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Questions et réponses sur les 35h Aubry

Partisan N°141 - Septembre 1999

Malgré des mois d’intoxication gouvernementale et syndicale, nombreux sont les camarades d’entreprise, syndicalistes ou non qui doutent et rechignent à la loi Aubry, sans pour autant savoir comment la combattre concrètement auprès de leurs collègues.
En face de nous, il y a le rouleau compresseur des patrons, des télés, des syndicalistes collabos qui tentent de nous convaincre que tout est bien dans le meilleur des mondes. Pourtant, nous n’avons pas la mémoire courte : beaucoup se souviennent de ce que nous avons perdu avec les 39 heures et la cinquième semaine ; beaucoup n’ont plus que méfiance envers un gouvernement PS/PC/Verts qui multiplie les mauvais coups.
Mais il ne suffit pas de râler tout seul dans son coin. Il faut réagir, regrouper les oppositions, construire une force contre le gouvernement, dont les meilleurs représentants sont Jospin, Aubry et Allègre, contre cette nouvelle version de la bourgeoisie au pouvoir.
Alors nous commençons un argumentaire. Incomplet, évidemment, fruit des premières réactions que nous avons autour de nous. A chaque camarade de nous faire connaître les sujets à aborder pour l’avenir, les vraies réponses à donner !

Est-ce que le chômage va diminuer ?

Depuis un an, on nous chante "l’effet sur l’emploi" de la loi Aubry, en multipliant statistiques et graphiques.
La réalité est que le chômage est bel et bien notre premier souci, mais que les 35 heures n’y changeront pratiquement rien. Si l’on tient compte des "emplois préservés" (c’est à dire les licenciés virtuels qui ne le seront en fait pas, vous me suivez ?), des embauches de précaires (un quart), de la régularisation en CDI de précaires déjà en place (pas de chiffres disponibles, mais des milliers et des milliers si on regarde les accords d’entreprise), l’effet sur le chômage et la précarité sera absolument dérisoire. Depuis un an, c’est peut-être 20 000 emplois créés, et encore, on est bon princes...
A côté, il faut mettre dans la balance les quatre à cinq millions de chômeurs indemnisés ou non, le million de RMIstes, les centaines de milliers d’emplois-jeunes, les précaires à tout va. Alors là, le PS, le PC et les autres sont franchement ridicules...
On est très, mais alors très loin des 10% ou plus d’embauches nécessaires pour compenser la réduction du temps de travail sans hausse de l’exploitation ! La seule petite avancée, c’est l’embauche de quelques milliers de précaires. Il est vrai qu’on avait atteint un tel niveau que même les patrons y voyaient plus d’inconvénients que d’avantages : il y a quand même besoin de stabiliser la main d’œuvre pour bénéficier de l’expérience acquise.

Et puis, parlons un peu franchement : qui peut croire à une diminution du chômage à l’heure d’une nouvelle vague de restructurations à l’échelle mondiale ? Les opérations se succèdent jour après jour à une vitesse effrénée : BNP-Paribas-SG, Rhône-Poulenc et Hoechst, Carrefour et Promodès, liquidation de Daewoo, Alcan et Pechiney, Elf et Totalfina, etc. qui peut vraiment croire que la loi Aubry va inverser la tendance fondamentale du capitalisme ?
Le problème que nous avons n’est pas celui d’un meilleur partage du temps de travail entre tous, ou même des richesses, c’est celui des règles du jeu de cette société d’exploitation : la concurrence, le profit, la guerre économique, le marché. Pour construire la justice et le partage véritable, c’est au contraire la solidarité, la coopération, l’utilité sociale qu’il faut mettre au cœur de la société. Peut-on imaginer un seul instant que les exploiteurs aillent dans ce sens ?

Mais avec les 35 heures, on sera plus libres qu’avant !

Qu’est-ce que le temps libre ? Peut-on dire que c’est seulement celui hors du boulot ? Demandez donc aux chômeurs et aux précaires ce qu’ils pensent de leur vie, de leur stress, de leurs impossibles projets, de leur liberté dans la prison du chômage...
Plus de jours de congés ? Peut-être... mais payés cher ! Avec flexibilité, modulation, travail le samedi, changements pratiquement sans prévenir, les horaires atypiques, le travail posté qui se généralise (comme aux chantiers de l’Atlantique), les VSD (comme à RVI). On n’est pas plus libres, mais de plus en plus avec le fil à la patte du patron, qui d’ailleurs multiplie les enquêtes comme à Carrefour ou à la Poste pour savoir comment nous vivons et quels sont nos problèmes de temps.
Plus de jours de congés ? Peut-être mais l’usure de la fatigue du corps, du stress des changements, des horaires qui ne concordent plus avec le conjoint, les enfants ou les amis.

