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Après la mort d’Enver Hoxha

Partisan N°1 - Mai 1985

La mort d’Enver Hoxha nous donne l’occasion de resituer l’originalité et les apports de l’expérience albanaise.

La mort d’Enver Hoxha a mis un instant l’Albanie en bonne place dans l’actualité officielle. Entre les lignes, chacun a pu deviner que ce pays n’est pas l’horreur souvent décrite par la bourgeoisie occidentale. Il est incontestable que l’Albanie a fait des progrès énormes tous les plans. Ce pays était, en 1945, à la prise du pouvoir par les communistes albanais, le plus arriéré tous les pays européens. Une situation féodale à peine ébréchée y prévalait depuis des siècles. Aujourd’hui, il supporte tout à fait la comparaison, du point vue développement, avec les autres pays de l’Est, et surtout le système social y est beaucoup plus égalitaire. Il n’y a pas, en Albanie, la misère de certaines régions yougoslaves ou roumaines. Cela est reconnu même par les « observateurs » les moins favorables au socialisme albanais.

Là s’arrête à notre avis l’œuvre du Parti du Travail d’Albanie. Ce n’est pas rien. Mais ce n’est pas comme on l’a cru parfois, le phare du socialisme en Europe. Le PTA et E. Hoxha se sont arrêtés, figés mais conséquents, aux thèses de la 3ème Internationale. Ils ont construit cette société égalitaire mais bureaucratisée, à la différence des partis communistes des autres pays de l’Est, ils n’ont pas trahi « les principes ». Ils en ont montré, ce faisant, toutes les limites.

Sans doute une bourgeoisie bureaucratique existe en Albanie, maintenant d’une main de fer une stratification sociale où pas un souffle d’air ne circule. Mais cette classe dominante s’est instal¬lée en suivant à la lettre le modèle de l’URSS de Staline, sans compromis. Y compris contre son propre intérêt matériel : en rompant avec l’URSS en 1960 (et non avant comme l’histoire officielle revue et corrigée veut le laisser croire) ; en rompant avec la Chine en 1978. Personne ne peut dire que les dirigeants albanais avaient intérêt immédiat à ces ruptures, au contraire. C’est vraiment pour des raisons idéologiques et avec courage qu’ils le firent. Ces prises de position eurent alors des aspects positifs indéniables : condamnation du révisionnisme khrouchtchévien et de tout le courant international lui emboîtant le pas (PCF, PSI, etc.), soutien à la Chine et à la Révolution Culturelle ; en 1978, dénonciation de la politique chinoise dite « Théorie des Trois Mondes » qui revenait à soutenir partout les bourgeoisies contre les peuples.

JUSQU’AU BOUT

Ces prises de position avaient les limites inscrites dans les conceptions mêmes au nom desquelles elles se faisaient : au nom des principes du socialisme de la 3ème Internationale. Ainsi, E. Hoxha vit dans les réformes de Khrouchtchev le coup d’Etat et le début de la contre-révolution alors qu’elles n’étaient que son achèvement, l’instant où la bourgeoisie bureaucratique soviétique ayant achevé son implantation pouvait se revendiquer en jetant les principes révolutionnaires de référence par-dessus bord et ainsi consolider son pouvoir. Ainsi il y avait comme un malentendu dans le soutien apporté à Mao Zedong et à la Révolution Culturelle Chinoise. Formellement unis sur la critique du révisionnisme soviétique, ils ne la faisaient pas en fait du même point de vue. A mesure que s’est constituée la théorie et la pratique maoïste de la Révolution Culturelle, il apparaissait à l’évidence que Mao ne critiquait pas Khrouchtchev au nom de la pureté des principes staliniens, mais au nom d’un bilan critique - et de plus en plus sévère au fil du temps et des luttes en Chine même - de l’expérience du socialisme en URSS. « Si l’on a peur des troubles et qu’on tranche les cas de manière simpliste, la raison essentielle en est que, dans le fond de sa pensée, on n’admet pas que la société socialiste forme une unité de contraires et qu’il y existe des contradictions, des classes et la lutte des classes ». Cette phrase de Mao, de 1937, à propos de Staline va comme un gant à E. Hoxha. Rien d’étonnant à ce que, en 1978, la dénonciation du maoïsme ait accompagné la critique de la « Théorie des Trois Mondes » alors que celle-ci était la plate-forme de la contre-révolution anti-maoïste en Chine. Hoxha réglait son compte aux « troubles » qui, en Albanie, étaient considérés pires que la peste.

Les révolutionnaires comprenaient alors que le PTA et Hoxha avaient fini leur rôle historique. Figés une fois pour toutes, comme au musée d’une époque de la révolution communiste. Peu importe ensuite les règlements de compte, les purges, une chance était passée pour l’Albanie qui s’empressait de refermer la porte entrebâillée un instant dans la force d’attraction de la Révolution Culturelle Chinoise. Fermeture que l’on jugera avec mesure, en rapport avec les conditions économiques et sociales défavorables qui prévalaient en Albanie, en rapport avec la défaite décisive qui a eu lieu en Chine et avec l’environnement international extrêmement défavorable. Peut- être l’évolution d’Hoxha était-elle inéluctable dans ces circonstances, l’essentiel reste de ne pas en faire un modèle. Pour nous, Enver Hoxha est mort dans les années 70.

Xavier Nelson

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