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Les nouveaux partisans : histoire de la Gauche Prolétarienne

Ouvrage collectif publié par d’anciens militants de base, « Les nouveaux partisans, histoire de la Gauche Prolétarienne » aborde l’histoire de ce groupe révolutionnaire se réclamant du maoïsme né de l’après Mai 68, histoire qui demeure pour une grande partie soit niée, soit falsifiée. L’intérêt premier de ce livre, tournant explicitement le dos à la réécriture et la nostalgie des souvenirs personnels, c’est de nous offrir un accès direct à des documents bruts et à une chronologie détaillée et commentée de la période 1968-1974 qui nous permettent de mieux comprendre et appréhender ce que fut la ligne politique de la Gauche Prolétarienne (GP) et de la Cause du Peuple (CdP - journal de la GP).
Car nous ne sommes pas nous-mêmes étrangers à cette histoire, notre organisation l’OCML Voie Prolétarienne s’étant constituée en 1976 sur la base d’une double critique des organisations marxistes-léninistes (ML) de l’époque : celle du dogmatisme [1], comme le PCMLF (Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France), et celle du spontanéisme [2], comme la GP – CdP.

 

Ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est que le dénommé « mouvement de mai 68 » n’est limité ni à mai-juin, ni au Quartier Latin, ni même à la grève générale.
Nous sommes alors encore dans les développements de la Révolution Culturelle [3] qui secoue la Chine et le mouvement communiste dans le monde depuis 1966. Cet événement majeur a un retentissement important en France où une fraction de la jeunesse s’est par ailleurs politisée contre les guerres coloniales et notamment dans le soutien aux luttes de libération nationale en Algérie et au Vietnam. Un puissant mouvement populaire de contestation de l’ordre bourgeois va marquer la période jusqu’au milieu des années 70, dans lequel émerge une nouvelle radicalité ouvrière. La GP sera l’expression de cette radicalité mais sans jamais se situer dans la perspective de regrouper les éléments avancés et de construction d’une organisation communiste.

 

Voulant trancher avec le dogmatisme du PCMLF et d’autres groupes ML, la GP va au contraire se diluer dans le mouvement. Son refus du centralisme-démocratique [4] (les militants n’adhéraient pas à la GP, qui avait donc elle-même la forme d’un « mouvement ») favorise alors une direction hyper centralisée qui pouvait décider de tout, jusqu’à la dissolution qu’elle prononcera brutalement en 1973.
Sur cette base organisationnelle, la GP va développer une pratique spontanéiste exaltant la révolte tout en adoptant des formes de luttes nouvelles, basées sur l’illégalisme et l’utilisation assumée de la violence. Les cibles sont les petits chefs, les symboles impérialistes, de l’État ou du patronat. Elle exprime une forte volonté « d’en découdre », mais aussi de donner la parole aux masses, à la base, contre les bureaucrates syndicaux et « les collabos » (la référence explicite de la GP à la Résistance est permanente et le parallèle entre le fascisme et le gaullisme devient la base de sa caractérisation de la période).

 

Elle pose l’action politique en terme d’affrontement direct contre la collaboration de classe, en matérialisant les camps et en rappelant qu’ils sont « antagoniques ». Mais son analyse de classe est confuse et s’appuie notamment sur la thèse « plus exploités = plus révoltés = plus révolutionnaires », ce qui la conduit à idéaliser les luttes spontanées des OS (Ouvriers Spécialisés). Pour autant, l’intervention de la GP en direction des travailleurs immigrés [5] sera déterminante et aura des prolongements bien après sa disparition formelle, notamment dans les luttes autour des foyers de travailleurs et plus largement dans l’immigration.

 

La GP reste fidèle au principe maoïste « être parmi les masses » et poursuit la pratique de l’établissement de ses militants en usine, pour beaucoup d’origine petite-bourgeoise, pratique qu’avait initié l’UJCml (Union des Jeunesses Communistes de France – marxiste-léniniste, dont la GP est issue en partie). L’établissement est une pratique juste consistant à construire une implantation militante dans la classe ouvrière mais qui nécessite qu’elle soit dirigée, ce que la forme organisationnelle de la GP ne permettait pas, pas plus qu’une conception idéaliste de l’établissement qui met en avant la transformation des militants eux-mêmes.

