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Organisation et Révolution : leçons du mouvement ouvrier

Notre conception du Parti communiste ne s’est faite ni en un jour, ni en discutant en l’air. La forme d’organisation des communistes, la nécessité de construire un parti d’avant-garde, a émergé comme une nécessité dans la lutte des classes et dans la lutte politique, dans la confrontation avec les obstacles posés par la réalité, avec le souci de les surmonter. Nous affirmons nous que l’activité des révolutionnaires doit être subordonnée à un but, celui d’atteindre la société communiste. C’est de cet objectif que découlent notre tactique et notre stratégie, mais également notre forme d’organisation. Le Parti communiste est avant tout un parti pour le Communisme.

Aujourd’hui, l’OCML-VP a pour objectif de participer à la construction d’un parti communiste en France, un parti en rupture avec le réformisme et le révisionnisme du prétendu « Parti communiste français », mais aussi avec les conceptions trotskistes et anarchistes. Pour cela, il est nécessaire d’avoir en tête la manière dont cette idée s’est forgée historiquement.

1848 : Le Manifeste et la Ligue des Communistes

Marx, dès le début, est en désaccord avec les socialistes utopiques qui rêvent de communautés collectivistes idéales bâties par des groupes de volontaires en marge de la société capitaliste. Ces socialistes utopiques repoussent l’idée d’une organisation ouvrière pour affronter la bourgeoisie, même simplement syndicale, et refusent à plus forte raison de viser la prise du pouvoir par le prolétariat et d’abattre la bourgeoisie. Un des plus connus de ces socialistes utopiques, Proudhon, pense même que les ouvriers ne doivent pas faire grève, mais créer des mutuelles pour accéder à la petite propriété, et ainsi disparaître en tant que classe...

À ses débuts le mouvement ouvrier est en effet partagé entre d’un côté les syndicats, coopératives, mutuelles et bourses du travail, au début souvent très corporatistes, et de l’autre ces socialistes utopiques. Lorsque les militants ouvriers français, allemands ou britanniques s’organisent dans des partis, c’est souvent d’abord dans des organisations petites-bourgeoises radicales, qui ont un programme qui mélange les intérêts des petits propriétaires les plus progressistes avec des revendications ouvrières.

Dans le « Manifeste du parti communiste » de 1848, Marx et Engels critiquent ces tendances. Les deux compagnons avaient rejoint un an plus tôt la Ligue des Communistes, fondée par des ouvriers allemands à Paris. D’abord dans la lignée du socialisme utopique, la Ligue deviendra la première organisation marxiste de l’histoire, sous l’influence, bien évidemment, des deux comparses. Le « Manifeste » a été écrit pour lui servir de programme. Ils y affirment avec force que l’organisation consciente des prolétaires en tant que classe passe par leur constitution en un parti politique ; pas un parti au sens bourgeois du terme, pour les élections, mais un parti quartier général de la classe ouvrière pour l’unifier et diriger son combat pour le communisme. Ils repoussent aussi l’idée de former des sociétés secrètes de conspirateurs élitistes, coupées des masses, comme a essayé d’en constituer toute sa vie le révolutionnaire français Blanqui (qui avait au moins le mérite, contrairement à Proudhon, d’avoir cherché le renversement de la bourgeoisie).

Dans le Manifeste, ils écrivent :

« Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.
Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien.
Le but immédiat des communistes est [...] : la constitution des prolétaires en classe, le renversement de la domination bourgeoise, la conquête du pouvoir politique par le prolétariat.
Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde.
Elles ne sont que l’expression générale des conditions réelles d’une lutte de classes existante, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. L’abolition des rapports de propriété qui ont existé jusqu’ici n’est pas le caractère distinctif du communisme. »

On voit ici deux choses : pour Marx et Engels, la notion d’un « parti avant-garde » du prolétariat apparaît bien, contrairement à ce que disent ceux qui voudraient opposer Marx et Lénine. Le parti révolutionnaire ouvrier doit regrouper les prolétaires les plus déterminés et conscients, se placer à la tête de la classe, et exiger de ses membres un haut niveau d’unité politique. Dès le début, le marxisme est donc indissociable d’une certaine conception de l’organisation. La Ligue des Communistes est d’ailleurs une organisation centralisée, formée de cellules à sa base, avec un Comité central, un Congrès qui détermine la ligne de l’organisation, etc... Ses statuts frappent par leur ressemblance avec ceux d’un parti communiste tel que définis par la IIIe internationale.
Ensuite (certes avec des termes un peu alambiqués), Marx et Engels soulignent que le parti communiste n’est pas une idée sortie de nulle part, mais est le produit nécessaire de la lutte des prolétaires.

Voie Prolétarienne s’oppose à ce que nous appelons « l’anarcho-syndicalisme », c’est-à-dire l’idée que les prolétaires ne doivent pas faire de politique, car cela diviserait le prolétariat, mais doivent se contenter de défendre leurs revendications immédiates pour s’unir le plus largement, et que cela aboutira spontanément à la grève générale et à l’effondrement du capitalisme.
Marx conteste ce point de vue. Il montre que les « coalitions ouvrières » (c’est-à-dire les syndicats) prennent nécessairement, et même malgré elles, un caractère politique car en s’élargissant, elles s’opposent non plus seulement à un patron, ou aux patrons d’un branche d’industrie, mais de plus en plus au Capital dans son ensemble. Dans « Misère de la philosophie », Marx le détaille de la manière suivante :

« La coalition a toujours un double but, celui de faire cesser entre eux [les ouvriers] la concurrence, pour pouvoir faire une concurrence générale au capitaliste. Si le premier but de résistance n’a été que le maintien des salaires, à mesure que les capitalistes à leur tour se réunissent dans une pensée de répression, les coalitions, d’abord isolées, se forment en groupes, et en face du capital toujours réuni, le maintien de l’association devient plus nécessaire pour eux que celui du salaire. […] Dans cette lutte - véritable guerre civile - se réunissent et se développent tous les éléments nécessaires à une bataille à venir. Une fois arrivée à ce point-là, l’association prend un caractère politique.
Les conditions économiques avaient d’abord transformé la masse du pays en travailleurs. La domination du capital a créé à cette masse une situation commune, des intérêts communs. Ainsi cette masse est déjà une classe vis-à-vis du capital, mais pas encore pour elle-même. Dans la lutte, dont nous n’avons signalé que quelques phases, cette masse se réunit, elle se constitue en classe pour elle-même. Les intérêts qu’elle défend deviennent des intérêts de classe. Mais la lutte de classe à classe est une lutte politique. »

Marx explique ensuite que cette lutte politique n’a pas forcément un débouché révolutionnaire, mais peut servir une conception réformiste, conciliatrice, de la politique ouvrière ; il cite le Parti travailliste (Labour Party) britannique. Dans cette tendance inévitable de la classe ouvrière à se former en force politique, à devenir une « classe pour soi », c’est-à-dire consciente de ses intérêts, l’enjeu est donc de former un parti révolutionnaire.

1864 : L’AIT et l’opposition avec les anarchistes

La Ligue des Communistes est dissoute en 1852, frappée par la répression. Le mouvement ouvrier international se structure ensuite au sein de l’AIT, l’Association internationale des travailleurs. L’AIT n’est ni vraiment un syndicat ni vraiment une organisation politique : c’est un conglomérat de cercles ouvriers, de syndicats, de coopératives... de différents pays européens et d’Amérique du nord. On y trouve surtout des marxistes et des anarchistes, mais également des proudhoniens et des blanquistes. Dans celle-ci, une lutte oppose les partisans de Marx à ceux du théoricien anarchiste Bakounine.

