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La longue marche de la Révolution chinoise

1920-1960 : brève chronologie politique

Une révolution dans quelle société ?

A l’époque du moyen âge européen, la Chine était, comme elle l’est aujourd’hui, le pays le plus peuplé, la première puissance économique, en même temps que le berceau de nombreuses inventions que l’Europe prétendra ensuite avoir découvertes, comme la boussole, l’imprimerie, la poudre et le canon. Elle vivait sous un régime impérial dans lequel l’empereur était considéré comme le relais entre la société et les dieux. Le pouvoir politique et administratif, très centralisé, était exercé par les mandarins, qui étaient recrutés sur concours. S’ils étaient en partie issus de familles de paysans riches, le statut de mandarin n’était pas garanti par la naissance. Les paysans formaient la classe productive. Ils vivaient regroupés en villages relativement cloisonnés. Selon les époques, la terre, qui en principe ne se transmettait pas par héritage, a été plus ou moins concentrée. La dynastie Tang (618-907) avait fait une réforme agraire au détriment des grands propriétaires et supprimé le fermage. Au 15e siècle, un autre empereur fit de même. Le mode de production avait des similitudes avec le système féodal européen, mais s’en distinguait par l’organisation centralisée, l’importance de la bureaucratie d’Etat, et le rôle de ce dernier dans la mise en œuvre de grands travaux [1]. Marx a évoqué à son propos un mode de production asiatique [2].

Au début du XXe siècle la Chine est en crise économique et politique. L’organisation traditionnelle de l’Etat et de la société s’est fortement dégradée. Au XIXe siècle les interventions des puissances impérialistes réduisent la Chine à un statut de « semi colonie ». Elles le peuvent en s’appuyant sur la corruption des mandarins et sur la faiblesse économique et militaire du pays dont le développement a été entravé par leur conservatisme. Par des interventions militaires, l’Angleterre [3], la France, l’Allemagne, la Russie, parviennent à imposer à la Chine, l’abandon de sa souveraineté sur de nombreux ports, son ouverture aux investissements étrangers ainsi qu’aux missionnaires, et la prise de contrôle de fonction d’Etat, comme les douanes [4].

Alors que les propriétaires fonciers ont accru leur contrôle de la terre, les interventions impérialistes suscitent de nombreuses révoltes paysannes, dont la principale est celle des Taiping [5]. Bien que mue par une forme de mysticisme religieux, elle exige le retour à la communauté villageoise ancienne, porte des revendications égalitaires (sur la terre et ses ressources, égalité entre hommes et femmes). Elle est écrasée avec l’appui des puissances impérialistes, comme le sera plus tard celle des Boxers [6] nationalistes.

En 1911, par le soulèvement d’une garnison, le régime impérial est mis bas, et la république instaurée. Mais la bourgeoisie chinoise, dont le développement est entravé par la mainmise des impérialistes sur les principaux secteurs économiques, est trop faible pour instaurer un régime politique stable. La Chine se fractionne alors en un ensemble de pouvoirs provinciaux contrôlés par des « seigneurs de la guerre », organisés en cliques rivales [7]. Profitant de l’instabilité les propriétaires fonciers liés aux chefs de guerre accroissent leurs possessions [8]. Ainsi paradoxalement, c’est la victoire formelle d’une bourgeoisie faible qui fait basculer dans un système économique et politique très proche de la féodalité classique.

Le mouvement national et la création du PCC

Le marxisme a pénétré en Chine par suite de l’impact de la révolution bolchevique sur la jeunesse nationaliste éduquée.

