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Sénégal : Les élections présidentielles de février 2007

Supplément web à Partisan n°210 de février 2007

- Un despotisme politique
La réalité politique du Sénégal est tributaire d’une situation coloniale. Tête de pont de l’empire colonial français en Afrique occidentale, elle accède à l’indépendance en 1960. Le premier président du pays Senghor met le pays sous giron néocolonial français avec une base militaire française, l’intégration dans la zone monétaire Franc, une spécialisation de l’économie (culture de rente, phosphates) dont les secteurs vitaux sont contrôlés par des entreprises françaises. Du despotisme politique de Senghor, par le musellement de la presse, des opinions, le parti unique, l’administration partisane à la solde du pouvoir, des élections truquées au taux de 98%, combiné à l’idée que le socialisme est possible par la réalité des états socialistes URSS et Chine etc. avait germé une frange de la jeunesse aguerrie idéologiquement et politiquement par les luttes de mai 68. Cette sorte d’avant-garde avait assisté aux levées populaires de la classe ouvrière en mai 68 en 69 et avait vu le pouvoir chanceler, être dans la rue.
Senghor, en bon manœuvrier, liquide la principale confédération syndicale en sabordant sa direction, en nommant son président ministre, en enfermant les plus récalcitrants du mouvement scolaire et estudiantin ou en les enrôlant de force dans l’armée. Les intellectuels, instruits de marxisme-léninisme (ML), ou de maoïsme font un bilan de mai 1968 et trouve que ses limites sont l’absence d’un parti avant-gardiste de type léniniste. Les premières organisations dites révolutionnaires naissent dont les plus importants ont été le Parti Africain pour l’Indépendance (PAI) d’obédience moscovite, un peu plus tard la Ligue Démocratique (LD, dissidente de la première pour des querelles de préséance) et AND-JËF (AJ, organisation maoïste sans lien véritable à la Chine populaire). Au-delà des rivalités, des luttes d’accaparement des luttes, grèves, syndicats, ce qui est en jeu dans cette jeunesse c’était la capacité des masses ouvrières, paysannes, petites bourgeoises à mettre en œuvre une pensée de non domination. Ils étaient ragaillardis par l’idée de l’existence d’Etats socialistes : URSS et ses satellites pour les uns ou la Chine pour les autres.
Parallèlement à une liaison avec les masses dans les usines, les entreprises, les écoles, les quartiers, se réalisait une formation idéologique marxiste très intense. Les grèves s’en suivirent, le pouvoir était aux abois. La clandestinité des organisations qui est une option politique et idéologique, l’engouement des jeunes à la révolte et à la résistance face à un despotisme, à la crise économique avec ses corollaires de chômage, de faim, de maladie, l’arrogance de la classe au pouvoir ont fondamentalement mis en place un mouvement très fort.

- Un multipartisme plus ou moins encadré
La bourgeoisie fit le bilan, décide de rompre d’avec le monopartisme, d’ouvrir des courants et de demander aux partis qui le voulaient de s’y inscrire. Les partis d’extrême gauche décidèrent leur implantation dans les masses. Devant l’intensité des luttes et une popularité croissante de leurs dirigeants par leur ténacité, Senghor capitule après avoir changé l’article 35 de la constitution pour donner le pouvoir à Abdou Diouf, son premier ministre en 1981. Lui aussi fit le bilan pour décider la légalisation de tous les partis qui en font la demande. La volonté de la bourgeoisie était de faire en sorte que ces organisations cessassent l’antagonisme à tout l’Etat et à elle. Le piège a été l’étatisme, catégorie qui signifie la capture des organisations dans la sphère de l’Etat, le jeu de les piéger à mener leurs luttes dans ce que la bourgeoisie trouve relativement amendable, concédable. Les débats à l’intérieur des partis ML tournaient autour de deux lignes : continuer le choix d’une politique révolutionnaire axée sur les masses ou se faire légaliser.

