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ALSTOM : Que l’Etat « rentre dans le capital » ?

Contradictions de la bourgeoisie

En difficulté – c’est le déclin de l’impérialisme français -, le groupe Alstom met en vente sa branche énergie. Le choix entre General Electric et Siemens a surtout permis aux médias de mettre en lumière les divergences et le partage des rôles au sein de la bourgeoisie française. La logique industrielle et financière (les deux concommittantes, remarquez-le), celle de Patrick Kron le PDG d’Alstom et celle des actionnaires, mène à la firme américaine parce que son catalogue est complémentaire, tandis que celui de l’allemande est identique. Patrons et actionnaires choisissent la mise en commun des richesses, avec GE, contre un sauvetage de la misère, avec Siemens.
La logique du gouvernement est différente, elle est plus politique et stratégique. Elle vise la construction de l’Europe dans la concurrence avec l’Amérique et l’Asie. Quitte à créer des doublons et à terme plus de suppressions d’emplois. Ce qui est remarquable à ce niveau, c’est que les travailleurs, spontanément, sont plutôt du côté des patrons et des actionnaires, et contre l’Etat.

Gauche et gauche de la gauche

Sortant apparemment de ce dilemme, les syndicats et partis de gauche demandent à l’Etat de jouer un autre rôle, engager son propre capital. Thierry Lepaon, le secrétaire général de la CGT, a déclaré sur RMC-BFM : « Je pense que l’Etat doit rentrer dans le capital. L’Etat, c’est ce qui assure la stabilité. » Tous les syndicats – enfin les cinq représentatifs – partagent cet avis. Ils l’ont exprimé dans un communiqué le 30 avril au sortir d’une entrevue avec Montebourg. Sans même évoquer la question des emplois. Leur souci, c’est la « consolidation d’Alstom dans son intégrité et son indépendance », ce qui nécessite « la montée de l’Etat au capital d’Alstom ». La « montée » parce que l’Etat y détient encore 0,9%. Le Front de Gauche est sur les mêmes positions. Par exemple, déclaration d’André Chassaigne, PCF, le 6 mai).
Besancenot, qui a repris une place de leader en tant que tête de liste NPA aux européennes, va évidemment un peu plus loin. Il a déclaré sur RFI : Choisir entre GE et Siemens, c’est « choisir entre la peste et le choléra... Il y a une troisième solution, c’est la reprise publique, une piste non explorée, ou seulement de façon temporaire ». Et de se prononcer « pour un service public de l’énergie des transports européens ». Voici donc le retour de la nationalisation, et pourquoi pas au niveau européen. Mais elle est passée de la gauche au NPA... Avec un petit souci : toutes les nationalisations jusqu’alors ont gardé un caractère temporaire.

L’Etat est un super-capitaliste

Que les nationalisations aient été le plus souvent temporaires, l’histoire de l’Alstom suffirait à elle seule à l’illustrer. Son ancêtre, la CGE (devenue Alcatel-Alsthom en 1991) a été nationalisée en 1982, et reprivatisée cinq ans plus tard. Pour le plus grand bénéfice – c’est le mot – des capitalistes. Bien indemnisés en 1982, ils ont redispatché leurs capitaux dans des branches plus juteuses. Et ils ont retrouvé en 1987 une affaire rentable.
Autre épisode, en 2004-2006. Au bord de la faillite, le groupe est en négociation avec Areva, et avec Bruxelles. Sarkozy se présente en sauveur – on voit le résultat aujourd’hui ! - et il engage l’Etat dans le capital – on ne lésinait pas sur les dépenses avec lui -, puis, deux ans plus tard, refile le bébé à son ami Bouygues, qui devient avec 25,1% le principal actionnaire. C’est lui, Bouygues, qui en se retirant aujourd’hui est à l’origine de la crise du groupe.
Que l’Etat soit, dans des opérations comme celle-ci, un repreneur capitaliste comme un autre, aux épaules un peu plus larges que d’autres et c’est tout, la meilleure preuve en est – ce que Besancenot ne dit pas ici – qu’il est le premier licencieur du pays, le champion des suppressions d’emplois. Et son rôle de conseil d’administration national de tous les capitalistes lui dicte des conditions avantageuses... pour les autres, dans toutes ces opérations de nationalisations-privatisations, sachant que la facture, en définitive, est pour les contribuables.

Alors, que défendre ?

Un, les emplois. Deux, les salaires et autres avantages sociaux des travailleurs. Autrement dit, notre camp, notre classe, un point c’est tout. Sans rentrer dans le choix entre repreneurs, Etat y compris ; et dans les stratégies industrielles que, de toutes façons, nous ne maitriserons pas. Et se préparer à maitriser, c’est-à-dire à remplacer patrons et gouvernement par un pouvoir des ouvriers.
Ce n’est pas gauchiste ; ça peut même expliquer une préférence pour une solution patronale plutôt qu’une autre si elle ne prévoit aucunes suppressions d’emplois, ou moins qu’une autre !
Mais laisser croire qu’une participation de l’Etat sauverait la situation, c’est du Sarkozy de 2004 ! Ou qu’une nationalisation durable ce serait du solide, c’est du Mitterrand de 1981 !

 

H.V.

Tract CGT Alstom-GRID Massy,le 07/05.
Extrait (2e partie du tract) :

Alors, le seul espoir est-il lié à l’intervention de l’Etat, qui pourrait injecter de l’argent public pour « sauver » le groupe Alstom ? Doit-on aller jusqu’à demander à l’Etat qu’il nationalise Alstom ?
Les luttes récentes des travailleurs contre les « casseurs » d’entreprise, en commençant par la grève de 4 mois des ouvriers de PSA Aulnay contre la fermeture de leur usine l’an dernier, montrent bien qu’il ne faut compter ni sur ceux qui ne pensent que profits, ni sur ceux qui n’ont pour seule politique que de les aider à retrouver leur compétitivité perdue à l’aide des deniers publics. Si les mots ont un sens, nationaliser en régime capitaliste, ce serait acheter avec des fonds publics les parts détenues par des capitalistes privés. En l’occurrence dans notre cas, le premier bénéficiaire d’une telle nationalisation serait encore le sieur Bouygues, qui détient 30 % d’Alstom dont il veut maintenant se débarrasser.
Que ce soit General Electric ou Siemens qui sorte gagnant de la curée qui se prépare, nous n’avons rien de bon à attendre de ce Monopoly géant où les travailleurs sont vendus, achetés, loués, licenciés.
Qu’ils soient français, américains, allemands, chinois ou autres, tous les groupes capitalistes sont à mettre dans le même sac. Les travailleurs de Belfort (2800 personnes travaillent à Alstom, 2000 autres travaillent à GE sur le même site) en savent quelque chose. D’un côté ou de l’autre, ils subissent des restructurations, des suppressions d’emplois, l’austérité salariale, le chantage à la compétitivité. Alors, pendant que le gouvernement fait de l’enfumage, nous les salariés, nous ne devons compter que sur nous-mêmes, nos propres forces, être bien conscients que, au-delà du trust qui profite de notre travail, nos intérêts sont communs.

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