En 1915, un jeune intellectuel, Chen Duxiu [9], qui sera le premier dirigeant du PCC, avait lancé la revue Nouvelle Jeunesse. Le 4 mai 1919, alors que le Japon a des visées sur la Chine, 3 000 étudiants se réunissent à Pékin ; ils rédigent un manifeste qui proclame : « Le territoire de la Chine peut être conquis, mais il ne peut être donné ! Les chinois peuvent être tués, mais ils ne veulent pas être soumis ! Notre pays risque sa perte ! Citoyens, mobilisez-vous ! ». Outre le traité de Versailles, les nationalistes chinois dénoncent donc les prétentions du Japon, symbolisées par ses Vingt et une demandes. S’ensuit une vague de manifestations nationalistes et de grèves à travers la Chine. Les marchands décrètent le boycott des produits japonais. Les premières grèves ouvrières ont lieu, dont une, générale, à Shanghai, paralyse l’économie. Les étudiants dénoncent également le poids des traditions et l’oppression des femmes. Comme beaucoup de jeunes, c’est dans ce mouvement que Mao est venu au marxisme.

Ce sont ces intellectuels qui fondent en 1921 le parti communiste chinois. Il croît rapidement, dans la classe ouvrière par une activité syndicale qui lui permet de se lier à une classe ouvrière encore très faible, mais déjà active dans les villes industrielles. En 1922-1923 de nombreuses grèves ont lieu, notamment dans le port de Hong-Kong, paralysé par une grève de 100 000 ouvriers et employés entre janvier et mars 1922. Mais le mouvement syndicaliste chinois se heurte aux seigneurs de la guerre davantage qu’aux Occidentaux ou aux Japonais. En 1923, l’un d’eux réprime brutalement la grève des chemins de fer de la ligne Pékin-Hankou. En 1925, les ouvriers des usines étrangères déclenchent une grève qui dure 3 mois, et un blocus de Hongkong, colonie anglaise, qui dure 16 mois. Conformément au modèle bolchevik, le PCC privilégie le travail parmi les ouvriers, et s’il ne néglige pas totalement le rôle possible de la paysannerie, n’en fait pas sa cible prioritaire. Elle constitue plus de 80 % de la population du pays.
Au début des années 1920, le PCC ne compte guère plus de 1000 membres. La force dominante dans le camp anti-impérialiste est le Kuomintang, parti fondé par Sun Yat Sen, leader de la révolution qui mit fin au régime impérial en 1911.

1927 : Revers pour la révolution, amorce d’une voie nouvelle

Mais le Kuomintang se méfie des communistes. En mai 1926, tous les communistes sont évincés des postes clés. En juillet 1926, le gouvernement nationaliste (Kuomintang) engage une campagne dite « expédition du Nord » contre les seigneurs de la guerre liés aux impérialistes. Elle est un succès. Le bassin du Yangzi est reconquis, grâce à l’action des organisations paysannes et ouvrières dirigées par les communistes. La droite du Kuomintang est menacée par les organisations paysannes qui s’en prennent aux propriétaires fonciers. En avril 1927, Tchang Kai-check, dirigeant militaire du Kuomintang, liquide les organisations ouvrières qui ont permis son entrée dans Shanghai. L’orientation suivie a conduit les communistes à sous-estimer le danger. La répression fait 35.000 à 40.000 victimes communistes entre avril et décembre. En dépit de cet échec dramatique, le PCC a accru son influence [10]. Mais il en reste à la tactique révolutionnaire qui avait réussi au PC russe : l’insurrection ouvrière urbaine. Il sous-estime le rôle des paysans dans la révolution démocratique et nationale.

L’IC, après avoir compté, en vain, sur un appui de la gauche du Kuomintang, fait son deuil de cette tactique. Elle lance alors le PCC dans des actions insurrectionnelles aventuristes dans les villes, telles que Canton, au cours de l’automne 1927. Elles se soldent par de nouveaux échecs.

