler où et à qui il a acheté la terre.
AK : Votre opinion sur la transmission de l’ordre public d’Hyderabad au gouverneur9 et sur le projet Polavaram ? *10
VV : Nous nous opposons vivement à l’accord de pouvoirs spéciaux au gouverneur sur les recettes et l’ordre public d’Hyderabad étant donné que cela habiliterait indirectement le pouvoir central a contrôler le capital commun. KCR *11, en invitant les grands organes d’entreprises à investir au Telengana, applique le programme de la Banque Mondiale. Le Telengana est une société agraire et KCR cherche à la transformer en Singapour, ce qui n’est ni possible ni conseillé. KCR a sacrifié l’intérêt des tribaux pour le Telengana en autorisant la fusion de sept municipalités de la division de Bhadrachalam du district de Khammam dans l’Andhra Pradesh. Nous ne sommes pas pour les projets qui permettent la submersion à grande échelle des zones tribales.

 

AK : Escomptez-vous un soutien du grand public pour votre nouvelle initiative ?
VV : Certainement. Le peuple est avec nous. Il est certain que les gens accueilleront notre initiative étant donné que nous défendons l’autonomie et davantage de pouvoirs pour les sections sans terre et opprimées de la société.

 


- 1 Littéralement ‘gouvernement populaire’. Système de gouvernance parallèle mis en place par les maoïstes dans certaines zones qu’ils contrôlent. Le ‘Janata Sarkar’ est formé par une procédure électorale impliquant un groupe de villages. Il dispose de neuf départements (agriculture, éducation, justice, santé, etc) et fourni une éducation de base dans des matières telles que les mathématiques, les sciences sociales, la politique, etc.
- 2 Groupe de guérilleros dépendant de chaque Janata Sarkar. Outre les opérations militaires, les guérilleros travaillent à l’amélioration du quotidien des tribaux en les aidant dans leurs tâches quotidiennes et dans les travaux d’infrastructure.
- 3 Ici, Anil Kumar parle des partis communistes révisionnistes tels que le CPI(M) ou le CPI
- 4 Interprétation de la traductrice : l’auteur évite d’utiliser le terme ‘révolutionnaires’ pour de multiples raisons liées à la contre-révolution, et donc utilise le mot ‘révolutionnistes’.
- 5 Le Communist Party of India (Maoist)
- 6 Le Communist Party of India (Marxist) est abrégé par les initiales CPI(M) ou CPM. Ce parti, à la tête d’une coalition appelée ‘Left Front’ est resté au pouvoir au Bengale occidental entre 1977 et 2011 de manière quasi continue.
- 7 Narendra Modi a été élu en mai dernier à la tête du gouvernement central de l’Inde. Membre du parti de droite nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party, il a été ministre en chef de l’état du Gujarat de 2001 à 2014.
- 8 Le Telengana Rashtra Samithi est un parti régional de l’état du Telengana. Ce dernier a acquis sont indépendance en tant que 29ème état de l’Inde le 2 juin 2014 et est depuis lors dirigé par le TRS.
- 9 Il s’agit d’une des clauses du Andhra Pradesh Reorganisation Act lequel approuve la création de l’état de Telengana. Cette loi déclare Hyderabad capitale du nouvel état, mais la ville reste également capitale de l’Andhra Pradesh. Elle obtient donc un statut de capitale commune sous la supervision du gouverneur, ce qui a soulevé une vague de désapprobation.
- 10 Projet polyvalent d’irrigation qui prévoit la construction d’un grand barrage pour la création de réservoirs d’eau. Ce projet, initié au début des années ’40 mais confronté à de multiples freins tant environnementaux que militants, entraînerait le submersion de 276 villages et le déplacement de près de 50.000 familles
- 11 Chef du gouvernement du Telengana cité plus haut, K. Chandrasekhar Rao
Traduction : J. Adarshini
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