 

Héritière par bien des aspects d’une profonde tradition anarcho-syndicaliste [6] du mouvement ouvrier français et de l’esprit libertaire qui animait la révolte étudiante de Mai, la GP va donner une forte tonalité « anti-autoritaire » à son intervention politique, notamment dans les usines. La lutte contre la hiérarchie devient alors principale et contribue à réduire le combat de la classe ouvrière contre l’exploitation à la lutte contre le « despotisme d’usine », renvoyant le rapport de classe à un rapport individuel.

 

La parution de ce livre nous rappelle justement que l’influence de la GP s’est propagée bien après sa dissolution en 1973 (citons le mouvement autonome de 1977-79, les luttes de l’immigration et divers combats partiels notamment les mouvements antifasciste et anti-nucléaire jusque dans les années 90). Pour autant, l’organisation n’a pas survécu à sa dissolution par une poignée de dirigeants qui allaient rejoindre leur classe d’origine, la bourgeoisie.

 

Mais cette trahison n’explique pas pourquoi les militants à la base, qui dénonçaient ce coup de force, n’ont pas été en capacité de reconstituer un centre et de maintenir une activité collective. L’explication avancée par les auteurs de l’éparpillement des militants, de leur épuisement et de leur isolement (et notamment les établis), pour être réelle n’est pas suffisante.

La dissolution est prononcée autour du texte « De Besançon aux Monts Tsinkiang » (publié dans le livre), sur lequel tout le monde est d’accord, et qui prolonge encore la stratégie mouvementiste jusqu’à la dilution pure et simple de toute forme organisationnelle dans le mouvement de masse. C’est sans doute à la critique de ce texte et au bilan politique rigoureux d’une ligne anarchisante qu’il faut s’attaquer si on veut comprendre la disparition d’un groupe qui aura marqué la France de l’après-68, jusqu’à s’identifier à cette période.

 


- Les nouveaux partisans : histoire de la Gauche Prolétarienne
Par des militants de base (Al Dante, avril 2015, 17€)

 

La critique de la ligne de la GP et de la Cause du Peuple était contemporaine de son existence et de son activité. La revue politique et théorique « Communisme » publiait en 1974 un texte « Cause du Peuple : marxisme ou anarchisme ? » qui donne des éléments théoriques intéressants de critique de la ligne de la GP et notamment une critique précise du texte « De Besançon aux Monts Tsinkiang ». Nous invitons nos lecteurs qui souhaiteraient approfondir la question à consulter cet article en cliquant ICI

[1Le dogmatisme est une conception erronée du marxisme qui ne l’envisage non comme une science vivante, s’attachant à l’analyse concrète des situations concrètes, mais comme un ensemble de recettes immuables et figées, de dogmes.

[2Le spontanéisme est une conception qui accorde la primeur dans la lutte politique au mouvement spontané des masses au détriment des tâches de construction et d’organisation. Le spontanéisme est à la base du mouvementisme, orientation erronée dans la lutte de classe pour la laquelle « le mouvement est tout, le parti n’est rien ».

[3Lutte politique et mouvement de masse en Chine (1966 -1976) inspiré par Mao Zedong et qui visait à empêcher la restauration du capitalisme engagée par une partie des dirigeants chinois, et au contraire à approfondir la construction du socialisme. Voir l’article « Le sens de notre référence au maoïsme », paru dans Partisan N°161, en ligne : http://www.ocml-vp.org/article738.html

[4Le centralisme démocratique est un mode d’organisation adopté pour la première fois par le Parti bolchevique de Lénine, qui combine la liberté totale dans la discussion et l’élaboration collective de la ligne à la discipline et l’unité totale dans l’action.

[5Les militants de la GP seront très impliqués dans le Mouvement des Travailleurs Arabes (MTA) qu’ils animaient aux côtés d’étudiants arabes et de travailleurs immigrés. Le MTA, qui manifestait pour la première fois la volonté d’auto-organisation des travailleurs immigrés, organisera en 1973 des grèves générales de travailleurs immigrés contre le racisme et en 1976 une grève des loyers dans les foyers de travailleurs.

[6L’anarcho-syndicalisme est un courant du mouvement ouvrier qui restreint la lutte politique du prolétariat à la lutte économique et les rapports sociaux de production au rapport ouvrier/patron dans l’atelier.

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