En 1927, Mao amorce la rupture avec cette stratégie. Tirant des leçons de ces échecs, il propose une ligne opposée à celle des dirigeants du PCC qui continuent d’appliquer l’orientation de l’IC. Son enquête dans le Hunan [11] lui permet de mesurer le potentiel révolutionnaire des exploités de la campagne et leur rôle fondamental dans la révolution chinoise : la ville ne peut pas être en Chine le front principal de la lutte révolutionnaire. La révolution ne doit plus se concentrer dans les villes ; et les campagnes doivent encercler les villes. Il dit aussi qu’à l’époque de la révolution socialiste mondiale il est possible qu’une révolution, dont la force principale est les exploités des campagnes, soit dirigée par le prolétariat (force dirigeante)

Il n’abandonne pas le front uni avec les forces nationalistes contre les classes liées à l’impérialisme et aux propriétaires fonciers, mais le subordonne à l’indépendance politique militaire du PCC. Dans les années 1930, en s’appuyant sur les spécificités politiques et sociales de la Chine, il est possible de créer des zones rouges (sous contrôle du parti et de l’armée rouge). Il en énonce les conditions dans le texte « Pourquoi le pouvoir rouge peut exister en Chine » [12]. De 1927 à 1934, plusieurs bases de guérilla communistes sont établies dans le sud.

1934-1935 : La Longue Marche et la victoire de la politique maoïste

Mao dès 1927 organise dans la base rurale du Jiangxi une armée révolutionnaire. Formée de paysans pauvres, elle est dirigée par le parti. Sa tactique est fondée sur des « bases révolutionnaires », et « l’encerclement des villes par la campagne ».

Au comité central (CC) du Parti, qui conçoit les bases révolutionnaires comme des embryons d’Etat dont l’armée doit garantir les frontières, Mao défend une tactique de mobilité : « L’Armée rouge ne se bat pas pour se battre, mais uniquement pour faire de la propagande parmi les masses, pour organiser les masses, pour aider les masses dans l’établissement d’un pouvoir politique ». Aussi lorsqu’en 1934, le Kuomintang lance une offensive pour anéantir les bases révolutionnaires, le CC veut les défendre comme des citadelles. Sous l’impulsion de Mao, les forces communistes brisent l’encerclement et entament en octobre une marche d’un an et de 10.000 km (la Longue Marche) qui sauve le Parti et essaime ses idées parmi les masses. Après ce succès Mao est élu à la tête du Parti.

En 1936, le Japon étend son emprise sur la Chine. Contre lui, le PCC propose un front uni au Kuomintang. Cette tactique répond à une aspiration profonde des masses chinoises. Elle est si forte au sein du Kuomintang même, qu’une de ses armées, menace de tuer Tchang Kai-Check qu’elle a fait prisonnier, s’il refuse de faire front contre le Japon avec l’Armée Rouge.

1941 : La lutte contre le dogmatisme et l’approfondissement de la lutte révolutionnaire

Dès la fin des années 1920, dans les zones qu’il contrôle, le PCC met en place des organes de gestion populaire, pris en main par les paysans. Le crédit des communistes s’accroît avec la mise en œuvre de réformes agraires à l’exemple de celle réalisée dans leur base de Yan’an.

En 1941, le PCC lance une campagne contre le dogmatisme et renforce la rupture avec les orientations transposées de la révolution russe. En 1963, le PCC écrira que, de la fin des années 1920 au milieu des années 1940, « les marxistes-léninistes chinois [s’étant attachés] à enrayer l’influence de certaines erreurs de Staline [puis celle des opportunistes de gauche], ils ont fini par mener la révolution chinoise à la victoire » [13].

En 1945, après la capitulation du Japon, le Kuomintang devient l’ennemi principal. Le PCC contrôle le centre et le nord du pays. En 1947, il réalise une réforme agraire expropriant sans indemnité les propriétaires fonciers. Dans les villes sous l’emprise du Kuomintang, l’opposition des intellectuels et des ouvriers se renforce mais sans prendre l’aspect d’une insurrection. Malgré le soutien des Américains, le Kuomintang est battu. Pékin est pris par l’armée Rouge en janvier 1949. Le 1er octobre 1949, une conférence politique populaire proclame la fondation de la République populaire de Chine, consacrant ainsi la victoire de la révolution démocratique ouvrant la marche au socialisme.