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L’électoralisme de la gauche en mouvement

Pour contourner la volonté de pérenniser la ligne fondatrice dominante, les directions proposèrent de légaliser une partie du parti. C’était sans compter qu’elles optaient cette position médiane pour contourner le débat et entraîner le parti dans la légalisation et s’étatiser, donc devenir réformiste. Le compte a été que toutes les organisations de base ou de masses d’alors (le mouvement culturel, les comités de résistance dans les quartiers, les comités d’usines, les syndicats) se sont liquidés progressivement. Les partis s’étatisèrent au sens où ils ne se préoccupèrent plus des masses et s’inscrivirent dans l’espace gouvernemental dont le paramètre premier est la gestion de l’Etat par la question : qui, à son tour, va être le fonctionnaire du capital dans un corps gouvernemental. La politique se réduisit alors à trouver les stratégies pour gérer l’Etat. Cette période se réduisit politiquement à instrumenter les syndicats, le mouvement scolaire et estudiantin pour créer une atmosphère de troubles pour négocier avec l’Etat et entrer dans le gouvernement du Parti Socialiste (PS) d’alors. Il s’agit de deux partis d’extrême gauche : la LD et Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT d’obédience moscovite). AJ refuse les offres pour entrer dans un gouvernement en tenant encore sur un prétendu radicalisme. Les élections législatives n’ont octroyé aux partis que de faibles pourcentages n’offrant aux uns ou aux autres que deux à quatre députés. Un peu avant et après, le discours basé sur dénonciation de la prise en otage de l’économie par le capital financier international via le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale a disparu cédant la place à un reportage sur les négociations avec les autres forces en vue de renverser aux prochaines élections le pouvoir de Diouf-PS ou sur les scandales, en un mot l’universel reportage journalistique. Les théories se faisaient autour de la nécessité de soutenir le parti le plus apte à réaliser l’alternance : le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) libéral. Pour ces partis, Mars 2000 est une date historique en ce qu’elle a permis d’apprendre au peuple la capacité à l’alternance. Les populations se mobilisent, se battent, s’organisent et obtiennent électoralement l’alternance. La gestion des partis de l’alternance fut catastrophique. Dans le sens du mauvais, elle dépassa les prévisions les pessimistes, les plus lucides. Mais elle aura aussi tu le programme alternatif de la véritable gauche. Les partis se partagèrent le pouvoir selon l’importance de leur prétendue représentativité électorale.

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Déliquescence de la gauche et Paupérisation des couches populaires

Depuis les masses sombrent dans une pauvreté absolue, le secteur de la santé s’est lézardé en se privatisant davantage, l’école est dans un piteux état. Par contre, les biens immobiliers, financiers de l’Etat sont dilapidés avec des scandales qui frisent la démesure : une cinquante de milliards de Francs CFA (1 € = 655 957 Francs CFA) détournés des chantiers de Thiès. Le tissu économique et industriel s’est délabré. En terme de performance économique, le Sénégal est cité comme l’un des derniers pays de l’Union Monétaire Ouest-Africaine. La paysannerie est aux abois, en prise avec une pauvreté jamais atteinte. La jeunesse est au chômage quand elle ne se risque pas à prendre les bateaux du suicide vers l’Espagne. Les partis politiques, eux se livrent des batailles de procédures sur les répartitions de députés par département, se décomposent et se recomposent en alliances pour le pouvoir et son partage en cas de victoire. Le pouvoir en place, se trouve en face de son ex premier ministre qui dit s’être servi des fonds politiques pour s’enrichir et se préparer aux élections comme bon nombre de partis dont le P.D.S au pouvoir. Pendant ce temps, des militants de gauches dits encore ML ou ML-maoïstes suivent des trajets singuliers allant de l’apathie, aux vitupérations solitaires ou à des débats sans portée. Les conjectures sur les futurs vainqueurs des élections sont sans importance. Quelle que soit l’issue de ces élections, il n’y aura pas d’alternative réelle en vue. Il n’y a plus rien à attendre des partis de gauche gangrenés par l’électoralisme.

- Quelles alternatives ?
Il y a urgence à refonder la politique communiste au sens d’une capacité à l’émancipation pour réaliser une existence politique au cœur des luttes. Heureusement, quelques individus ont compris que le grain ne doit mourir et s’attellent à cette obligation. Cette refondation pose la rupture–bilan d’avec les partis traditionnels originels qui se sont étatisés et sont devenus réformistes. Parallèlement à ce travail de refondation-recomposition sur le plan idéologique et politique, il y a l’inscription dans des batailles politiques qui doivent se mener autour de la résistance populaire dans les quartiers populaires et les villages pour l’accès à l’eau, aux soins de santé, à l’éducation et contre la vie chère. Des batailles à faire autour de la laïcité de l’Etat qui a pris un sacré coup dans les lieux publics, dans les institutions supérieures de l’Etat, autour de la pauvreté pour la refuser comme fatalité pour en faire la conséquence d’une politique capitaliste sont autant de points d’ancrage pour réfléchir, débattre, s’organiser et lutter pour une société pour le tassement progressif des inégalités et aussi pour leur suppression par la suite.


Un militant communiste du Sénégal

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