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Une enquête politique ça sert à quoi ?

Partisan n°142 - Octobre 1999

Nos lecteurs ont certainement remarqué que nous avons parlé à plusieurs reprises d’une enquête que nous menons à propos de la loi Aubry (cette enquête se poursuit, il n’est pas trop tard pour y participer, n’hésitez pas à redemander le questionnaire s’il le faut). Il nous faut expliquer pourquoi cette enquête (comme d’autres dans le passé) a beaucoup d’importance pour nous, militants de Voie Prolétarienne, et pourquoi cette manière de travailler nous est assez particulière.

Connaître les idées des masses

La première étape de l’enquête, la plus évidente, c’est de bien connaître ce que les gens pensent autour de nous. Ce n’est pas si évident : la tentation est toujours forte chez les militants de partir de ce que nous pensons. Or la plupart ne pensent pas comme nous. Nous avons parfois aussi ce travers à Voie Prolétarienne !
Bien connaître, c’est aussi ne pas s’arrêter à l’apparence : certains collègues sont discrets, ou se contentent de banalités, mais en approfondissant ont des choses importantes à dire. Par exemple, on a l’impression que beaucoup sont favorables à la loi Aubry, et en discutant on s’aperçoit que les réticences sont importantes et bien réelles. Ou à l’inverse, que des "grandes gueules" très critiques sont en fait assez conciliantes quand on va au fond. S’appuyer sur ce qui est juste pour combattre sur ce qui est faux.

 

La deuxième étape, c’est de faire le tri dans ce que les gens disent. Il faut savoir dégager les bonnes questions, voir où sont les points de blocage pour que la conscience et l’organisation progressent. Par exemple, l’enquête en cours nous montre que beaucoup de travailleurs autour de nous sont extrêmement critiques à l’égard du gouvernement, qu’ils sont prêts à reprendre sans problème "gauche=droite". Mais il y a de fortes illusions sur les possibilités de faire autrement. Souvent, nos camarades pensent qu’on "pourrait faire autrement", qu’il serait possible d’être "vraiment à gauche", bref ils sont sensibles au discours du PC ou de la gauche de la gauche (LCR par exemple).
Or nous disons que cela est une illusion, que les règles économiques du capitalisme s’imposent aux hommes politiques, et que la seule issue est révolutionnaire, qu’il n’y a pas de troisième voie. A partir de cet exemple, on voit qu’on peut par-tir de ce qui est juste (la critique radicale de la gauche au pouvoir, de son expérience au gouvernement depuis 1981), pour combattre ce qui est faux (montrer précisément qu’il n’y a pas d’alternative, et que l’évolution du PS et de toute la "gauche plurielle" est logique).
On voit sur cet exemple une chose très importante : pour faire le tri, il faut avoir une orientation politique bien claire. C’est selon notre orientation qu’il sera fait, et pas comme cela, en l’air. Tout le monde sait que les réponses à un sondage ou à un questionnaire sont orientées par la manière dont les questions sont posées : derrière le sondage, il y a une orientation cachée. Mais n’ayons pas peur de cela : la démocratie "pure", cela n’existe pas, nulle part. Chacun réfléchit et agit à partir de ce qu’il pense et défend. Simplement, nous le disons ouvertement et nous en faisons une méthode de travail.

Faire la synthèse

La troisième parce de l’enquête, c’est donc de faire la synthèse de tout ce que nous avons appris, à le lumière de notre orientation. Cela nous permet de retourner dans l’activité, vers les masses, avec une orientation politique pratique.

 

Ainsi, c’est l’enquête qui nous a permis de comprendre que le blocage et l’absence de réactions n’est pas dû avant tout à la mollesse des directions syndicales, niais à la confusion face à la gauche au gouvernement. Que le maillon à saisir est la critique radicale de la "gauche plurielle" (et même de la "gauche de la gauche") et de leur projet de réforme du capitalisme.
C’est à ce moment que nous pouvons avancer, que nous pouvons voir si notre enquête est correcte ou pas, si notre orientation répond (ou pas, cela arrive !) aux questions qui se posent autour de nous, si nous pouvons avancer vers une nouvelle phase d’enquête, et de mobilisation.

L’enquête ne peut être qu’active

Une des leçons de l’histoire que nous avons vérifiée, c’est qu’une enquête "à plat", ça ne donne pas grand-chose. Se contenter d’écouter ce qui se dit ne permet pas d’aller au delà des apparences. L’enquête doit être active, c’est à dire qu’elle doit intervenir sur les événements, sur les choses. Elle doit provoquer la réaction, susciter la polémique, permettre de voir qui sont les travailleurs qui sont clairs, ceux qui sont indécis, ceux dont la grande gueule ne résiste pas à la nécessité de se mouiller. A rester à l’en-quête passive, on se trompe souvent, d’une part sur ce que pensent les gens, et donc sur la manière d’avancer.
C’est une prise de parole dans une réunion syn­dicale, c’est un autocollant posé dans les vestiaires, c’est un tract polémique sur un événement local ou national qui permettent de faire une enquête véritable.