Années 1950 : Le socialisme et Mao

Quand le PCC arrive au pouvoir porté par une révolution démocratique et nationale, il n’a pas d’autre conception du socialisme que celle de l’URSS : mécanisation de l’agriculture, développement de la grande industrie, rôle éminent des cadres et des experts au détriment des masses. Mais le PCC se divise bientôt sur l’orientation à suivre. Mao impose une politique de socialisation à la campagne qui s’appuie sur la mobilisation et l’adhésion des masses et non sur la mécanisation (réforme agraire, puis coopératives enfin communes populaires). Les révoltes ouvrières en Pologne et en Hongrie en 1956 amènent le PCC et Mao à une première réflexion sur l’expérience socialiste et à traiter autrement que dans les pays de l’Est les contradictions au sein du peuple, qui débouchera sur le texte « De la juste solution des contradictions au sein du peuple » [14].

En 1958, alors que les divergences s’affirment avec l’URSS (qui retirera en 1960 son assistance à la Chine), Mao lance le Grand Bond en Avant avec la volonté de stimuler la production industrielle et agricole et la collectivisation par la mobilisation des masses. Les résultats ne sont pas ceux attendus. C’est un échec qui permet à ses opposants de reprendre la direction du parti. Mao reconnaît lui-même s’être peu intéressé aux questions économiques. Nulle trace dans sa réflexion d’une connaissance approfondie des textes économiques de Marx qui soulignent que l’ampleur et la vitesse des transformations ne tiennent pas seulement à la subjectivité des masses (leur conscience, leur détermination), mais sont conditionnées par les connaissances, les capacités productives, les rapports sociaux, accumulés par les générations passées. Quand Mao affirme en 1958, que « le peuple chinois […] possède deux particularités remarquables ; il est pauvre et blanc. […] Ceux qui sont pauvres veulent […] faire des efforts, ils veulent faire la révolution. Sur une page blanche rien n’est écrit ; on peut y écrire les mots les plus neufs et les plus beaux », il pêche par idéalisme. Aucune société n’est une page vierge.

La sous-estimation des facteurs objectifs et la prééminence donnée à la subjectivité des masses ont pour contrepartie la sous-estimation du rôle spécifique de la classe ouvrière dans le processus historique de transformation de la société.

La question du Front uni et de sa tactique

La question des alliances de classes est un problème tactique essentiel pour tout révolutionnaire puisqu’il n’a jamais été possible à la classe ouvrière de prendre seule le pouvoir. Mais c’est une question qui a toujours fait débat, car il n’est jamais facile de définir sur quoi se fonde une alliance, et surtout comment les communistes doivent agir pour l’établir, sans tomber dans des concessions opportunistes. L’expérience maoïste porte sur les conditions d’une alliance à l’étape démocratique et nationale de la révolution, mais elle peut être étendue à des circonstances actuelles.

Dans les années 1920, au sein de l’Internationale Communiste, les débats relatifs à la révolution chinoise ne portent pas sur les voies de la prise du pouvoir, ni sur le rôle de la paysannerie, mais sur le rapport aux nationalistes du Kuomintang. Il y a accord entre les deux grands courants (Staline d’une part et l’opposition de gauche, dont Trotski, d’autre part) sur la nature de la révolution chinoise. Pour tous, cette révolution est démocratique et nationale. Les divergences portent alors sur la nature des forces sociales capables de la mener et sur la nature des alliances.