Bakounine condamne « l’autorité » et prône la destruction immédiate de toute forme d’État. Marx défend que la tâche première du prolétariat est la conquête du pouvoir politique (Le Manifeste, chapitre II) ; la société communiste ne peut être atteinte qu’après une phase de transition socialiste au cours de laquelle, pour assurer sa dictature sur la bourgeoisie et la transformation de la société, le prolétariat devra provisoirement avoir son propre État.
La conception complètement spontanée de la révolution de Bakounine le conduit à poser paradoxalement la nécessité d’une « dictature invisible » des grands esprits révolutionnaires, qui doivent former une confrérie secrète assujettie à une stricte discipline. C’est une conception conspiratrice de l’action révolutionnaire, proche du blanquisme par certains aspects. Si les révolutionnaires ne se transforment pas en nouveaux chefs, ce sera uniquement grâce à leurs vertus morales personnelles, et non pas grâce à leurs liens aux masses, au contrôle assuré par celles-ci, ou par la lutte idéologique permanente. Les marxistes trouvent cela idéaliste. Pour ces derniers, toute rupture avec l’ordre existant, qui se maintient lui-même par la contrainte, est forcément un processus violent et autoritaire, mais dirigé contre la bourgeoisie. La politique et les institutions bourgeoises ne peuvent être combattues que par l’établissement de la dictature révolutionnaire du prolétariat, la prise en main progressive de tous les rouages de la société par les masses.

Pour cela ils doivent avoir un instrument, une organisation forte et centralisée, qui doit se fixer pour objectif la prise du pouvoir. Pour les anarchistes, l’AIT devait être une organisation fédéraliste, constituée sur un programme de revendications économiques minimales, sans aborder les questions politiques. Pour les marxistes, l’AIT doit élaborer un programme, et chercher à consolider son unité politique et organisationnelle. Par ailleurs, Bakounine et ses alliés forment une organisation secrète parallèle dans l’AIT [1].

1871 : La Commune de Paris

En 1871 vint la Commune de Paris. Marx suit l’affaire de manière très attentive. Dans « La guerre civile en France », Marx salue la Commune comme la première expérience de pouvoir prolétarien, sa « forme enfin trouvée » : celle des ouvrières et ouvriers réunis en assemblée, en armes, excluant les exploiteurs, remplaçant la bureaucratie de l’État bourgeois par ses propres structures de pouvoir. Cela durera un peu plus de deux mois, avant d’être réprimé dans le sang.

Marx dégage plusieurs raisons à son échec. Premièrement, les Communards n’ont pas su ou pas pu, tisser une alliance avec la paysannerie, majoritaire dans la population ; les tentatives communardes ayant échoué dans d’autres grandes villes de France, la Commune de Paris est restée isolée. Ensuite, ils n’ont pas cherché coûte que coûte à abattre le pouvoir d’État, à marcher sur Versailles, où se trouvait réfugié le gouvernement réactionnaire de Thiers, qui a pu tranquillement organiser la contre-révolution.

Enfin, le prolétariat parisien a manqué d’un parti révolutionnaire. Les forces de la Commune sont disparates, en désaccords, mal préparées. Différentes couches sociales et courants politiques la composent, ouvriers et petits-bourgeois, chacun avec son programme. Par ailleurs, le pouvoir est dispersé entre le Comité central de la Garde nationale, le Conseil de la Commune, et d’autres encore, qui malgré les bonnes volontés donnent des consignes contradictoires. Les Communards ont perdu du temps en discutant sans cesse. Il aurait fallu une centralisation politique pour réorganiser efficacement l’économie, assurer une répression intraitable des éléments bourgeois, être capables de prendre vite les décisions stratégiques, organiser efficacement la Garde nationale... Le sort de la Commune aurait pu, de cette manière, être différent. Il aurait fallu une organisation qui aurait permis 1) la centralisation du pouvoir politique, et 2) une direction prolétarienne ferme. Faute de pouvoir ouvrier fort, la Commune a laissé la réaction s’organiser au cœur même de Paris et à ses portes.

Il aurait fallu ainsi au prolétariat parisien plusieurs années de préparation et d’organisation, mais il ne les a pas eues. La spontanéité n’est pas suffisante face à un appareil d’État fort. Depuis Napoléon Ier, chaque régime a renforcé la bureaucratie de l’État, sa police, son armée. Face à cela, pour les marxistes, aucun doute que le prolétariat a besoin d’une organisation politique solide, centralisée, qui serve de quartier général, pour être à la hauteur de l’affrontement avec l’ennemi. Ce qui était possible en 1789 ne l’est plus en 1871.

Avant la Commune, les représentants de l’AIT, Varlin et Frankel, ont bien tenté de regrouper dans une organisation unifiée les ouvriers révolutionnaires. En son absence, Varlin estime que c’était une folie de proclamer la Commune, du fait de l’état d’impréparation et d’inorganisation de la classe ouvrière. Marx est du même avis. Cependant, Varlin sera un membre actif du Conseil de la Commune, et même si elle semblait condamnée à l’échec, il était du devoir des révolutionnaires d’en être.

Au Congrès de La Haye de l’AIT (1872), les marxistes exposent les leçons de l’échec de la Commune. Le rôle de chaque section nationale doit être maintenant de créer des partis ouvriers révolutionnaires forts. L’article 7 des statuts dit : « Dans sa lutte contre le pouvoir collectif des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes dominantes. »

XIXème siècle : Les partis ouvriers en France et en Allemagne

Il a fallu du temps pour que les ouvriers avancés et combatifs prennent conscience de la nécessité de créer des partis spécifiquement ouvrier. En Allemagne, en 1863, apparait l’ADAV, fondée notamment par Ferdinand Lassalle [2]. Il s’agit d’une organisation réformiste. En 1869, les marxistes fondent le SDAP. Les deux partis sont le prolongement politique du mouvement syndical. Ils fusionnent pour former le SPD, en 1875. « Marxistes » et « Lassaliens », pour fusionner, ont cherché le compromis ; Marx critique la manière dont s’est faite cette unité Dans sa « Critique du Programme de Gotha », il pointe les concessions réformistes du nouveau programme. Alors que les Lassaliens en appellent systématiquement à l’État, Marx dénonce entre autres le fait que le programme ne parle quasiment pas de l’auto-organisation du prolétariat. Il ne sépare pas nettement le programme révolutionnaire, possible uniquement par la prise du pouvoir des mains de la bourgeoisie, des revendications immédiates réalisables dans la société capitaliste, faille dans laquelle s’engouffre le réformisme. On remarque au passage que le « Programme de transition » cher aux trotskystes reprend cette confusion [3].
Certes les ouvriers combatifs souhaitaient cette unité entre les deux partis, mais pour Marx, un programme doit être cohérent et ne doit pas être le fruit d’un marchandage pour mettre d’accord artificiellement des factions opposées : c’est comme cela qu’on obtient un programme qui se contredit. Cette unité porte les germes de la scission. C’est à ce propos que Marx aura la fameuse phrase : « Tout pas en avant d’un mouvement réel est plus important qu’une douzaine de programmes » : cela ne signifie pas qu’il ne faille pas de programme, mais qu’un programme doit sanctionner un degré d’unité politique réel. Le programme doit donner un indice de l’état d’avancement du parti. S’il y a nécessité de s’unir, il faut passer des accords en vue de réaliser des buts pratiques, mais il ne faut pas brader les principes. Pour Marx, le parti ouvrier révolutionnaire doit exiger de lui-même un haut niveau d’unité doctrinale et politique : « La lutte de parti donne des forces et de la vitalité au Parti, la meilleure preuve de faiblesse d’un parti, c’est sa position diffuse et l’effacement des frontières nettement tracées ; le Parti se renforce en s’épurant. »

Le processus sera le même en France, où l’organisation du mouvement ouvrier a beaucoup de retard sur l’Allemagne : les différents courants du socialisme français (marxistes, proudhoniens, blanquistes), réformistes et révolutionnaires, fusionneront pour former la SFIO en 1905. A cette époque, le courant révolutionnaire est représenté par Jules Guesde. Guesde avait fondé en 1882 le premier parti marxiste de France, le Parti ouvrier français (POF) [4].

En Allemagne comme en France, le marxisme finit par s’imposer comme l’idéologie officielle dans les partis ouvriers. Cependant, cela ne signifie pas que ces partis sont devenus unanimement révolutionnaires ; c’est simplement que les réformistes se cachent désormais sous le masque du marxisme, qu’ils tentent de déformer, notamment en gommant l’idée de dictature du prolétariat. C’est ce que fait Jaurès, qui sera le leader de l’aile droite de la SFIO. En France, le marxisme est allègrement (jusqu’à aujourd’hui) mêlé au républicanisme, au jacobinisme.