Bien sûr, certains en profiteront, chouchoutés par le PS, les mêmes qui vont profiter des baisses de TVA pour leur pavillon de banlieue ou leur résidence secondaire à la campagne : les cadres, les techniciens et tous ceux qui sont relativement protégés. Mais les travailleurs postés, les ouvrières et les ouvriers des bagnes des PME, les petits employés, les jeunes des petits boulots... ça va être dur, dur pour eux !

Plus libres ? Sûrement pas ! Les capitalistes envahissent toute notre vie, veulent contrôler tout notre temps, à leur profit !

Au moins on ne touchera pas aux salaires !

A voir... Il est vrai que la plupart des accords prévoient une compensation salariale au moins pour les petits ou moyens salaires. C’est à dire que la perte immédiate sera minime.
Mais :
Le maintien salarial se fait souvent sous la forme de prime compensatrice dont l’avenir n’est pas assuré.
Le plus souvent, les salaires sont quasi bloqués, parfois même à l’avance, avant les accords Aubry.
Les primes sont touchées : primes de nuit et de postes pour les équipiers, qui sautent pour les jours travaillés en moins, remise en cause de primes de vacances ou d’intéressement, ce qui a provoqué quelques conflits tonitruants (SOVAB dernièrement)
Les nouveaux embauchés n’ont pas toujours la garantie du salaire équivalent.
Alors, si l’attaque est moins visible sur ce terrain, il faut savoir que la "modération salariale" permet néanmoins aux patrons de financer de notre poche à nous un quart de la réduction du temps de travail !

Mais il y a des bons accords, quand même !

Qui parle de bon accord ?
Parfois dans les PME, des patrons à l’affût de toutes les primes possibles sont prêts à tout promettre sans contrepartie. Mais on sait que ce sont des barbares sauvages, prêts à renier le lendemain ce qu’ils ont signé la veille. On sait très bien que s’ils vont toucher les aides pendant cinq ans, eux ne s’engagent que jusqu’au moment où ça n’ira plus. Et là, comme pour les accords Robien, ils ne se gêneront pas pour tout laisser tomber...
Dans les grosses entreprises, c’est autre chose : à EDF, à la SNCF, on dit que ce sont des "bons" accords, simplement parce que la CGT a signé. Mais ces "bons accords" ont provoqué des conflits, des grèves, parce que eux aussi prévoient flexibilité, élargissement des horaires, embauches très en deçà du raisonnable etc.

Faut-il se battre pour une amélioration de la loi ?

Face au rejet des travailleurs et au caractère de plus en plus systématique des accords pourris, certains syndicalistes sont vraiment mal à l’aise. Ils sentent qu’il y a de l’eau dans le gaz (et pas seulement à GDF), que ça vraiment dans le mauvais sens et qu’il faut réagir.
Mais au lieu de faire tranquillement le bilan que c’est la loi elle-même qu’il faut rejeter, parce que c’est elle qui permet ces accords, ils tentent un sauvetage désespéré. Incapables de comprendre ce qu’il faut combattre pied à pied, ils tentent par tous les moyens de colmater les brèches, de réformer ce qui doit être détruit.
Ainsi une pétition circule actuellement, signée par de nombreux syndicalistes du Groupe des 10 (SUD et autres), de l’opposition CFDT ou de la CGT. Cette pétition prétend faire pression sur le gouvernement de la gauche plurielle pour qu’il encadre strictement les 35 heures, par des contraintes en termes de salaire, de limitation de la précarité. A noter quand même que cette pétition est silencieuse sur la flexibilité...

Mais le problème n’est pas là. On ne peut pas contraindre les 35 heures Aubry, car l’essence de la loi, sa nature véritable, c’est justement d’être le plus flou possible. Ce n’est pas un hasard, pas une erreur, pas un oubli, c’est un choix délibéré.
La loi Aubry est un accord cadre le moins contraignant possible, qui ouvre le plus de portes possibles pour permettre une adaptation au cas par cas : branche par branche, usine par usine, atelier par atelier, et même individu par individu. La loi Aubry, c’est l’individualisation à l’extrême, c’est la rupture des collectifs, c’est émietter les réactions et la lutte des classes pour annihiler la résistance et l’opposition.
Demander des garanties à la loi Aubry ? C’est demander de la netteté au flou, de la chaleur au glaçon, c’est contre nature. Exiger ces garanties, c’est ne rien comprendre à la marche de l’économie et du capital, à la logique des patrons et au rôle du gouvernement.