A partir de 1925, Staline considère que, la révolution étant bourgeoise, c’est la bourgeoisie qui doit la diriger avec l’appui des classes exploitées. Le bloc des classes révolutionnaires, c’est le Kuomintang qui le réalise. Le PCC doit donc y participer avec le souci de préserver l’unité de ces classes, jusqu’à la révolution démocratique et nationale. La nécessaire autonomie du PC et du prolétariat est sous-estimée. Le caractère révolutionnaire du Kuomintang est surestimé, à tel point qu’en mars 1926, il est admis dans les rangs de l’IC, en tant que « parti sympathisant ». Tchang Kaï-chek est alors nommé membre honoraire du présidium du comité exécutif l’Internationale Communiste. Pour Trotski la bourgeoisie nationale est trop faible pour mener à bien la révolution à cette étape. Seul le prolétariat peut le faire. Il exige que le PCC sorte très vite du Kuomintang. II doit réaliser sa propre dictature et la paysannerie n’est qu’une force d’appoint.

Bien que Trotski ait fait une analyse plus juste de la nature du Kuomintang, sa position comme celle de Staline, condamne le prolétariat à l’impuissance politique. Staline en le subordonnant à la bourgeoisie, Trotski en l’isolant de la masse des exploités. Faible et isolé dans les villes, le prolétariat serait contraint à l’attentisme politique jusqu’à ce que le développement du capitalisme ait augmenté ses rangs ; ou à l’aventurisme insurrectionnel. Ce que fera le PCC en fin 1927 dans le Hounan et à Canton après sa rupture d’avec le Kuomintang.

Mao, tirant des leçons de ces échecs, n’abandonne pas le front uni avec les forces nationalistes contre les classes liées à l’impérialisme et aux propriétaires fonciers, mais le subordonne à l’indépendance politique et militaire du PCC. C’est-à-dire à la capacité politique, organisationnelle et militaire d’agir par lui-même, en toutes circonstances, et de peser sur l’allié de circonstance, sans craindre ses trahisons. Il le dit en de nombreuses occasions, comme en 1935, quand il définit la tactique de Front uni dans la guerre contre l’invasion japonaise de la Chine, à laquelle il s’oppose, en alliance avec le Kuomintang.

« La cause principale de la défaite de la révolution en 1927, c’est que, au temps où la ligne opportuniste prévalait à l’intérieur du Parti communiste […], on s’est contenté de s’appuyer sur un allié temporaire, le Kuomintang. Finalement, l’impérialisme donna l’ordre à ses valets […] d’étendre leurs tentacules pour attirer à eux d’abord Tchang Kaï-chek, ensuite Wang Tsing-wei, entraînant ainsi l’échec de la révolution. A cette époque, le front uni révolutionnaire ne possédait pas de pilier central, pas de forces armées révolutionnaires puissanets aussi, […] le Parti communiste dut lutter seul et ne put déjouer la tactique des impérialistes et de la contre-révolution chinoise qui était d’écraser les adversaires l’un après l’autre. »
Mao Tsé-Toung, Œuvres choisies, tome 1, page 184.

Il revient sur le sujet en 1938. Dans le même contexte, il précise comment doivent être conçues et appliqués « l’indépendance et l’autonomie au sein du front uni ». Il affirme à cette occasion que « tout par le front uni » est un mot d’ordre erroné.