À l’inverse des autres partis socialistes européens, la SFIO est un parti peu centralisé, laissant une grande autonomie à ses élus et aux échelons locaux. Sa direction ne dispose que de maigres moyens humains et financiers d’autant que, contrairement à ses homologues britannique et allemand, elle ne peut s’appuyer sur les organisations syndicales, lesquelles défendent leur indépendance (Charte d’Amiens [5]). C’est le chef du groupe parlementaire et directeur du quotidien l’Humanité (qui sera d’abord le journal de la SFIO), Jaurès, qui apparaît comme le véritable chef du parti. Le poids des élus et des journalistes dans le parti sera la base matérielle du réformisme.

L’aile gauche de la SFIO, marxiste, est marqué par le guesdisme. Jules Guesde a eu le mérite d’être en France, aux côtés de son camarade Lafargue, le premier vulgarisateur et diffuseur du marxisme dans la classe ouvrière. Très tôt, ils se sont opposés au réformisme de Millerand [6] ou Jaurès, conseillés en cela par Engels jusqu’à sa mort. A l’occasion d’une scission entre marxistes et réformistes en 1882, Engels aura d’ailleurs ces mots :

« Les éléments incompatibles se sont séparés. Et cela est bon... Il semble que chaque parti ouvrier d’un grand pays ne puisse se développer que par une lutte intérieure comme cela est généralement de règle dans les lois dialectiques de l’évolution. » [7]

On reconnaît très clairement dans cette phrase l’idée selon laquelle « la lutte de ligne est le moteur de la construction du parti », qui n’est donc pas une invention fantaisiste de Mao Zedong (comme lui reprocheront plus tard les révisionnistes), mais bien une conception marxiste fondamentale.

Cependant, Guesde a une maîtrise superficielle du marxisme. Il a tendance à réduire ses concepts (comme l’exploitation) à des slogans d’agitation, sans étudier et expliquer leur contenu avec rigueur, avec donc une tendance au moralisme, à réduire le communisme à un désir d’égalité parfaite. La philosophie de Marx et Engels est réduite au matérialisme historique, le matérialisme dialectique [8] est éclipsé. Cette déviation s’est d’ailleurs perpétuée dans le mouvement trotskyste pour qui l’analyse en termes de contradictions est difficile (par exemple l’analyse de l’URSS comme Etat ouvrier dégénéré en voyant l’aspect principal de la société dans la forme juridique et non dans la place des classes réelles dans la production).
Le marxisme dogmatique, superficiel, du guesdisme a été paradoxalement la porte ouverte à l’opportunisme. C’est sous cette forme que le marxisme s’imposera formellement dans la SFIO. Sans le matérialisme dialectique, le guesdisme est incapable de faire l’analyse concrète de la situation concrète ; d’un côté la SFIO parle de renversement de la bourgeoisie dans son programme, mais de l’autre ses élus adoptent des comportements tout à fait bourgeois. Par ailleurs, il ne voit pas le passage du capitalisme au stade impérialiste, ce qui aura des conséquences dramatiques à l’approche de la Première guerre mondiale ; le guesdisme (et Guesde avec lui) s’accrochera au concept périmé de « défense nationale » pour justifier le soutien de la SFIO au militarisme français.

Les partis ouvriers à l’époque de l’impérialisme

A ce moment, la lutte entre les lignes ouvrières et bourgeoises dans les organisations ouvrières ne prend plus la forme d’une lutte entre idéologies ouvertement opposées, mais d’une lutte pour empêcher la révision du marxisme. Cela change la forme de la lutte de lignes.

Par ailleurs, c’est l’époque où le capitalisme atteint son stade impérialiste en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, etc. Cela change beaucoup de choses sur la conception marxiste du monde, la stratégie des partis ouvriers, mais également leur composition sociale.

Revenons à la question de l’impérialisme, à la manière dont ce développement du capitalisme influence les organisations ouvrières. Dans la préface de son livre « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », Lénine écrit :
« Le capitalisme a assuré une situation privilégiée à une poignée d’États particulièrement riches et puissants, qui pillent le monde entier par une simple "tonte des coupons".
On conçoit que ce gigantesque surprofit (car il est obtenu en sus du profit que les capitalistes extorquent aux ouvriers de "leur" pays) permette de corrompre les chefs ouvriers et la couche supérieure de l’aristocratie ouvrière.
Cette couche d’ouvriers embourgeoisés ou de l’"aristocratie ouvrière", entièrement petits-bourgeois par leur mode de vie, par leurs salaires, par toute leur conception du monde, est le principal soutien de la IIe Internationale, et, de nos jours, le principal soutien social (pas militaire) de la bourgeoisie. Car ce sont de véritables agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier, des commis ouvriers de la classe des capitalistes, de véritables propagateurs du réformisme et du chauvinisme. »

De tout temps, les capitalistes ont pu corrompre des dirigeants ouvriers et syndicaux. Le syndicalisme jaune est aussi vieux que le syndicalisme... Mais avec l’impérialisme, la bourgeoisie peut acheter des couches sociales entières en leur reversant une part particulière de son profit, celui acquis par la surexploitation de la classe ouvrière et des richesses des pays dominés. Cela porte la lutte contre l’opportunisme et le réformisme à une autre échelle dans le mouvement ouvrier.
C’est sur cette couche sociale que s’appuieront les révisionnistes de la IIème Internationale. Les partis comme la SFIO, le SPD ou le Labour Party britannique s’étaient réunis dans une deuxième Internationale, sur une base marxiste, après la disparition de l’AIT. Comme chacune de ses sections, la IIème Internationale regroupait les révolutionnaires aussi bien que les opportunistes.

Dans ces conditions, une nouvelle tendance révisionniste apparut au sein de la IIème Internationale avec Bernstein et Millerand comme chefs de file. « Le mouvement est tout, le but n’est rien » est leur devise ; ils prétendent ainsi que tout est bon pour améliorer la situation matérielle de la classe ouvrière dans le régime capitaliste, même les pires compromissions... Cette tendance visait à transformer la social-démocratie de parti de révolution sociale en parti démocratique de réformes sociales. Sur le plan politique, cette tendance se concrétisait par la volonté de gérer les intérêts immédiats des masses dans le cadre de la démocratie bourgeoise. Sur le plan organisationnel, le parti ouvrier dirigeant l’activité propre des masses se transforme en un parti détournant les masses d’une activité autonome pour les transformer en masses de manœuvres électorales et parlementaires. À la base de cette nouvelle position, il y avait en fait une révision générale de la théorie marxiste, la négation du caractère objectif de la lutte des classes, de la nature de classe de l’État. C’est dans « Que Faire » publié en 1902 que Lénine attaque cette tendance révisionniste. Lénine écrit que ce courant représente la « politique bourgeoise de la classe ouvrière », c’est-à-dire le fait de maintenir les ouvriers à faire de la politique d’un point de vue bourgeois.

Dans le numéro 1 de la Cause du Communisme, ancienne revue théorique et politique de l’OCML-VP, on trouve un article intitulé « Sur les bases de l’opportunisme dans la classe ouvrière » [9]. C’est dans cet article que la notion de « réformisme spontané » est expliqué par notre organisation : l’opportunisme, le réformisme, ne sont pas des phénomènes uniquement imposés de l’extérieur à la classe ouvrière par les dirigeants des partis réformistes, par les médias. Le réformisme a sa source également dans les contradictions internes à la classe ouvrière, dans les oppositions objectives entre ses différentes fractions, dans les rapports de productions capitalistes, etc.

