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A l’usine, le mouvement des Gilets Jaunes en débat

Nous avons interviewé un camarade ouvrier de l’OCML VP à propos de la mobilisation des Gilets Jaunes et son impact dans son usine et auprès de ses collègues.
Le lieu de travail a été anonymisé pour des raisons de sécurité par rapport à la répression patronale.

 

Comment le mouvement des Gilets Jaunes est vécu dans ta boite ?

 

Au départ, il y avait pas mal de collègues enthousiastes vis à vis du mouvement. Les mots d’ordre correspondaient en effet ce que vivent les collègues au quotidien : fins de mois difficiles, obligation de prendre sa voiture pour aller travailler, donc payer toujours plus cher l’essence... Donc, dès le début, il y a eu un bon accueil général du mouvement et de ses revendications.
Sur le parking de la boite, beaucoup de voitures avaient un gilet jaune sur le tableau de bord (même notre PDG, c’est pour dire !).

 

Après, ce mouvement a déclenché pas mal de discussions au travail. Au mois de décembre, les discussions ne tournaient plus qu’autour du mouvement. C’est très intéressant. Les discussions sont très politiques et pas juste centrées sur les taxes ou la vie chère. Elles touchent aussi l’écologie, nos conditions de travail, le fait de se tuer au travail pour pouvoir vivre, sur nos modes de logement...
Il y a un petit groupe de collègue qui vont plus loin encore. Ils ont fortement réagi aux dérives racistes et homophobes du début du mouvement. Ils ont de suite parlé de division par ces pratiques, alors que c’est l’inverse vers quoi il faut tendre : l’unité ! Donc dans le contexte de l’usine, c’est super positif ce genre de réaction !

 

Pour ce qui est des actions et des rond points en particulier, c’est autre chose. A ma connaissance, je n’ai qu’un seul collègue qui s’est vraiment investi sur un rond point. Cela lui a pris beaucoup de temps mais de manière générale, ça lui a beaucoup plu cette vie collective sur le rond point !
Depuis le 17 novembre, il y a des manifestations Gilets Jaunes sur ma ville. Quelques collègues y participent, même si ça reste une minorité. Pour la plupart d’entre eux, les manifs sont loin de chez eux. La grande répression policière a fait aussi son travail...
Avec les camarades de l’OCML VP, nous y participons. Nous mettons des gilets jaunes faucille marteau, pour affirmer et construire une orientation claire dans ce mouvement. J’ai quelques collègues qui ont manifesté avec nous. Ça prolonge ainsi les discussions que l’on peut avoir dans la boite.

 

D’ailleurs, comment tes collègues perçoivent la violence des manifestations et quelles sont les réactions vis à vis des violences policières et de la répression ?

 

Sur la violence des flics, il y a vraiment deux écoles : ceux qui pensent que les flics sont sacrés, qu’il ne faut pas les toucher et que la répression est une juste réponse aux « débordements » des manifestants ; et ceux qui sont très choqués par la répression, qui la dénoncent fortement.
La bataille entre la cagnotte du boxeur et la cagnotte pour la police a fait beaucoup parler. On retrouve les deux écoles. Mais à travers cette polémique sur des cagnottes, c’est bien de politique qu’on parle. A quoi sert la police ? Qui elle protège ? Jusqu’où elle peut aller ? Etc.
Enfin, sur la répression, ce qui choque le plus mes collègues, c’est l’utilisation à foison du flashball. Le nombre de personnes défigurées lors des manifs Gilets Jaunes, c’est juste hallucinant !

 

Tu es investi dans la CGT de la boite. Comment avez vous fait le lien entre GJ et revendications CGT ?

 

Lorsque le mouvement a débuté, on était en pleine confrontation avec la direction sur l’aménagement du temps de travail. On a d’ailleurs initié une petite grève. Dès le début, on en a beaucoup discuté en réunion CGT. On ne pouvait pas faire comme si ça n’existait pas ! Pour être franc, la section était assez mitigée. Pas mal de camarades étaient interrogatifs, se posaient la question de la présence de l’extrême droite dans les actions des Gilets Jaunes. Ce qui revenait le plus, c’est une sorte de rancœur du style « en France ça bouge jamais pour les acquis sociaux et là ça se bouge pour le prix de l’essence ! ». On sentait que les défaites successives (Loi Travail, Cheminots...) avaient laissé pas mal de rancœur dans nos rangs.

 

A partir du début décembre, je pense que la mobilisation a pris une plus forte tournure sociale. Il y a eu alors un avis plus positif dans la section sur le mouvement. Le 6 décembre, la direction de la CGT a co-signé un communiqué avec toutes les organisations syndicales en mode « on reprend la main sur le mouvement en dénonçant la violence des manifestations ». Ce communiqué a pas mal choqué la section. On a alors décidé de publier la réponse de notre UD sur ce communiqué. On est pas tout le temps en accord avec la direction de notre UD, mais pour le coup, il faut reconnaître que la réaction était plus que positive !
Ensuite, on a, à plusieurs reprises, relayé les dates de manifs Gilets Jaunes sur nos tracts ou nos panneaux syndicaux.

 

Penses-tu que le mouvement GJ fait progresser l’esprit des collègues dans la boite ?

 

Pour les plus combatifs des collègues, le mouvement a renforcé le fait qu’unis et organisé, on est plus fort. Ça, c’est vraiment bien. C’est peut être le point le plus important. Tout en rejetant les vielles formes d’organisation, le mouvement s’est structuré. Cela montre que l’on a raison de se révolter mais que l’on a d’autant raison de s’organiser !
Le mouvement a aussi montré que les bourgeois ne sont pas intouchables. Oui, on peut défoncer une porte d’un ministère, oui on peut murer une préfecture, oui on peut se défendre et même déborder l’encadrement policier. Ce ne sont, pour l’instant, que des symboles mais c’est important.
Après, je pense que ça a permi aussi de renforcer le sentiment que les "élites" sont vraiment déconnectées de notre réalité. Les différentes réactions du gouvernement ont renforcé, je pense, un sentiment d’appartenance de classe.
Le mouvement n’est pas fini, il faut attendre de voir comment la mobilisation continuera et évoluera. Je peux pas dire ce que seront les impacts sur mes collègues à moyen terme. Il va falloir, en tout cas, y être attentif. Voir comment toutes les questions soulevées par les Gilets Jaunes vont évoluer. En tout cas, ce n’est pas avec son « grand débat » que Macron va éteindre le feu !

 

Correspondant OCML VP

 

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