Cela nous concerne aujourd’hui au moins dans trois situations :
Cette conception du Front uni s’applique de façon assez semblable aux luttes des peuples qui sont soumis à une domination coloniale, comme le sont les Palestiniens. La question est alors : à quelles conditions et jusqu’où des communistes, ou des progressistes, peuvent-ils faire front avec des forces réactionnaires, comme Hamas par exemple, contre les sionistes. Bien que ce ne soit pas à nous de définir les tactiques que doivent suivre des communistes en Palestine, nous pouvons dégager quelques enseignements de la révolution chinoise. Cette dernière démontre que l’on peut faire front avec des forces nationalistes réactionnaires, mais cela à deux conditions. La première est d’avoir conscience que l’alliance est temporaire et de circonstance, car les objectifs sociaux et politiques sont différents, bien que l’ennemi immédiat soit commun. La deuxième condition est qu’ayant conscience que l’union est de circonstance et l’antagonisme des perspectives profond, les communistes et les progressistes doivent réunir les conditions de leur indépendance, politique, organisationnelle et militaire, pour s’opposer aux trahisons ou aux retournements de l’allié.
Dans d’autres circonstances, des mouvements progressistes peuvent être en position de « Front uni » contre un ennemi que combattent aussi des puissances impérialistes. C’est le cas, par exemple, en Syrie où les militants kurdes combattant Daech sont appuyés militairement par l’aviation US et en lien terrestre avec les instructeurs américains. En Chine, les impérialistes américains soutenaient la cause nationale chinoise (eux aussi s’inquiétaient de l’expansionnisme japonais). Mais leur soutien s’adressait seulement au Kuomintang, dont ils appréciaient la politique anticommuniste. En étant dépendant d’un appui impérialiste, on risque fort d’en devenir le jouet. Aussi, à l’époque de l’impérialisme « tous les événements sont si intimement liés qu’il est impossible d’en isoler un » et que « de nos jours, l’aide internationale est nécessaire à tous pays, à toute nation qui mène une lutte révolutionnaire ». « Toutes les guerres justes se soutiennent mutuellement ». L’aide internationale ne peut être qu’une aide internationaliste de peuples, de classes en lutte contre les mêmes ennemis. L’indépendance politique, organisationnelle et militaire des peuples opprimés ne peut être renforcée que par un soutien internationaliste.
Le dernier enseignement, plus immédiat pour nous s’applique à la lutte de classe ici et à notre conception des alliances de classe. A propos de beaucoup de questions sociales, les ouvriers, les exploités, peuvent être amenés à lutter ensemble avec des couches petites ou moyennes bourgeoises contre la bourgeoisie ou les mouvements réactionnaires. Mais toutes ces classes n’ont pas les mêmes intérêts, et dans une lutte commune chacune cherche à faire valoir les siens et sa vision de la société (dans la lutte pour l’égalité hommes/femmes, contre les menaces sur la santé dues à la pollution, contre la réaction fascisante...). La question de l’indépendance ou de l’autonomie des ouvriers et des prolétaires dans l’alliance se pose alors en termes politiques. C’est la conscience des buts propres des exploités, leur organisation politique indépendante qui permet de construire des alliances qui ne sacrifient pas leurs intérêts. Au motif des intérêts communs entre prolétaires et couches petites bourgeoises ou moyennes bourgeoises sur une question, affirmer que les intérêts propres des ouvriers doivent être subordonnés à l’alliance revient à dire « tout par le Front uni », et à mettre les exploités à la remorque de la petite ou moyenne bourgeoisie.

[1La réalisation la plus connue est la « grande muraille de Chine », mais il y a eu aussi de grands travaux hydrauliques.

[2La question du « mode de production asiatique », qui n’est pas développée par Marx, a fait l’objet de nombreux débats entre marxistes au XXe siècle. Staline en a interdit l’étude dans les années 1930, considérant que les cinq étapes, société primitive, esclavagisme, féodalisme, capitalisme, socialisme, qui avaient été celles suivies en Europe occidentale, avaient une valeur universelle. Ce que Marx lui-même réfutait car il considérait déjà de son vivant que l’on avait « métamorphosé [son] esquisse historique de la genèse du capitalisme en Europe occidentale en une théorie historico-philosophique de la marche générale imposée par le destin à chaque peuple, quelles que soient les circonstances historiques où celui-ci se trouve » (Lettre en réponse à un dirigeant socialiste russe des narodniki, 1877).

[3En particulier les guerres de l’opium, engagées par l’Angleterre pour imposer à la Chine l’importation de l’opium produit par sa colonie indienne, alors que la Chine voulait l’interdire sur son territoire à plusieurs pays occidentaux. La première guerre de l‘opium se déroula de 1839 à 1842 et opposa la Chine au Royaume-Uni. La seconde se déroula de 1856 à 1860 et vit cette fois l‘intervention de la France, des États-Unis et de la Russie aux côtés du Royaume-Uni.

[4Contrôlées par l’Angleterre.