Le révisionnisme est l’expression des couches ouvrières et salariées relativement favorisées par les rapports de production (aristocratie ouvrière et petite-bourgeoisie salariée, couches développées par l’économie impérialiste), qui sont organisées politiquement pour le maintien de leurs avantages. Par la lutte des classes, des couches ouvrières améliorent leur situation face au Capital ; les organisations ouvrières peuvent ainsi se dévoyer, devenir l’instrument de ces couches favorisées pour maintenir leurs avantages particuliers même face au reste du prolétariat, donc défendre les rapports de production capitalistes, et cesser d’être des organisations au service de l’émancipation de la classe dans son entier. C’est ce qui est arrivé au PCF ou aux secteurs bastions de la CGT. Une chose peut se transformer en son contraire. Car la lutte de classe vise spontanément l’amélioration des conditions de l’exploitation, et non son abolition, sans avant-garde révolutionnaire consciente du but du communisme.
C’est pour cela que Marx comme Lénine insisteront notamment sur le caractère internationaliste du parti communiste, critère ultime de son dévouement à défendre la classe ouvrière dans son ensemble et non pas seulement une fraction de celle-ci. C’est pour cela que le Parti ouvrier doit être supérieur au regroupement spontané de la classe, « supérieur » aux syndicats, qu’il doit en permanence être animé par la lutte politique et idéologique, pour ne pas « spontanément » se conformer au rôle que les rapports de production capitalistes l’incitent à prendre. Bien évidemment, c’est l’orientation politique dirigeante qui fait de l’organisation ouvrière une arme pour la lutte prolétarienne ou un moyen de son intégration à l’ordre capitaliste.
D’où les phrases de Marx dans le Manifeste :
« … Parfois les ouvriers triomphent, mais leur triomphe est éphémère. Le vrai résultat de leurs luttes, ce n’est pas le succès immédiat, mais l’union grandissante des travailleurs ». « … Cette organisation des prolétaires en une classe, et par suite en un parti politique, est à tout moment détruite par la concurrence des ouvriers entre eux. Mais elle renaît sans cesse, toujours plus forte, plus solide, plus puissante ».

Début du XXème siècle : Lénine et le parti d’avant-garde

Dans « Que Faire » Lénine montre qu’il est indispensable que le prolétariat se dote d’un parti d’avant-garde, pour plusieurs raisons.
D’abord parce que sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. La lutte théorique revêt, aux côtés des luttes économiques et politiques du prolétariat, une importance égale (ce n’est pas Lénine qui l’invente, il cite Engels en ce sens [10]). Le débat théorique doit être permanent dans le parti. Puisque les idées dominantes dans la société sont les idées bourgeoises, que le parti ouvrier est forcément sous leur influence, la vigilance idéologique doit être constante. Les controverses de factions et les strictes délimitations de nuances sont bonnes pour le parti. Pour permettre ce débat, il faut un parti qui éduque ses membres avec un haut niveau d’exigence, donc un parti d’avant-garde. Il faut également être capable d’étudier et d’assimiler l’expérience du mouvement ouvrier international.

Ensuite, contrairement à ce que prétendent les économistes [11] et spontanéistes [12], le socialisme scientifique (synonyme du marxisme) n’émerge pas spontanément dans l’esprit des ouvriers du simple fait de leur expérience quotidienne de la lutte économique. « La conscience socialiste ne peut surgir que sur la base d’une profonde connaissance scientifique. » Il faut donc une organisation dont l’objectif est de faire pénétrer activement cette conscience dans le prolétariat, ce qui se fait nécessairement de l’extérieur : « Le rôle du parti est d’introduire dans le prolétariat la conscience de sa situation et de sa mission. » Ce qui ne veut pas dire que le parti ou ses membres sont extérieurs au prolétariat, mais que les communistes doivent travailler activement à propager leur point de vue, car celui-ci ne fleurira pas tout seul dans l’esprit des masses.
Cette organisation doit donc être spécifique, différente des syndicats, qui par leur caractère 1) de masse et 2) basé sur la lutte économique, ne peuvent viser le degré d’unité politique et théorique le plus haut possible de leurs membres (contrairement au parti d’avant-garde), et ne peuvent faire de l’agitation et de la propagande approfondie sur toutes les contradictions politiques de la société, ne peuvent « envoyer des détachements dans toutes les couches de la société ». Croire que l’agitation politique doit nécessairement surgir de la lutte économique est une conception étroite d’après Lénine. Seule une organisation centralisée spécifique est capable de « grouper en un seul assaut commun toutes les manifestations, quelles qu’elles soient, d’opposition politique, de protestation et d’indignation. »

La tâche la plus urgente est de créer une organisation révolutionnaire capable d’assurer à la lutte politique l’énergie, la fermeté et la continuité. Il faut une organisation relativement stable de dirigeants pour assurer la continuité du travail. Et plus cette organisation a une influence de masse, et plus elle doit être solide, pour éviter de tomber sous la coupe d’opportunistes.

Cette organisation composée de « révolutionnaires professionnels », qui ont décidé que la politique serait au centre de leur vie (pas forcément des permanents, même si la chose n’est pas toujours très claire chez Lénine, c’est vrai), ne vit pas en vase clos. Elle doit être dans les masses, reconnue par elles, elle devra tirer ses membres de ses éléments les plus déterminés et conscients. L’organisation ne devra pas penser pour la masse, mais stimuler cette dernière, obtenir sa collaboration active. L’organisation doit aider tout ouvrier se faisant remarquer par ses capacités à devenir agitateur, propagandiste, colporteur... Les économistes, aujourd’hui encore (comme les anarcho-syndicalistes) cantonnent les ouvriers à la lutte économique, l’élaboration théorique et politique étant l’apanage des intellectuels. Même s’ils s’en défendent, c’est ce à quoi mène le refus d’une organisation d’avant-garde, c’est-à-dire d’une organisation qui exige et donne les moyens à tous ses membres de prendre part aux débats les plus élevés. Cela n’est pas possible dans une organisation de masse et catégorielle comme un syndicat. Forcément, chez eux, les hautes questions politiques sont laissées au travail individuel, donc à la petite-bourgeoisie intellectuelle.

Lénine insiste sur le fait que dans un pays autocratique comme la Russie de l’époque, une organisation clandestine et disciplinée est une nécessité de survie pour l’organisation révolutionnaire. Cela ne signifie pas que les concepts de parti discipliné, de centralisme démocratique, soient inopérants dans un pays de démocratie bourgeoise comme la France (où les communistes disposent d’une liberté d’expression presque totale à l’heure actuelle). Car ce ne sont pas les critères d’efficacité technique ou de sécurité qui sont principales dans le concept de Parti d’avant-garde, mais la conception que l’on a du rôle et de la place des militants révolutionnaires par rapport aux masses ouvrières et par rapport à la société. Ce sont les conceptions politiques des Bolcheviks, la manière dont les ouvriers avancés sont ralliés au socialisme scientifique, la lutte contre l’économisme et le spontanéisme, les nécessités de la lutte théorique, qui ont déterminé leur forme d’organisation, et pas uniquement le souci « pratique » de se protéger de la police. Le léninisme n’est pas du blanquisme. C’est déjà « La politique au poste de commande » chère au maoïsme [13]. Spontanément justement, les ouvriers avancés exigent d’une organisation révolutionnaire une haute conscience, pour comprendre les choses, pour qu’on leur propose un chemin. Pour diriger l’activité révolutionnaire du prolétariat, le Parti communiste doit à la fois être distinct de la classe par son idéologie, mais aussi se fondre dans celle-ci pour en connaître toutes les conditions concrètes.
Le centralisme démocratique vise aussi à préserver l’expression des divergences dans le Parti. Un exemple historique en a été donné dans le Parti Bolchevik en 1918 avec l’Opposition ouvrière. Lénine a mené la polémique politique contre ce courant mais leur présence dans le Parti y a été préservée. On est loin des conceptions monolithiques développées par la suite… et notre plateforme est aussi le reflet de cette préoccupation :

Il ne peut y avoir de véritable démocratie sans centralisme. Un individu ne peut pas connaître la réalité à travers sa seule expérience, ni encore moins la transformer seul. Il n’y a pas de connaissance ni de pratique efficace sans la centralisation des expériences multiples.
Il faut donc faire coexister deux processus qui forment un tout, et qui constituent un principe de fonctionnement, mais qui s’opposent aussi dans leurs exigences. D’où certaines déviations qui ont marqué le mouvement communiste, et les expériences négatives de nombreux militants. Il y a eu des organisations où le centralisme était bureaucratique ; où il conduisait au monolithisme, soit par suivisme, soit du fait de l’exclusion des opposants. Il y a eu, par réaction, des organisations "libérales", dans lesquelles les débats étaient permanents, mais jamais conclus ; où les décisions n’étaient pas appliquées par tous. Cela les a conduites à la stagnation, à l’impuissance, et à l’éclatement.
Plateforme politique de Voie Prolétarienne. Cahier 4. Point 726 - http://www.ocml-vp.org/article31.html