Par quel mystère une revendication ouvrière se transforme-t-elle en arme patronale ?

Voilà une bonne question, qui laisse perplexe nombre d’entre nous... Essayons d’y répondre simplement.
Au dix-neuvième siècle, l’augmentation de l’exploitation se faisait d’une manière absolue : on augmentait la durée de la journée du travail, on faisait bosser enfants, femmes et vieillards avec le minimum de repos possibles. Pour tirer plus de profit, il fallait travailler plus longtemps.
Cela a eu une limite : la résistance humaine, la maladie et la mort. Les capitalistes ont alors trouvé qu’il valait mieux alors faire travailler autant, mais plus vite et plus intensément. On a fait des machines, des chaînes, on a simplifié le travail, on a automatisé pour produire plus en autant de temps. Mais là encore on arrive aux limites de la résistance humaine : fatigue, stress et résistance consciente de la lutte des classes.
D’où la nouvelle phase actuelle, qui est celle de produire plus souple, plus flexible, de faire tourner les équipements en permanence quitte à changer rapidement le personnel (il y a de la main d’œuvre à revendre avec le chômage...)

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’objectif du capitaliste n’est pas plus ou moins de temps de travail, plus ou moins de salaire, mais un équilibre qui lui garantisse à chaque époque les meilleures conditions de l’exploitation dans la guerre économique mondiale.
Là dessus vient se greffer le jeu de la confusion, de la collaboration de classe qui cherche à nous faire croire que chacun doit y mettre du sien, qu’il faut faire des compromis, que chaque partie peut y trouver son intérêt.
L’objectif, c’est de nous faire croire qu’on est dans la même galère alors que certains sont à la barre et d’autres à la rame... Que certains décident ou appliquent les restructurations, et que d’autres les subissent.
Toute revendication ouvrière peut être récupérée par les patrons : l’exemple bien connu est celui de la hausse du SMIC de 30% en 1968 qui n’est plus qu’un souvenir lointain...
Mais là, sur le temps de travail, l’avancée de la revendication par les syndicats réformistes (vieille revendication de la CFDT des années 70) s’est faite en parallèle avec son utilisation par les patrons, grâce aux réformistes au gouvernement.

Notre revendication à nous n’est pas bêtement un "partage" du temps de travail. Nous luttons pour une diminution de l’exploitation, du temps libre pour vivre et pour lutter. C’est pour cela que nous exigeons les 32 heures avec une série de précisions extrêmement importantes : sans flexibilité, sans précarité, sans perte de salaire, avec embauche correspondante. C’est un peu compliqué peut-être, ça fait un peu catalogue, mais c’est la seule manière de ne pas se faire avoir dans un contexte de confusion entretenu à dessein par nos ennemis.

Mais si la loi est aussi pourrie, pourquoi le patronat est-il aussi virulent ?

Le patronat à l’heure actuelle veut le beurre et l’argent du beurre. Il se sent fort, sait que le PS est parfaitement dans son camp, mais il ne veut rien laisser passer. Alors, il hurle au loup pour gagner le maximum de concessions, tout en sachant que c’est le meilleur service qu’il peut rendre à Jospin et au gouvernement : si les patrons protestent, c’est que le gouvernement est de gauche, qu’on peut lui faire confiance, non ?

Le fond de l’affaire, c’est que les patrons ne se font pas trop de soucis.
Dans de multiples entreprises, ils signent des accords où ils trouvent tout à fait leur compte. "L’Usine Nouvelle", journal proche du Medef, ne cesse de valoriser les avantages que l’on peut retirer de cette loi.
Ensuite, dès qu’un conflit apparaît, ils font tout pour le désamorcer le plus vite possible. Nombreuses ont été les grèves, mais il n’y a eu aucune extension, tant les patrons se sont hâtés de reculer pour se contenter de ce qu’ils avaient déjà gagnés.
Enfin, le patronat ne se fait aucun souci pour l’avenir. Il sait qu’une loi peut défaire ce qu’une autre loi a faite, et que l’évolution de la conjoncture économique imposera d’elle-même, y compris au PS, les corrections et les remises en cause nécessaires.

