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Avoir la majorité : un faux dilemme

Partisan N°226 - Mars 2009

Beaucoup de groupes trotskistes se disent révolutionnaires et vouloir le pouvoir des prolétaires. Ils répètent mécaniquement que ce sera le pouvoir de la classe ouvrière, en n’expliquant pas comment la classe ouvrière s’emparera du pouvoir que la bourgeoisie détient, et surtout comment elle gardera ce pouvoir. Et souvent on se rend compte que tout le monde est catégorisé comme ouvrier, sauf les patrons. Une autre variante est de parler du pouvoir des travailleurs, de mettre sur le même plan des luttes ouvrières ou des luttes sociétales, par exemple. Le pouvoir de la classe ouvrière est estompé au profit de ceux ou celles qui luttent, comme le fait le NPA. Bref, c’est le pouvoir à ceux qui ont de la bonne volonté et de l’énergie. Ce problème n’est pas nouveau dans l’histoire. Lénine s’était affronté à la IIe internationale « qui s’endormait dans une agréable torpeur à laquelle la première guerre mondiale devait mettre fin »

Les penseurs de la IIe Internationale [1] pensaient que la révolution prolétarienne était impossible et même indésirable, et que Marx s’était trompé sur ce point. Leur électoralisme les poussait à un faux dilemme : « Ou bien nous avons 51 % des voix, et alors nous pouvons accomplir une révolution – une transformation des rapports sociaux – par la seule voie politique légale, par le seul parlementarisme bourgeois. Ou bien nous n’avons pas 51 % des voix, et le prolétariat ne peut agir révolutionnairement ; minorité, il part vaincu. D’autant plus qu’il manque de cadres, de techniciens, d’administrateurs qualifiés. D’ailleurs, la lutte parlementaire peut remplacer avantageusement, dans les limites du possible, l’action extra-parlementaire. »

Lénine refuse ce faux dilemme. Jamais les révolutionnaires, qui représentent des classes ou des alliances de classes, n’ont attendu d’avoir une majorité pour agir. « Il leur a toujours suffi que la conjoncture politique, c’est à dire l’ensemble des rapports de classes et de forces dans une société donnée, à un moment donné de l’histoire, leur soit favorable ». En 1789, la bourgeoisie française n’avait pas derrière elle, au début, une majorité consciente. La bourgeoisie avait en face d’elle un Etat encore féodal, et cet Etat avait contre lui les paysans, les artisans, les ouvriers. Personne à l’époque n’avait analysé les entraves au développement économique et social de la société féodale. Les Jacobins n’ont pas attendu que la bourgeoisie représente une majorité pour agir.

Lénine ne substitue pas la théorie de la minorité agissante, coupée des masses, à celle d’une majorité électorale. Il parle d’analyse de la situation concrète, de l’analyse de la crise révolutionnaire, toujours à renouveler, et, comme dirait Mao, du lien aux masses en menant l’enquête. Le pouvoir bourgeois soulèvera contre lui non seulement le prolétariat, mais toutes les classes sociales aux contours assez flous. Il s’agit là du problème des alliances de classe autour de la classe ouvrière, « seule classe révolutionnaire jusqu’au bout ».

Majorité ou minorité pour transformer les rapports sociaux et de propriété ? « Dans la vie pratique et politique, de tels dilemmes ne se présentent que rarement ou même jamais. Ils résultent de problèmes mal posés. La classe ouvrière révolutionnaire se sert de tous les moyens, tour à tour, selon les circonstances. » Il n’y a pas de révolution par les urnes. Il peut y avoir des avancées, qui seront vite reprises par la bourgeoisie. La lutte armée fait partie du débat, car la bourgeoisie qui détient le pouvoir ne le lâchera jamais, même si les révolutionnaires font plus de 50% des voix. On doit se rappeler de l’exemple du Chili. Il n’y aura pas de révolution sans parti d’avant-garde, le parti communiste que nous voulons construire. Comme disent les marxistes : « Sauf le pouvoir, tout est illusion ».

Valentin

Source : « Pour connaître la pensée de Lénine » par Henri Lefèbvre

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