Pas d’enquête sans organisation

On voit bien que l’enquête, telle que nous la concevons, nécessite un support collectif organisé. Un militant seul restera à sa situation locale : il aura une image déformée de la réalité, et de plus il ne dispose pas de l’utilisation collective et critique d’une orientation élaborée par l’organisation. Il ne dispose pas des moyens de proposer une orientation, d’élaborer une théorie. L’enquête politique est un des instruments importants d’une organisation qui prétend lutter pour le communisme, c’est même un des instruments qui en fonde le socle, et la manière même de se construire. C’est cela qui va lui donner la solidité, le lien aux masses, pas seule-ment une confiance envers des militants sympathiques, actifs et radicaux, mais qui va construire véritablement le parti des exploités, le leur.

Les erreurs à éviter

La première erreur, c’est ne pas écouter les masses. En rester à ses positions de militants, qui prêchent la bonne parole autour d’eux, en espérant rallier les gens sur la base de la sympathie et de la radicalisé. C’est un peu le style de Lutte Ouvrière, qui souvent se soucie peu de ce qui se dit et préoccupe les collègues de travail. La deuxième erreur, c’est de se mettre à te remorque des masses.
On en connaît deux versions : il y a ceux qui se contentent d’exciter la révolte "la lutte, la lutte", mais n’ont pas de théorie. Ils savent s’appuyer sur la révolte des travailleurs qui ne supportent plus leur exploitation (par exemple, celle des sans-papiers), mais sans orientation ils les entraînent à l’impasse.
La deuxième version, c’est ceux qui savent s’appuyer sur les idées des masses, mais au service d’une orientation réformiste. L’exemple, aujourd’hui, c’est lâ CGT qui s’appuie sur le rejet croissant de la loi Aubry par les travailleurs pour exiger une "amélioration", une "bonne" loi, bref pour réformer le capitalisme, et empêcher une critique trop dure de la gauche plurielle. On voit une nouvelle fois que l’enquête ne peut pas être séparée de l’orientation politique qui la guide...

Un style de travail général

A Voie Prolétarienne, l’enquête fait partie de notre conception de l’activité politique, de notre manière de construire le parti des exploités, de faire vivre aujourd’hui notre conception du communisme. Cela ne va pas sans mal, y compris dans nos rangs, nous sommes tiraillés par les urgences et parfois nous voulons réagir vite à l’actualité, mais à partir de nos propres idées. Cela n’est pas ainsi que l’on construit en profondeur.
Prolétariser l’organisation, c’est transformer notre style de travail, nous lier toujours plus aux masses, prendre le temps d’écouter en profondeur, en lien avec notre orientation (résumée par notre Plateforme). C’est pour cela que nous multiplions les formules "Questions/Réponses" : sur les Sans-Papiers, sur le Kosovo, sur les 35 heures Aubry, sur la Guerre du Golfe,... Les questions abordées ne sortent jamais du hasard, de nos seules idées : elles représentent les questions que nous entendons autour de nous, chez nos collègues de travail ou de chômage. Elles permettent d’appuyer ce qui est juste, ce qui va dans le bon sens, et de combattre ce qui est faux. C’est encore une manière de mener l’enquête active, de susciter la réaction, de construire un réseau et une organisation solide...

 

Voilà ce qu’on pouvait dire de l’enquête et pour-quoi nous y donnons tellement d’importance. Alors ami lecteur, à quand la participation à l’enquête 35 heures ?

 

A. Desaimes

"Dans toute activité pratique de notre Parti, une direction juste doit se fonder sur le principe suivant ’ partir des masses pour retourner aux masses. Cela signifie qu’il faut recueillir les idées des masses (qui sont dispersées, non systématisées), les concentrer en idées générales et systématisées, après étude), puis aller de nouveau dans les masses pour les diffuser et les expliquer, faire en sorte que les masses les assimilent, y adhérent fermement et les traduisent en action, et vérifient dans l’action même des masses la justesse de ces idées" (A propos des méthodes de direction,Mao Tsé Tong, 1943)

 

"Nos camarades engagés dans un travail pratique subiront des revers s’ils font un mauvais usage de leur expérience. Il est vrai qu’ils ont souvent une grande expérience, ce qui est très précieux ; mais ils serait fort dangereux qu’ils s’en contentent. Ils doivent comprendre que leurs connaissances sont sur-tout le résultat de la perception sensible, qu’elles sont le plus sauvent partielles, et qu’il leur manque les connaissances rationnelles et généralisées ; en d’autres ternies, la théorie Ieur fait défaut et, par conséquent, leurs connaissances sent relativement incomplètes. Or, il est impossible de mener à bien une œuvre révolutionnaire sans avoir des connaissances relativement complotes". (Pour un style de travail correct dans le Parti, Mao Tsé Tong, 1942)

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