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Inde : une lettre à Alternative Libertaire

Chers Camarades,

C’est avec une très agréable surprise que nous avons pris connaissance de l’article du camarade Cuervo, intitulé « Dans le corridor rouge », paru dans Alternative Libertaire n°197. En effet, force est de constater que la presse d’extrême gauche - ou, plus largement, dite « alternative » - s’est jusqu’à présent distinguée par une remarquable unité... d’inaction et de silence quant aux mouvements populaires d’une ampleur sans précédent depuis les années 70 qui agitent l’Inde et le Népal.
Si nous partageons les grandes lignes de l’analyse que nous propose le camarade Cuervo, nous tenons néanmoins à faire part de nos réserves quant à la présentation de certains faits. Dès le début de l’article, pourquoi prendre le risque de confondre les deux ennemis de classe en écrivant : « ... la guérilla naxalite et le gouvernement s’affrontent depuis 50 ans sur un immense territoire, faisant des centaines de victimes tous les ans. » ? La guérilla naxalite serait-elle un phénomène extérieur à la lutte des opprimés indiens, ces derniers en étant les « victimes » au même titre que celles des exactions des flics et des milices patronales ? La suite de l’article nous dit fort justement le contraire. L’agresseur est clairement identifié : il s’agit, en Inde comme au Mexique ou en France, du système capitaliste d’exploitation de l’Homme et de la nature et de l’oppression physique et psychique qu’il entraîne. Comme les « zapatistes », les « naxalites » sont la forme organisée de la résistance populaire. Ce n’est pas la « guerre naxalite » qui « fait des centaines de victimes par an » mais la logique prédatrice du Capital mondialisé - en Inde, sous la forme des groupes multinationaux Tata, Mittal, Rio Tinto, etc. - qui en fait des centaines de milliers !
En Asie, que ce soit en Chine, au Vietnam, en Palestine ou en Inde, la lutte de classe a souvent emprunté la voie de la guerre populaire prolongée. L’attitude extrêmement violente des classes dominantes ainsi que la nature, très majoritairement paysanne, des classes dominées expliquent ce choix et sa pérennité. Dire que « la guérilla se nourrit sur le pays, et les villages pris entre Salwa Judum et naxalites paient deux fois le prix fort » revient à ignorer les conditions mêmes qui rendent possible cette guerre populaire, c’est-à-dire non seulement la mobilité dans un terrain que l’on connaît, mais l’omniprésence complice parmi une population qui vous connaît et vous soutient matériellement et moralement. C’est maintenant un lieu commun d’affirmer que le guérillero ne survit que s’il est « comme un poisson dans l’eau » au sein des masses. Comment expliquer autrement les quarante-trois années d’existence du naxalisme ?... Si l’on oublie ces principes élémentaires, il est alors logique de regretter que le mouvement populaire indien soit « ultra violent et autoritaire » et que le capitalisme indien « s’entête criminellement à ignorer sa propre misère ». Mais c’est là une logique induite par ce qui nous semble être des restes d’illusions réformistes. La guerre, même populaire (et peut-être encore plus celle-ci), est toujours « ultra violente et autoritaire » car elle est l’exercice planifié (c’est-à-dire dirigé) dans le temps et l’espace de la violence. Quant à imaginer (espérer ?) un capitalisme compatissant à sa propre misère...
Nous pensons que ces différences d’analyse ne doivent pas nous empêcher de continuer à confronter nos informations et nos idées sur la situation politique du sous-continent indien, au contraire.

Salutations révolutionnaires,

Fait à paris le 22 juillet 2010, pour le Comité franco-népalais

L’intégralité de cette lettre sur nouveaunepal.over-blog.com

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