[5La révolte des Taiping a lieu dans le sud, puis le centre de la Chine, entre 1851 et 1864 ; cette révolte, dont la dynastie des Qing mit près de quinze ans à venir à bout, tire son nom du royaume que les rebelles avaient fondé, le Taiping Tian Guo, ou « Royaume céleste de la Grande Paix » . Le fondateur du mouvement, Hong Xiuquan (1814-1864), qui avait lu des brochures religieuses de missionnaires se disait frère cadet de Jésus-Christ. Il promulgua une réforme agraire après la prise de Nankin en 1853, dans laquelle il instituait de profondes réformes sociales telles que l‘égalité des sexes, l’abolition de la propriété foncière privée ; nourriture, vêtements et autres biens de consommation courante étaient mis en commun et distribués à la population selon leurs besoins par leurs chefs militaires. L‘opium, le tabac et l‘alcool étaient interdits.

[6La révolte des Boxers a été menée par la société secrète les Poings de la justice et de la concorde, société secrète dont le symbole était un poing fermé, d‘où le surnom de Boxers. Elle se déroule de 1899 à 1901. Ce mouvement, initialement opposé à la fois aux colons étrangers et au pouvoir féodal de la dynastie mandchoue des Qing qui gouvernait alors la Chine, fut utilisé par l‘impératrice douairière Cixi contre les seuls colons, conduisant à partir du 20 juin 1900 au siège des légations étrangères présentes à Pékin. C‘est l‘épisode des « 55 jours de Pékin », qui se termina par la victoire de huit nations alliées contre la Chine.

[7Ces principales cliques sont : Anhui, Zhili, Fengtian. Affaiblies après 1928, elles subsistent néanmoins jusqu’à la victoire contre le Japon.

[8Au début des années 1930, 10 % des propriétaires (3% de propriétaires fonciers, 7 % de paysans riches) détiennent plus de la moitié des terres cultivables. Les 2/ 3 de la paysannerie vit sur moins du quart. Voir : Bouissou Jean-Marie, Seigneurs de guerre et officiers rouges, Tours, Mame, 1974, 375 p.

[9Pour son rôle dans le Mouvement du 4 mai en 1919, Chen est emprisonné. À sa sortie de prison, il s’engage au sein d’un groupe communiste. Il participe à la fondation du Parti communiste de Chine en 1921 à Shanghai et en devient le secrétaire général. Alors que la politique du parti se base sur un front avec le parti nationaliste, celle de Chen Duxiu, qui est axée sur le maintien d’une position distancée envers le Kuomintang, est attaquée. Après le coup d‘État de Tchang Kai-check et la répression contre les communistes qui s’ensuivent, il est rendu responsable du désastre et en août 1927 il est obligé d’abandonner la direction du parti ; deux ans plus tard, en 1929, il est exclu du parti.

[10Voir la conclusion de : Bouissou Jean-Marie, Seigneurs de guerre et officiers rouges, Opus cit.

[11« Rapport sur l’enquête menée dans le Hounan à propos du mouvement paysan » (Mars 1927). Œuvres choisies tome 1 page 21.

[12« Pourquoi le pouvoir rouge peut exister en chine » Œuvres choisies tome 1 page 67. Mao dégage 5 conditions : 1° Cette situation ne peut se produire dans aucun pays impérialiste ; seulement dans un pays où la domination est indirecte, le pouvoir central affaibli par les conflits entre les différentes cliques, et une économie locale agricole, 2° Les expériences de la révolution démocratique dans certaines régions ont activité les masses ouvrières et paysannes, 3° Les pouvoirs locaux ne peuvent exister que si se développe une situation révolutionnaire à l’échelle nationale, 4° Une armée rouge suffisamment puissante, 5° Un parti communiste suffisamment fort.

[13« Sur la question de Staline », Renmin Ribao du 13 septembre 1963. Les Chinois néanmoins jugent encore principalement positif le rôle de Staline.

[14Mao, Œuvres Choisies, tome 5.

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