Que font les syndicats ?

Pour les syndicats collabos, CFDT, FO et autres CGC, ils signent à tour de bras, même dans les entreprises dont ils sont absents, pour le seul fait d’être reconnus comme des partenaires responsables par le patronat.
Ils sont d’ailleurs grassement remerciés, heures de délégations, mandatements, réunions à huis clos etc... Bref, ils sont les dignes représentants de ce qu’on appelle le syndicalisme "réformiste", manière plus élégante de parler de la collaboration de classe.

Et la CGT ? C’est la comédie de "Retenez moi ou je fais un malheur !", mais surtout sans rien entamer qui puisse remettre en cause la loi ou son application. A RVI ou à la Poste, la CGT était prête à signer et n’a reculé que du fait de l’opposition des travailleurs. A la SNCF, elle a signé en brisant la grève d’opposition, sous couvert de "corporatisme". Elle a posé ses "conditions" pour la deuxième loi, sans contester ni le caractère flou de l’accord cadre, ni les sujets en débat, ni la modulation. D’ailleurs, ces conditions ont déjà été oubliées tellement elles ont été discrètes. Aujourd’hui, elle nous propose une "journée d’action" le 22 septembre qui va consister à rencontrer les parlementaires de la gauche plurielle pour leur faire part de leurs observations... même pas à l’occasion d’un débrayage. Diable, quelle audace et quelle violence dans la défense des travailleurs ! Même pas comme d’habitude un débrayage national bidon ! C’est un pas en arrière après un autre, l’alignement sur les autres confédérations, le discours radical en prime pour masquer la nudité et le silence assourdissant de la confédération CGT recentrée.
Mais dans les sections syndicales, la situation est un peu différente. Déjà au Congrès de janvier dernier, des voix avaient tonné contre la loi Aubry. Un peu partout des militants tentent d’organiser la résistance, même s’ils sont isolés. C’est cela qui va compter dans les mois et les années à venir, quand les faits vont montrer la réalité de la loi Aubry...

Enfin, les syndicats plus radicaux oscillent entre une opposition conséquente et radicale (comme SUD-Rail), solidement attachés à la défense des intérêts des travailleurs, et une opposition plus ou moins molle, hésitant entre la dénonciation des accords pourris et le refus de remettre en cause le gouvernement.

Pourquoi la gauche réussit-elle là où la droite a échoué ?

Il faut sortir de la lutte immédiate, de l’accord de boîte ou même de branche. C’est la loi Aubry qui est en cause, c’est une méthode de gouvernement, c’est une politique dans la lutte des classes, que l’on retrouve d’ailleurs chez Allègre dans l’Education Nationale ou chez Chevènement vis à vis des sans-papiers.
Le rôle historique de la social démocratie, c’est de profiter de ses liens avec les travailleurs pour désamorcer les luttes, étouffer les revendications, asservir les corps en même temps que les esprits.
La droite ancienne affronte à la hache, c’est le bâton sans fard. La droite nouvelle (autrement appelée gauche plurielle) sait aussi manier la hache, mais plus discrètement, sous couvert de défense des travailleurs, en prétendant être son ami, et en s’appuyant sur les appareils syndicaux et politiciens des municipalités et organismes dits sociaux (mutuelles, sécu...).
Ils connaissent les travailleurs et leurs aspirations et savent immédiatement les détourner au profit du capital. Ils savent que la révolte est dangereuse, et qu’il faut être souple et savoir reculer en bon ordre quand il le faut.
N’est-ce pas cela la "méthode Jospin" dont on nous a tant parlé, en l’opposant à la "méthode Juppé" de décembre 1995 ?

Le problème, c’est qu’ouvriers et travailleurs n’ont pas d’indépendance politique. C’est un atout formidable pour la social-démocratie qui peut alors se présenter comme seul recours ! La grogne syndicale boîte par boîte n’est finalement guère gênante, tant que le pouvoir politique n’est pas mis en cause.
C’est l’enjeu essentiel pour les travailleurs : pour pouvoir avancer, pour construire notre camp revendicatif, il faut lever la confusion, il faut s’attaquer aux responsables là où ils sont, au gouvernement. C’est un combat politique qu’il faut mener cet automne.
Camarades, rejoignez notre campagne contre la loi Aubry !
A.Desaimes

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