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Les racines idéologiques de l’antisémitisme

Partisan N°271 - Février 2014

Les antisémites voient les Juifs là où ils veulent bien les voir. Si nous nous amusions à compter les Bretons, les Corses, les Corréziens dans la haute administration, les assemblées, chez les grands capitalistes, il y aurait à chaque fois matière à y voir un complot supplémentaire. Les Juifs ne sont pas plus nombreux que les autres. Une vision du monde au prisme d’un lobby communautaire surpuissant n’a aucun fondement dans la réalité.

Alors pourquoi l’antisémitisme a autant de succès ?

Parce qu’il permet de concilier deux choses. D’un côté le sentiment de révolte, qui naît forcément de la crise que subissent, à des degrés divers, les prolétaires, mais aussi de larges couches de la petite-bourgeoisie. Mais aussi, en même temps, puisque dans la société bourgeoise les idées bourgeoises sont dominantes, cette révolte ne peut s’exprimer spontanément par des idées révolutionnaires. L’antisémitisme est donc une conciliation de la révolte et des idées réactionnaires. Il permet de dénoncer les maux de la société tout en refusant d’en accuser les vrais responsables : la bourgeoisie et le mode de production. On peut ainsi manifester une rébellion, tout en étant soit même complètement aliéné par les valeurs bourgeoises. On peut pointer des responsables sans avoir à remettre en cause l’individualisme, la soumission au jeu de la concurrence effrénée, le désir de réussite individuelle dans le cadre de la société capitaliste. Fondamentalement, l’antisémitisme revient juste à insinuer que ce n’est pas le système (même si les antisémites se prétendent « anti-système ») qui est vicié, mais seulement « le lobby » qui en aurait pris les commandes.

Contradiction entre révolte et aliénation

C’est par ce biais que des chanteurs populaires comme les rappeurs Kerry James ou Médine se révèlent perméables à ce genre d’idéologies. Issus de milieux prolétaires, ils expriment dans leurs chansons de la révolte, mais en même temps n’arrivent pas à prendre de la distance avec l’idéologie bourgeoise : quasiment la seule issue qu’ils envisagent, c’est celle de la réussite individuelle dans le cadre du capitalisme. C’est par exemple le fond de la chanson « Banlieusard » de Kerry James. Si on n’accuse pas la bourgeoisie et le capitalisme, il ne reste plus que des cibles fantasmés, les Juifs, ou les Francs-maçons, ou d’autres…

Idées progressistes contre idées réactionnaires

L’antisémitisme peut-être complètement irrationnel, facile à démonter, et être pourtant convaincant aux yeux de larges pans des masses, car il conforte les idées solidement ancrées. Il ne se combat pas principalement par des démonstrations statistiques, comme montrer qu’il n’y a pas plus de Juifs que d’autres chez ceux qui nous dirigent : cela n’empêchera pas de trouver d’autres bouc-émissaires. Non, l’antisémitisme prend ses racines dans une terreau bien plus profond. La tâche des révolutionnaires est donc de combattre les idées réactionnaires, pour que les sentiments progressistes prennent leur place dans la tête du peuple. Au quotidien, cela signifie combattre sans concession l’individualisme, le racisme, la misogynie, l’homophobie. Dans les mouvements de révolte populaire, se joue toujours une lutte idéologique, entre ceux qui veulent les transformer en leur contraire et les associer à un programme réactionnaire, et ceux qui veulent, au contraire, qu’elle mène à une prise de conscience révolutionnaire. Car les idées justes n’émergent pas spontanément de la révolte : il faut une intervention politique consciente pour que celle-ci en accouche.

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