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Il y a 90 ans La révolution d’Octobre

Partisan N°2015 - Octobre 2007

La révolution d’Octobre suscita l’enthousiasme des ouvriers du monde, mais déchaîna contre elle les impérialistes. Ils apportèrent, dès 1918, un appui militaire à la réaction blanche qui tenta, vainement, de renverser le nouveau pouvoir. De 1918 à 1920, la guerre civile épuisa la Russie. Elle mobilisa toutes les énergies révolutionnaires. Comme en 1793, au cours de la révolution française, pour faire face au danger imminent, tout fut sacrifié à la défense de la révolution. Il fallait vaincre ou périr, même au prix de sacrifices politiques qui pesèrent lourd ensuite, comme par exemple le dépérissement du rôle des soviets.

- Octobre, l’enthousiasme des prolétaires, la haine des impérialistes. Les ouvriers les plus conscients furent absorbés par l’appareil d’Etat, l’armée et la police politique. Les réquisitions de blé imposées aux paysans les dressèrent contre le pouvoir rouge. Dans les usines, le remplacement des ouvriers communistes, absorbés par les tâches politiques et militaires, par des paysans ou des petits bourgeois déclassés, ouvrit une brèche entre l’avant garde et la masse des travailleurs où l’influence des courants réformistes restait forte. Cette coupure se manifesta dans des grèves, et l’insurrection de Kronstadt, réprimée par l’armée rouge. Au sortir de la guerre civile, Lénine fit adopter une « Nouvelle Politique Economique » pour rétablir l’alliance entre les ouvriers et les paysans, et renforcer les liens entre l’avant garde et la masse des ouvriers.
Sur cette révolution, Partisan est revenu plusieurs fois. Commémorer cet événement, c’est en montrer l’actualité, et en tirer des enseignements pour nos combats d’aujourd’hui.

- Sans théorie révolutionnaire, pas de parti révolutionnaire. Dans notre plate-forme, nous soulignons le rôle de Lénine dans la construction d’« un parti, capable de guider les ouvriers jusqu’à la prise du pouvoir », et son insistance sur « l’importance de la théorie dans la formation d’un parti d’avant-garde ». Ce parti basé sur un fonctionnement « centralisé et démocratique » était un « parti complètement différent des partis parlementaires traditionnels ». Affirmer cela n’est pas dans l’air du temps. Individualisme aidant, l’engagement politique dans un parti est souvent assimilé à une perte de liberté. Face à une bourgeoisie des plus agressives, les militants se réfugient dans l’associatif, ou au mieux recherchent des unités basées sur les convergences tactiques, et sous-estiment l’importance de la théorie.
Sans théorie révolutionnaire, le parti bolchevik, minoritaire au sein même d’une classe ouvrière, n’aurait pas pu résister à contre-courant. Pendant la première guerre mondiale, il aurait été entraîné avec les réformismes dans une union nationale avec la bourgeoisie. Au contraire, il a défendu le « défaitisme révolutionnaire » contre le chauvinisme dominant (pensant justement que la révolution dépendait de la défaite de sa propre bourgeoisie) et agit en internationaliste.
Après la révolution démocratique de février 1917, il refusa la poursuite de la guerre, et après Octobre, il accepta, pour assurer le pouvoir du prolétariat, une paix très défavorable qui privait la Russie de 26 % de sa population, de 27 % des surfaces cultivées, de 75 % des capacités de production d’acier, mettant les intérêts de la révolution au-dessus des intérêts nationaux. Cela contre « les courants de gauche » qui prônaient la poursuite d’une guerre révolutionnaire contre l’Allemagne.
L’internationalisme et la lutte sans concession contre le chauvinisme sont encore des tâches majeures des communistes, qui les distinguent des opportunistes et des réformistes.