1919 : La 3ème Internationale

Étant liés à leurs bourgeoises impérialistes respectives, les opportunistes de chaque pays ne purent que se rallier à leur impérialisme lors du déclenchement de la Première guerre mondiale.
Les « Internationalistes » se retrouvent minoritaires dans les partis socialistes. La SFIO, pourtant officiellement marxiste, se rallie à l’Union nationale. Les minorités pacifistes et révolutionnaires des partis d’Europe se réunissent à Zimmerwald en Suisse en 1915.
L’aile droite de Zimmerwald refusait la rupture avec les partis socialistes qui avaient accepté l’union sacrée et voté les crédits de guerre, et entendait maintenir l’Internationale socialiste. La droite de Zimmerwald était purement pacifiste.
L’aile gauche, conduite par Lénine et les Bolcheviks russes, exigeait une condamnation claire des partis socialistes qui avaient voté les crédits de guerre aux parlements, et considérait comme inéluctable la création d’une nouvelle Internationale. Ils ne se contentent pas d’appeler à cesser la guerre impérialiste ; le prolétariat doit être entraîné dans le défaitisme révolutionnaire, pour s’opposer à sa bourgeoisie et transformer la guerre inter-impérialiste en guerre révolutionnaire.
Le manifeste final de Zimmerwald condamne la trahison des partis socialistes, mais ne les caractérise pas clairement et n’appelle pas à la rupture, et en reste à une position pacifiste.
Lénine écrit alors : «  L’opportunisme, engendré par les conditions de l’époque « pacifique » révolue, a maintenant accompli sa rupture complète avec le socialisme et est devenu un ennemi avéré du mouvement de libération du prolétariat ». Lénine écrira « L’impérialisme » deux ans plus tard, mais l’idée est déjà là. Pour les Bolcheviks, il est temps de porter au niveau international la rupture avec l’opportunisme. Ce qui était une position minoritaire dans le mouvement socialiste international va gagner une influence considérable avec la Révolution russe.
La prise du pouvoir par les Bolcheviks en 1917 montre qu’ils ont eu raison de mener une lutte de ligne féroce dans le mouvement ouvrier russe contre les différentes variantes de réformisme, pour la construction d’une organisation révolutionnaire, quitte à être minoritaires, quitte à provoquer des scissions dans le mouvement socialiste. C’est la preuve qu’une organisation révolutionnaire, même peu nombreuse, peut avoir une influence sur les masses considérable et prendre leur direction. La lutte de ligne menée par les Bolcheviks dans le mouvement ouvrier russe pendant des décennies n’a pas été du pinaillage sectaire, mais a préparé le terrain, a permis d’avoir au moment des heures les plus graves, une fois « les conditions de l’époque pacifique révolues », une organisation solide politiquement et organisationnellement, pour montrer la voie. C’est ce qui a manqué ailleurs en Europe, en France et en Allemagne, où l’échec criminel (puisqu’elle a été complice du massacre de millions de prolétaires) de la social-démocratie [14] a pour cause que les courants révolutionnaires n’ont pas pu, pas su, pas voulu mener cette lutte de ligne contre les opportunistes dans les partis au cours des décennies précédentes.
Après l’instauration du régime soviétique, les révolutionnaires russes renomment leur « Parti social-démocrate ouvrier » en « Parti communiste » : c’est une référence au Manifeste et à la Ligue de Marx et Engels, qui préféraient déjà utiliser ce terme pour distinguer le socialisme révolutionnaire et scientifique des différentes variantes utopistes et réformistes.
Ils poussent à la formation d’une Internationale Communiste, en rupture avec l’Internationale Socialiste. Son premier congrès a lieu en 1919. Le Parti communiste d’Allemagne a été créé dès 1918, celui d’Italie en 1921. En Allemagne et en Italie, les communistes sont minoritaires dans les partis socialistes et sociaux-démocrates, qu’ils quittent pour former de nouvelles organisations, comme dans la majorité des pays.

A son Deuxième congrès, en juillet 1920, l’IC formule les « 21 conditions » d’adhésion à l’Internationale, et adopte une résolution (« Le rôle du Parti communiste dans la Révolution prolétarienne ») qui définit les partis communistes ainsi (résumé) :

Le Parti communiste est la fraction la plus avancée, consciente, révolutionnaire, de la classe ouvrière. Il constitue la force organisatrice et politique, à l’aide de laquelle cette fraction dirige, dans le bon chemin, les masses du prolétariat et du demi-prolétariat.
Le Parti Communiste n’englobera dans ses rangs organisés qu’une minorité ouvrière. Il peut exercer une influence politique sur l’ensemble des couches du peuple, mais du fait de la domination de l’idéologie bourgeoise, même dans la classe ouvrière, il ne peut les organiser largement.
La tâche du Parti n’est pas de se placer au niveau des éléments arriérés de la classe ouvrière, mais de la faire accéder au niveau de conscience de ses éléments les plus avancés. Ce faisant, il ne doit pas hésiter à être même à contre-courant de la classe lorsque celle-ci est dominée par les idées réactionnaires.
Le prolétariat a nécessairement besoin d’un parti pour accomplir sa révolution, un parti aux buts clairement défini, centralisé, discipliné, dont la ligne politique découle de l’objectif de prise du pouvoir, seul capable d’organiser une insurrection armée. Ce parti doit assurer la direction unique des différentes formes du mouvement prolétarien (syndicats, coopératives, élections...) : « La lutte de classe prolétarienne exige une agitation concentrée, éclairant les différentes étapes de la lutte d’un point de vue unique et attirant à chaque moment, toute l’attention du prolétariat sur les tâches qui l’intéressent dans son entier. » Malgré son caractère restrictif, le Parti doit être présent dans toutes les organisations prolétariennes de masse, même les réactionnaires si cela est jugé nécessaire.
Le Parti Communiste n’est pas seulement nécessaire à la classe ouvrière avant et pendant la conquête du pouvoir, mais encore après celle-ci. La nécessité d’un parti ne disparaîtra qu’avec les classes sociales, lorsque la classe ouvrière entière sera devenue communiste. En attendant, le PC est nécessaire pour mener la lutte de ligne contre les influences bourgeoises et sociales-démocrates dans ses rangs, et en Russie soviétique même, dans les rangs des Soviets.
Le Parti communiste doit être basé sur le centralisme démocratique : élections à tous les niveaux, autorité suprême du congrès, mais discipline et soumission des organes inférieurs aux organes supérieurs. Les fractions parlementaires, syndicales, ainsi que la presse doivent être soumis à l’autorité du parti.
Le parti doit conjuguer action légale et action clandestine, cette dernière dirigeant la première.
Les partis doivent procéder à des épurations périodiques des éléments petit-bourgeois. Il ne faut pas hésiter à remplacer de vieux cadres réformistes expérimentés par de jeunes militants ouvriers même inexpérimentés, mais à la ligne communiste.
L’OCML-VP considère que ces principes sont toujours justes.
A partir de ce moment, les éléments révolutionnaires les plus conscients vont préparer les conditions de la création de nouveaux partis partout en Europe et dans le monde. En Russie, les Bolcheviks sont déjà avant guerre séparés des Mencheviks [15] pro-guerre. En Allemagne, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, deux dirigeants révolutionnaires, ont créé leur fraction dans le SPD, la Ligue Spartakiste, qui prépare la création d’un nouveau parti [16]. En France, la gauche révolutionnaire est très minoritaire dans la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) ; les opposants à la guerre sont surtout des centristes [17] pacifistes, qui ne souhaitent pas se séparer de la droite belliciste.

