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Marx répond à Bakounine

En 1875, donc après la Commune, après l’exclusion des bakouninistes de l’AIT, Marx lit « Etatisme et anarchisme » de Bakounine. Il prend des notes et écrit des commentaires. Le tout étant assez décousu (1), nous avons indiqué « Bakounine » pour les extraits et « Marx » pour les commentaires (2). Il en ressort que le dirigeant anarchiste ignore ce que peut être un demi-Etat (3), une phase de transition, des fonctions dirigeantes tendant à l’universalité des fonctions dirigeantes, et donc à leur disparition.

 

Bakounine : Que signifie le prolétariat élevé au rang de classe dominante ?
Marx : Cela veut dire que le prolétariat, au lieu de lutter isolément contre les classes économiquement privilégiées, a conquis assez de force et d’organisation pour utiliser dans sa lutte contre elles des moyens de violence généraux. (...)
Bakounine : Est-il possible que tout le prolétariat soit à la tête du gouvernement ?
Marx : Dans une trade-union, par exemple, tout le syndicat forme-t-il le comité éxécutif ?
Bakounine : Les Allemands sont environ 40 millions. Tous les 40 millions, par exemple, seront-ils membres du gouvernement ?
Marx : Certainement ! Car la chose commence par le self-government de la commune.
Bakounine : Alors il n’y aura pas de gouvernement, pas d’Etat, mais, s’il y a un Etat, il y aura des gouvernants et des esclaves.
Marx : C’est-à-dire simplement : lorsque la domination de classe disparaitra et qu’il n’y aura pas d’Etat dans le sens politique actuel.
Bakounine : Ce dilemme dans la théorie des marxistes se résout facilement. Par gouvernement du peuple, ils (Marx : c’est-à-dire Bakounine) entendent le gouvernement du peuple à l’aide d’un petit nombre de dirigeants élus par le peuple.
Marx : Âne ! C’est du verbiage démocratique et du radotage politique ! (...) Le caractère de l’élection ne dépend pas de cette dénomination, mais au contraire de la base économique, des rapports économiques entre les électeurs ; aussitôt que les fonctions ont cessé d’être politiques : 1° il n’existe plus de fonction gouvernementale ; 2° la répartition des fonctions générales est devenue une chose de métier et ne confère aucun pouvoir ; 3° l’élection n’a rien du caractère politique actuel. (...) Sous la propriété collective, la soi-disant volonté du peuple fait place à la volonté réelle du coopératif.
Bakounine : Ainsi, en résultat : conduite de la grande majorité de la masse populaire par une minorité privilégiée. Mais, cette minorité, disent les marxistes (Marx : où ?), sera composée d’ouvriers. Oui, permettez, d’anciens ouvriers, mais qui, dès qu’ils ne sont plus représentants ou sont devenus gouvernants du peuple, cessent d’être des ouvriers...
Marx : Pas plus qu’un fabricant cesse aujourd’hui d’être un capitaliste par le fait qu’il devient membre du conseil municipal.
Bakounine : ... et regarderont du haut (de l’Etat) tout le monde ouvrier du commun ; ils ne représenteront plus le peuple, mais eux-mêmes et leurs prétentions au gouvernement du peuple. Celui qui douterait de cela ne connaît rien à la nature humaine.
Marx : Si M. Bakounine était au courant ne fût-ce que de la situation d’un gérant même dans une fabrique coopérative ouvrière, il enverrait au diable tous ses rêves autoritaires. Il aurait dû se demander : quelles formes peuvent prendre des fonctions administratives sur la base de cet « Etat ouvrier », s’il veut l’appeler ainsi ? (...) Comme le prolétariat, durant la période de la lutte pour le renversement de l’ancienne société, agit encore sur la base de cette ancienne société et, par conséquent, se meut encore dans les formes politiques qui lui correspondaient plus ou moins, il n’a pas encore atteint se constitution définitive durant cette période de lutte et il emploie pour son affranchissement des moyens qui disparaitront après cet affranchissement : de là, M. Bakounine conclut qu’il doit plutôt ne rien faire du tout... qu’il doit attendre le jour de la liquidation générale, du jugement dernier.

 


- 1) Karl Marx, Révolution et socialisme, Payot 2008, page 228.
- 2) ibid. pp 230-233.
- 3) Voir L’Etat et la révolution, de Lénine.

L’AIT

 

Il y a 150 ans, le 28 septembre 1864, était créée à Londres l’Association Internationale des Travailleurs, appelée aussi Première Internationale. Marx en a rédigé l’Adresse inaugurale et les Statuts.

 

Premièrement, c’était une association. Ni un petit groupe comme la Ligue des Communistes avant elle, ni un regroupement de partis comme après elle, l’AIT associait : des partis ouvriers, des syndicats surtout, mais aussi des coopératives, des mutuelles. L’article premier des statuts utilise le mot « sociétés » :
« L’Association est établie pour créer un point central de communication et de coopération entre les sociétés ouvrières des différents pays aspirant au même but, à savoir : la protection, le progrès et le complet affranchissement de la classe ouvrière ».
Les sociétés de secours mutuel et les syndicats peuvent se retrouver dans la « protection » et le « progrès », les partis politiques dans le « complet affranchissement », mais les premiers doivent viser le pouvoir politique s’ils ne veulent pas rester éternellement subordonnés au capitalisme, et les organisations politiques doivent avoir une ligne de masse car c’est dans la classe ouvrière que se trouve leur force .

 

Deuxièmement une association internationale. C’est la raison d’être spécifique de l’AIT, regrouper des organisations ouvrières de différents pays. Dans la réalité, et c’est significatif, elle ne regroupe que des travailleurs d’Europe puis d’émigration européenne (Amérique, Australie), là où s’est développée la révolution industrielle. Le capitalisme, comme l’organisation ouvrière, sont bien internationaux, mais pas encore mondialisés.

 

Troisièmement, une association de travailleurs. L’AIT a aussi ses origines bourgeoises et petites-bourgeoises. Mais sa naissance est de s’en démarquer. En 1862, des militants ouvriers anglais et français se rencontrent à Londres à l’occasion de l’exposition universelle, et l’idée d’une association internationale est formulée. En 1863, le même projet est fait lors d’un meeting organisé, toujours à Londres, en soutien à la Pologne. Dans la capitale mondiale du capitalisme donc, dans le cadre d’une initiative bourgeoise d’abord, puis dans celui d’une initiative démocratique anti-impérialiste de soutien, c’est la volonté d’une organisation ouvrière indépendante.
La grande lutte de lignes interne dans l’AIT a opposé « bakouninistes » et « marxistes », en un mot l’esprit révolutionnaire petit-bourgeois et la politique révolutionnaire ouvrière.

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