- La lutte politique renforce le caractère d’avant-garde du parti.
Quels qu’aient été l’expérience du parti et la combativité de ses militants, la révolution bourgeoise de février aiguisa la lutte politique en son sein. En mars, lorsque le soviet de Petrograd mit son autorité au service du gouvernement provisoire (bourgeois), aucun bolchevik ne s’y opposa. Le 13 mars, la nouvelle direction du parti, reprise par Kamenev et Staline, affirme son soutien au gouvernement « aussi longtemps qu’il marche dans la voie de satisfaire la classe ouvrière ».
Lénine, exilé en Suisse, s’oppose à cette ligne. Il exhorte, par télégrammes, le parti à ne pas soutenir le gouvernement et à armer le prolétariat. La direction considère que Lénine connaît mal la situation et ne le suit pas. En avril, à son retour d’exil, il écrit, dans les « Thèses d’avril », qu’il faut préparer le passage du pouvoir au prolétariat et aux éléments pauvres de la paysannerie. La direction du parti pense que la démocratie bourgeoise n’a pas épuisé toutes ses possibilités, que la révolution démocratique n’est pas achevée et que les positions de Lénine briserait l’alliance entre la petite bourgeoisie et le prolétariat. Pour Lénine, la révolution bourgeoise est achevée, non pas parce que les tâches démocratiques ont été accomplies, mais parce que « le pouvoir est aux mains de la bourgeoisie ».
Le cours de la révolution lui donne raison. Les ouvriers déçus par la politique du gouvernement se détachent des réformistes qui le soutiennent. Les bolcheviks gagnent bientôt la majorité dans les soviets. Mais la direction du parti hésite à engager l’affrontement ultime : l’insurrection. Pour Lénine, cette insurrection est possible alors « que l’activité de l’avant garde est la plus grande (et) les hésitations des ennemis (…) les plus fortes ». Début octobre 1917, la majorité du Comité central décide de préparer l’insurrection.
Quel que fut le prestige de Lénine ses positions s’imposaient par la lutte politique, par un travail de conviction. Le Parti bolchevik était un parti démocratique et centralisé, où la lutte était vive, comme il se doit dans tout véritable parti communiste.
Pour faire avancer la révolution, Lénine n’évitait ni les bilans ni les autocritiques. La révolution d’Octobre a établi la première expérience durable de « dictature du prolétariat ». Lénine n’en connut que les premières années, mais critiqua très vite les dérives politiques qui la mettaient en danger.
Au cours de la révolution, les positions de Lénine évoluèrent. En septembre 1917, il affirme que le « socialisme n’est pas autre chose que le monopole capitaliste d’état mis au service du peuple entier et qui pour autant, a cessé d’être un monopole capitaliste ». Il pense alors que le « seul contrôle exercé sur les banques… permettrait d’organiser en fait et non en paroles, le contrôle sur toute la vie économique ». Et « cette mesure pourrait être réalisée par un décret unique, « d’un seul coup ». Car la possibilité économique d’une telle mesure a été créée justement par le capitalisme ».
Six ans après, l’expérience lui fait revoir ses positions. Il constate d’abord que ce contrôle par des ouvriers des instruments forgés par le capitalisme se heurte à leur impréparation politique. Il attribue cela à leur « timidité » et à des préjugés. Il ne voit guère encore le rapport entre cette « timidité » et la division du travail héritée du capitalisme. Dès la fin de la guerre civile, Lénine s’est opposé à Trotski qui proposait la poursuite du « communisme de guerre » et concevait le socialisme comme une organisation centralisée et militarisée de toute l’économie.
Puis, il revient sur ses affirmations de 1917, en affirmant en 1923, que « l’extension des nationalisations et l’abolition du commerce privé, effectués par décrets, avaient […] produit l’illusion qu’on pouvait instaurer des rapports « communistes » avec des instruments purement juridiques ». En effet, comme le pensait Marx et comme le mirent en pratique les maoïstes, le changement juridique de la propriété, y compris lorsque celle-ci devient celle d’un état ouvrier, ne change pas le caractère des rapports sociaux.
Enfin, Lénine est très sévère sur l’état soviétique lui-même. Il écrit « nous appelons nôtre, un appareil qui, de fait, nous est foncièrement étranger et représente un salmigondis de survivances bourgeoises et tsaristes ». Il critique ses déviations et son gonflement bureaucratiques. Il s’oppose à ceux qui voient le développement du socialisme comme un processus d’organisation dépendant pour l’essentiel, comme l’écrira un théoricien du parti, Boukharine, « de la révolution technique qui transforme totalement les forces conservatrices de l’économie et donne une impulsion rigoureuse à la socialisation de la production ». Conception largement partagée par le parti et reprise par Staline ensuite.

Les craintes et les mises en garde de Lénine furent enterrées. La lutte de classe dont il disait qu’elle « était inéluctable dans la période de transition du capitalisme au socialisme », ne fut bientôt qu’une lutte bureaucratique et policière contre des saboteurs. La révolution chinoise permit la poursuite et l’approfondissement des dernières positions de Lénine, en faisant de la lutte de classe et de la lutte contre la division sociale du travail, la condition du dépassement du capitalisme et de la marche au communisme.
Lénine et la vérité communiste. Lénine s’insurge contre l’autosatisfaction, contre les précipitations qui masquent les insuffisances. « Moins mais mieux » écrira-t-il peu avant sa mort. Pour lui valent mieux aussi « les vérités de nos ennemis de classe, que les mensonges communistes ».
En 1918, le Parti fut contraint de s’appuyer sur les experts bourgeois en les rémunérant plus que les communistes qui exercaient les mêmes fonctions à la tête des entreprises. Il écrivit alors, « il est évident que cette mesure est un compromis, un abandon des principes de la Commune de Paris et de tout pouvoir prolétarien… cacher (cela) aux masses… serait tomber au niveau des politiciens bourgeois ». La contradiction fut levée, deux ans après la mort de Lénine, en alignant le salaire des experts communistes sur celui des bourgeois.

Alors, s’agissant de saluer cette révolution qui fut et qui reste pour tous les communistes, un événement décisif, une référence incontournable, prenons exemple sur Lénine. Ne faisons pas de cet événement une commémoration consensuelle. La construction du parti communiste, dont nous avons besoin, ne se fera pas sans luttes politiques, sans confrontations théoriques, sans soulever les contradictions que ceux qui se réclament du communisme ont quant au bilan tiré de cette première expérience de dictature du prolétariat.

Vive la révolution d’Octobre 1917 !
Vive le Léninisme !

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