1920 : La fondation du Parti Communiste en France

Le péché originel du Parti communiste français, c’est qu’il est né d’un compromis entre le Centre et la Gauche de la SFIO pour obtenir la majorité au Congrès du parti à Tours, en 1920. Ainsi, le Parti communiste n’est pas né d’une rupture avec le Parti socialiste mais il y a continuité entre les deux. Même si la majorité du Congrès a formellement voté l’adhésion à la IIIème Internationale, la condamnation de l’opportunisme, etc. le PC hérite de l’appareil, des hommes et des habitudes de la « vieille maison ». Des dirigeants réformistes se sont ralliés à la IIIème Internationale uniquement pour sauver leur tête. La minorité de droite menée par Léon Blum [18] scissionne après Tours pour recréer une SFIO (suivi par la grande majorité des élus).
Le PC de France n’a pas été forgé dans la guerre civile ou l’insurrection comme ceux d’Allemagne ou d’Italie. De plus, contrairement aux PC allemand et italien, dont les dirigeants sont des combattants et des théoriciens, le PC français, n’a à sa tête que des dirigeants petits-bourgeois sans envergure politique et sans formation théorique marxiste. De plus l’adhésion de beaucoup d’entre eux aux thèses de l’IC reste assez superficielle et ils ne tarderont pas à retourner à la SFIO.
La direction de l’Internationale Communiste (IC), depuis Moscou, suit cela de près. Elle transmet au parti un télégramme, dit « télégramme de Zinoviev », à l’occasion du Congrès de Tours.
Elle n’hésite pas à donner son avis sur les travaux du Congrès, appelle la Gauche à se séparer de la Droite mais également du Centre opportuniste, dénonçant ouvertement, nommément, certains dirigeants formellement ralliés au Communisme comme des ennemis.
Les années qui suivront le Congrès, l’IC interviendra dans les affaires du PC-SFIC (Section française de l’Internationale Communiste) de la même manière, soutenant les uns, dénonçant les autres. L’IC déclare que les Communistes sont minoritaires au sein du Parti communiste de France.
Cependant, l’IC ne pose pas d’ultimatum, ni n’appelle à l’exclusion bureaucratique des droitiers sans débats. Ceux qui refusent ouvertement les décisions et la ligne de l’IC, il n’y a pas de débat à avoir, ils doivent être exclus. Mais les autres, ceux qui se plient formellement, c’est moins facile. Elle veut stimuler une lutte de ligne, encourage la gauche à séparer les dirigeants réformistes des éléments de la base sous leur influence. L’IC encourage également la Gauche à faire l’autocritique de ses propres erreurs.
Le mouvement ouvrier français est fortement marqué par le « Syndicalisme révolutionnaire », variante nationale de l’anarcho-syndicalisme. En réaction au réformisme des partis socialistes, la CGT avait pris son indépendance et déclaré que le changement social ne pouvait venir que de l’organisation syndicale, les partis politiques socialistes étant au mieux des sectes inefficaces, aux pires des instruments de compromission inévitable avec la bourgeoisie. Au cours de la guerre, les internationalistes de la SFIO se sont rapprochés de militants ouvriers syndicalistes révolutionnaires dans la lutte commune contre la guerre impérialiste. Beaucoup d’entre eux seront convaincus d’adhérer au PC à sa fondation et ils formeront les premiers cadres ouvriers du parti.
De manière générale, lorsqu’un parti demande à adhérer à l’Internationale, l’IC demande que les textes de l’IC soient diffusés dans tous les périodiques des partis, et étudiés dans toutes les structures locales, avant que chaque parti convoque un congrès qui décidera définitivement de l’adhésion à l’IC. Les Comités centraux nouvellement élus devront comporter au moins 2/3 de camarades qui s’étaient prononcés pour l’adhésion à l’IC avant son IIe Congrès.

La Droite et le Centre du Parti français cherchent à échapper à l’application de certaines des 21 conditions, notamment celles portant sur la subordination à l’IC et le centralisme démocratique.
L’IC demande au PC d’être plus lié aux masses, de favoriser les ouvriers aux postes de direction. Il y a cependant une confusion entre « ouvrier » et « permanent d’origine ouvrière ». On peut également critiquer une insistance sur la centralisation et la discipline au détriment de la démocratie prolétarienne. Le concept de ligne de masse, même s’il est dès cette époque dans le vocabulaire communiste, n’est pas développé concrètement.
Le congrès de Tours ne marque donc pas la création d’un Parti communiste digne de ce nom, mais le début du processus de sa construction. En 1922, Lénine constate que la transformation d’un « parti européen parlementaire, réformiste en fait et seulement teint d’une légère couleur révolutionnaire, en parti de type nouveau, en parti réellement révolutionnaire, réellement communiste, est quelque chose d’extrêmement difficile. L’exemple de la France montre cette difficulté peut être de la façon la plus évidente » [19].

Ce processus prend dix ans. Il se traduit par un affaiblissement numérique, beaucoup de membres fondateurs l’abandonnant pour retourner à la SFIO, mais aussi par un renforcement de son recrutement prolétarien. En 1924, sous la pression de l’IC, est engagé le processus de bolchévisation du Parti. Celui-ci consiste à abandonner la structuration en sections, calquées sur les découpages électoraux, pour organiser le parti en cellules dans le prolétariat, principalement industriel. Tous les membres (sauf les paysans) sont affectés à des cellules d’entreprise.

L’action communiste dans les colonies
Extraits du 4ème Congrès de l’Internationale Communiste (1923)

Le IVe Congrès attire encore une fois l’attention sur l’importance exceptionnelle d’une activité juste et systématique du Parti communiste dans les colonies. Le Parti condamne catégoriquement la position de la section communiste de Sidi-Bel-Abbès, qui couvre d’une phraséologie pseudo-marxiste un point de vue purement esclavagiste, soutenant au fond, la domination impérialiste du capitalisme français sur ses esclaves coloniaux. Le Congrès estime que notre activité dans les colonies doit s’appuyer, non pas sur des éléments aussi pénétrés de préjugés capitalistes et nationalistes, mais sur les meilleurs éléments des indigènes eux-mêmes et, en premier lieu, sur la jeunesse prolétarienne indigène.
Seules, une lutte intransigeante du Parti Communiste dans la métropole contre l’esclavage colonial et une lutte systématique dans les colonies elles-mêmes peuvent affaiblir l’influence des éléments ultra-nationalistes des peuples coloniaux opprimés sur les masses travailleuses, attirer la sympathie de ces dernières à la cause du prolétariat français et ne point donner ainsi, au capital français, à l’époque du soulèvement révolutionnaire du prolétariat, la possibilité d’employer les indigènes coloniaux comme la dernière réserve de la contre-révolution.
Le Congrès international invite le Parti français et son Comité Directeur à prêter infiniment plus d’attention, de force et de moyens que jusqu’à ce jour, à la question coloniale et à la propagande dans les colonies et, entre autres, à créer auprès du Comité Directeur un bureau permanent d’action coloniale, en y faisant entrer des représentants des organisations communistes indigènes.

Cependant, le parti connaîtra des turpitudes, qui le feront passer par des hauts et des bas, notamment une phase gauchiste à partir de 1928, qui affaiblit beaucoup le parti. Cela se stabilise au début des années 1930 avec l’accession de Thorez au secrétariat général, devenant un parti solidement implanté dans la classe ouvrière. Le parti a une ligne correcte au début des années 1930, mais à partir de 1934/35/36, il plonge de plus en plus dans une dérive droitière, sous prétexte de Front antifasciste (même si l’idée en elle-même était juste).
Parallèlement, en URSS, une nouvelle bourgeoisie s’est installée à la tête du PCUS et de l’État soviétique.
Le PC commence alors à devenir un parti complètement révisionniste. En 1943, le PCF (qui a rajouté « français » à son nom) rejoint le CNR [20], et accepte la direction de De Gaulle sur la Résistance. Le Parti se met ouvertement sous la direction de la bourgeoisie. Après la Libération, notamment, il soutient le rétablissement de l’impérialisme français en échange de la constitution d’une bureaucratie ouvrière : les CE, la cogestion de la Sécurité sociale, les prébendes syndicales... Le PCF défend l’épuisement de la classe ouvrière au travail, au service du rétablissement capitaliste.
Les derniers marxistes-léninistes le quitteront définitivement au début des années 1960 ; jusque-là, ceux-ci ne s’étaient pas vraiment rendu compte du phénomène révisionniste dans le parti. C’est la controverse sino-soviétique qui leur fera rompre, lorsque le PC de Chine dénoncera le PC d’URSS comme bourgeois à l’accession de Khrouchtchev à sa direction.

Années 1960 : Les Communistes chinois et la lutte contre le Révisionnisme moderne

Car ce sont les communistes chinois qui relanceront le débat, dans le Mouvement communiste international (MCI) sur la dégénérescence des partis communistes.
Au début, la révolution socialiste en Chine se fait sur le modèle de l’URSS (priorité au développement de la production pour elle-même, négligence de la transformation des rapports sociaux, peu d’appel à l’initiative des masses, avec pour conséquence le développement d’une couche de cadres bureaucratiques), même si des critiques commencent à poindre de la part de la gauche du parti. Mao est président du parti et de la République, mais il regarde d’un œil critique l’évolution du pays. Sous Staline, le socialisme se confond avec le développement des forces productives, d’où la priorité donnée aux experts, la promotion d’un style de direction autoritaire dans l’économie mais aussi dans le Parti [21].

Le PC d’URSS a nié l’existence de bases matérielles, dans la société socialiste, à l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie : les privilèges accordés aux cadres ne posent pas de problèmes. Lorsque, du fait des contradictions qui existaient inévitablement, surgissaient des divergences et des oppositions à la politique du Parti, elles ne pouvaient, pour Staline, qu’être le fait d’ennemis liés à l’étranger, donc traitées par la violence, même s’il s’agissait en réalité de contradictions au sein du peuple entre le prolétariat et ses alliés. Le Parti est considéré comme en dehors de la lutte de classe, grâce uniquement à une direction forte.

C’est en 1956 que Mao écrira son texte « De la juste résolution des contradictions au sein du peuple », pour marquer ses conceptions différentes de celles dominantes en URSS sur le rapport entre le Parti communiste et les masses.

Les communistes chinois affirment déjà à cette époque que le Parti communiste ne peut être monolithique : il est lui-même traversé par les contradictions de classe après la prise du pouvoir. La lutte entre deux voies est le moteur de sa construction. En résumé, les contradictions ne peuvent être réglées de manière bureaucratique, il faut assumer la lutte politique en permanence. Les communistes doivent avoir un style de travail critique/autocritique. Contrairement aux trotskistes qui ne voient dans les déformations du fonctionnement des partis issus de la IIIème Internationale. que "déformations bureaucratiques" dont ils ne trouvent d’autre explication que subjectiviste du genre "elles sont produites par des gens assoiffés de pouvoir", Mao dénonce le contenu de classe de ces déformations. Puisque les classes et la lutte des classes existent jusqu’au communisme, cette lutte a forcément son reflet au sein du Parti. Il distingue deux types de contradictions : au sein du peuple, et entre le peuple et ses ennemis, contradictions qui appellent des méthodes de résolution différentes : la violence pour les premières, la démocratie, la persuasion, l’éducation pour les secondes : c’est la ligne de masse.

Pour les révolutionnaires chinois, il faut aller dans les masses, vivre comme elles, y être comme « un poisson dans l’eau ». Le point de vue politique se forge dans l’enquête et la pratique, le seul critère de vérité : la ligne de masse est détaillée et systématisée. C’est la méthode qui consiste à éduquer le prolétariat à travers l’expérience, à « partir des masses pour retourner aux masses ». Au sein du parti, elle permet d’unir à la ligne révolutionnaire la grande majorité, d’isoler la ligne bourgeoise et de mobiliser la grande majorité du parti pour la détruire.

La pratique doit être également le critère de vérité : Qu’est-ce qui permet de distinguer une ligne juste d’une ligne erronée ? C’est dans la capacité réelle à élever la conscience, la lutte et l’organisation révolutionnaire des masses sur le terrain du pouvoir politique que se vérifie la justesse d’une ligne communiste. Une ligne est juste lorsqu’elle est reprise et transformée par les masses en force matérielle de destruction du pouvoir bourgeois et de construction du pouvoir révolutionnaire. Enquête, transformation de la réalité, bilan d’activité sont des moments clés, inséparables de l’analyse concrète d’une situation concrète. C’est comme cela qu’on construit une ligne juste.

Enfin, Mao dit que la minorité du parti peut avoir raison : Dans la méthode du centralisme démocratique, la minorité se soumet à la majorité. Cette règle permet au Parti d’agir dans l’unité. Il arrive que la ligne minoritaire considérée auparavant comme fausse soit reconnue juste et devienne majoritaire. Pour qu’une telle lutte-transformation ait lieu, il faut bien évidemment que la ligne juste et la ligne erronée puissent s’exprimer. Pourquoi la minorité peut avoir raison ? D’abord, parce qu’une idée, une expérience nouvelle a toujours du mal à se frayer son chemin. Si elle est neuve, c’est qu’auparavant des idées et expériences anciennes dominaient et c’est cette domination qu’elle doit bousculer. Ensuite, l’erreur est inévitable. Dans la vérité, il y a toujours une part d’erreur et c’est l’expérience répétée qui permet de mieux comprendre un phénomène, d’approcher la vérité. Si bien qu’il arrive fréquemment que des camarades, persuadés de défendre une ligne juste, changent d’opinion lorsque l’expérience a démontré qu’ils avaient tort.

Au cours de la Révolution culturelle [22], la gauche maoïste parle de « responsables du parti engagés dans la voie capitaliste ». Mao et la gauche du PCC, se sont rendu compte qu’il y avait des problèmes dans la construction du socialisme en Chine. Ils craignent une restauration du capitalisme. Ils voient poindre une nouvelle bourgeoisie, qui se forme dans l’appareil du Parti et de l’État socialiste.
Cette nouvelle bourgeoisie apparaît parce qu’elle possède malgré tout une base matérielle dans les rapports de production. En effet, le socialisme est une phase de transition, au cours de laquelle cohabitent et s’affrontent l’ancien monde capitaliste et bourgeois, et le nouveau monde que l’on veut mettre en place. C’est vrai dans toutes les sphères de la société : économie, politique, culture... Tant qu’on n’a pas atteint la société communiste, il y a des restes plus ou moins forts de capitalisme. La division du travail et les modes de gestion hérités du capitalisme existent toujours. Les communistes aussi sont imprégnés de tout cela. Ainsi, cette nouvelle bourgeoisie apparaît inévitablement, même dans le parti communiste. Finalement, comme on le sait, la Révolution culturelle échouera à enrayer le développement de cette nouvelle bourgeoisie dans le Parti. Mais les communistes chinois ont grandement enrichi la compréhension de la lutte de ligne dans un Parti communiste et de son rapport aux masses.

En guise de conclusion

L’OCML VP en tirera notamment la série des trois articles fondamentaux publiés dans Partisan Magazine n°4. Notre organisation est issue du courant marxiste-léniniste (ML) de France qui se distingue par son insistance sur le bilan des expériences socialistes et de construction du Parti. D’un côté les ML qui quittèrent le PCF dans les années 1960 créèrent un premier parti, le PCMLF, qui était en fait calqué sur le PCF, ne rompait pas vraiment avec l’orientation révisionniste et le mode de fonctionnement du vieux parti. De l’autre, une partie du courant maoïste a adopté un point de vue spontanéiste, rejetant plus ou moins la nécessité de reconstruire un parti communiste d’avant-garde (Gauche prolétarienne [23], Cause du peuple, Union des communistes de France marxiste-léniniste). L’OCML VP, elle, vient de petites organisations qui maintiennent l’objectif de construction du Parti tout en passant les expériences historiques au feu de la critique, enrichie par chacune.

Aujourd’hui, l’OCML VP ne considère pas que les conditions sont réunies pour proclamer qu’il existe un Parti communiste en France. Cela exige une organisation fermement implantée dans la classe ouvrière, constituée de cadres révolutionnaires reconnues par les masses et capables, par la ligne de masse, de proposer une ligne politique reprise par elles ; une organisation qui aurait su élaborer clairement la stratégie de la révolution prolétarienne dans un pays impérialiste en crise, par l’aller-retour entre le questionnement théorique, le bilan critique/autocritique du mouvement communiste, et l’expérience de la lutte de classe. Nous n’en sommes pas là, ni nous, ni personne d’autre.

« La formation de militants communistes ne se réduit pas non plus à la formation théorique. Elle passe par une pratique politique en direction des masses. Dégager une avant-garde ouvrière, c’est former des hommes et des femmes capables dans la pratique de maîtriser les orientations, de faire des choix, d’avoir de l’initiative, et de tirer des bilans. C’est le meilleur moyen d’enrichir l’activité et de mesurer les qualités, les acquis et les limites de chacun. C’est ainsi que chaque militant prend sa part dans l’élaboration de la ligne, au lieu de subir des directives venues d’en haut. »
Plateforme de Voie Prolétarienne. Cahier 4. Point 722 - http://www.ocml-vp.org/article31.html

Le maoïsme, c’est tout simplement le communisme de notre époque. Lénine et les Bolcheviks ne sont pas juste une interprétation du marxisme ; c’est son application juste à l’époque de l’impérialisme. Le maoïsme n’est pas juste une interprétation du marxisme-léninisme : c’est son application concrète dans le cadre de la dictature du prolétariat. Dans la lutte des classes, les Communistes chinois et Mao Zedong ont à la fois repris et précisé les conceptions de Lénine et des Bolcheviks ; ces derniers avaient eux-mêmes fait la même chose à partir des conceptions de Marx et Engels. Il ne faut pas voir le maoïsme comme une fusée à plusieurs étages, faite de blocs amassés les uns sur les autres, mais plutôt comme une idée, l’idée du communisme, qui, au fil du temps, au fil de l’expérience, fait son chemin, se précise, s’enrichit... en fonction des succès, des échecs, des grands changements sociaux, économiques, politiques. Comme n’importe quelle idée fait de même dans l’esprit humain. On le voit très bien à propos du débat sur ce que doit être le Parti communiste.

« On n’a pas besoin d’un parti pour organiser la révolte. Avec ou sans organisation, elle éclatera toujours. Par contre, si l’objectif est d’en finir avec l’exploitation capitaliste et d’instaurer le communisme, on ne peut s’en passer. La nécessité d’un parti n’est pas fondée sur les exigences immédiates de la lutte, mais sur le but final que l’on veut atteindre. »
Plateforme de Voie Prolétarienne. Cahier 4. Point 711 - http://www.ocml-vp.org/article31.html

S’il n’y a qu’une chose à retenir sur cette question, c’est que le débat sur la forme d’organisation des ouvriers révolutionnaires recoupe le débat « réforme contre révolution ». Le seul moyen d’aller au communisme, c’est de se doter d’une organisation solide de tous les points de vue, d’une organisation volontariste (au sens positif, celui d’être déterminé à entraîner les masses sur le chemin de la révolution), une organisation à la fois profondément liée au prolétariat et un pas en avant. C’est parce que nous sommes décidés à atteindre notre but, celui du communisme, de la société collectiviste sans classe et sans État, sans exploitation et sans oppression, que nous travaillons à construire ce Parti. Avec toi, lecteur ?

[1« L’organisation révolutionnaire des frères internationaux », qu’il justifie de la façon suivante : « Cette organisation exclut toute idée de dictature et de pouvoir dirigeant tutélaire. Mais pour l’établissement même de cette alliance révolutionnaire et pour le triomphe de la révolution contre la réaction, il est nécessaire qu’au milieu de l’anarchie populaire qui constituera la vie même et toute l’énergie de la révolution, l’unité de la pensée et de l’action révolutionnaire trouve un organe (…), une sorte d’état-major révolutionnaire composé d’individus dévoués, énergiques, intelligents, et surtout amis sincères, et non ambitieux ni vaniteux, du peuple capables de servir d’intermédiaires entre l’idée révolutionnaire et les instincts populaires. (…) Pour l’organisation internationale dans toute l’Europe, cent révolutionnaires fortement et sérieusement alliés suffisent ». Étonnant de la part du théoricien de l’anarchie ! Cité dans : « La première Internationale, recueil de documents », Freymond, T. 1, pp. 474-475

[21825-1864. Créateur de L’association générale des travailleurs allemands, ADAV (ancêtre du Parti social-démocrate actuel) en 1863. Marx e Engels ne l’ont jamais considéré comme communiste.

[3Voir nos deux brochures « Le trotskysme, un opportunisme permanent », et « Critique de Lutte ouvrière ».

[4Pour l’histoire du mouvement socialiste et communiste de France, voir « Histoire du Parti communiste français » de André Ferrat (1931).

[5Issue du Congrès de la CGT en 1906. Elle défend un syndicalisme de lutte de classes révolutionnaire, tout en prônant l’indépendance aux partis politiques. Voir l’article dans le blog : http://ouvalacgt.over-blog.com/article-1976639.html

[6Premier socialiste français à avoir accepté, en 1899, de siéger dans un gouvernement bourgeois.

[7Lettre du 28 octobre 1882 au socialiste allemand A. Bebel.

[8Le matérialisme historique est l’histoire de l’humanité du point de vue de l’analyse des rapports de production et de l’expérience historique des luttes de classes. Le matérialisme dialectique en est la philosophie générale sous-jacente, basée sur l’examen dialectique des contradictions à l’œuvre dans les différentes sociétés humaines.

[9Disponible en ligne : http://www.ocml-vp.org/article1205.html

[10Tout un chapitre de la première partie : « d) Engels et l’importance de la lutte théorique » où figure cette citation d’Engels « Pour la première fois depuis que le mouvement ouvrier existe, la lutte est dans ses trois directions coordonnées et liées entre elles : théorique, politique et économique-pratique (résistance aux capitalistes). C’est dans cette attaque pour ainsi dire concentrique que résident la force et l’invincibilité du mouvement allemand. »

[11Idée qui réduit la politique ouvrière à la radicalisation des revendications économiques.

[12Idée selon laquelle la classe ouvrière n’aurait besoin ni d’une organisation structurée, ni d’une idéologie claire, ni d’une stratégie élaborée pour renverser le capitalisme.

[13Expression formulée dans la critique des positions du PC de l’URSS (Charte d’Anshan opposée à celle de Magnitogorsk, ou Critique du Manuel d’économie politique du PCUS par Mao). Elle s’oppose à la version technocratique de ces deux documents qui donnent la direction aux cadres et aux logiques économiques comme si ces dernières étaient hors lutte des classes et donc lutte politique.

[14Avant la Première guerre mondiale, le terme « social-démocrate » désigne indistinctement tous ceux qui se revendiquent du marxisme, réformistes comme révolutionnaires.

[15Le Parti ouvrier social-démocrate de Russie était composé de deux grands courants, les Bolcheviks (= majoritaires) et les Mencheviks (= minoritaires, en russe).

[16Ils seront assassinés lors de la large répression de la tentative de révolution de 1919 en Allemagne, sur ordre du SPD (Friedrich Ebert) parvenu au pouvoir. Cela éclaire la nature des divergences entre courants à l’origine dans le SPD.

[17« Centrisme » désigne dans le mouvement communiste ce qui oscille entre les voies réformiste et révolutionnaire.

[181872 – 1950. Dirigeant réformiste de la SFIO. Il se déclare révolutionnaire mais rejette le parti ouvrier d’avant-garde, la prise du pouvoir révolutionnaire et la dictature du prolétariat ; et donc logiquement l’adhésion aux 21 conditions. Il deviendra chef du gouvernement pendant le Front populaire de 1936.

[19« Notes d’un publiciste »

[20Conseil National de la Résistance, qui regroupe tous les mouvements de résistance, partis politiques et syndicats anti-fascistes sous l’occupation nazie.

[21On retrouve des éléments de cette analyse dans Partisan Magazine n°4et, concernant les critiques de Mao, dans le livre “Mao Tsé-toung et la construction du socialisme” (Ed. du Seuil) où il critique le manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS.

[22La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP) est un épisode révolutionnaire court mais décisif de la révolution chinoise entre 1966 et 1969. Voir à ce sujet notre article « Il y a 50 ans : la Révolution culturelle, une révolution dans la révolution » paru dans Partisan Magazine N°5 : http://www.ocml-vp.org/article1619.html

[23Disponible en ligne : http://ocml-vp.org/article1643.html

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