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Elections au Sénégal : changement contrasté, mais limité

Déclaration du 30 mars 2024

Bassirou Diomaye Faye, candidat du parti d’opposition dissous PASTEF (Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité) a été élu triomphalement, dès le premier tour. On peut dire que c’est une sorte de séisme politique.

• PASTEF, c’est un parti anti-corruption reconnu (Diomaye est d’ailleurs le seul à avoir fait une déclaration publique de patrimoine), ce qui dans un pays comme le Sénégal démarque de la corruption, la « mangerie » (aller à la soupe, comme on dit chez nous) généralisée.
• C’est un parti souverainiste, mais ni anti-capitaliste ni anti-impérialiste, qui a l’ambition de faire du Sénégal un dragon économique comme la Turquie ou les pays asiatiques pour devenir un pays « émergent » et sortir du « sous-développement ». En sortant pour cela de la Françafrique pour établir des relations multilatérales selon les intérêts nationaux.
• C’est un parti qui aspire donc à renégocier tous les contrats de matières premières, industrialiser le pays par des industries de transformation, moderniser l’agriculture.
• Et sur cette base, développer la santé, l’éducation, le repartage des richesses pour les secteurs populaires.
• Par ailleurs, c’est un parti très réactionnaire et patriarcal sur le féminisme (les deux dirigeants du PASTEF sont polygames), et qui préconise la criminalisation de l’homosexualité. On est loin de la mise en place du planning familial, et encore plus loin de la légalisation de l’avortement, prohibé dans la législation en vigueur.
• Enfin le résultat de l’élection marque un net recul de l’influence historique des confréries (islam soufi) qui jouaient un rôle important de contrôle social sur les populations, en lien avec le pouvoir central, très silencieuses sur la répression ou les violences policières. Bassirou Diomaye a remporté quasiment tous les foyers confrériques sans y avoir mis les pieds, et sans avoir fait allégeance – comme il se faisait traditionnellement – aux chefs religieux. C’est un signe important de l’évolution positive des esprits, particulièrement dans la jeunesse.
Le projet du PASTEF est un projet national-démocratique, souverainiste, représentatif de la petite-bourgeoisie radicalisée des pays dominés, qui aspire au rôle dirigeant et à remplacer la bourgeoisie compradore vendue à l’impérialisme (français) et qui va maintenant se confronter à la réalité de la domination impérialiste sur la planète. On a vu des « alternances » similaires en Amérique Latine, on a vu d’autres tentatives en Asie, jusqu’en Europe (Syriza en Grèce, Podemos en Espagne)… Parfois le développement économique peut avoir lieu, mais toujours sous domination d’autres puissances, parfois cela n’aboutit qu’à un changement de maître, la Chine impérialiste après la France ou les USA…

Le PASTEF prône un développement national capitaliste, en présentant le Sénégal comme une entité homogène. C’est-à-dire que toutes les différences de classe sont gommées au nom de l’unité nationale. Le secteur informel, la paysannerie pauvre, les petits fonctionnaires, la classe ouvrière surtout, n’ont aucune place spéciale et aucun avenir particuliers dans les transformations sociales à venir, sinon de pouvoir profiter d’une hypothétique meilleure redistribution des revenus…
Il faut dire que politiquement, la situation a changé. La gauche, les organisations d’extrême-gauche ont disparu, et il faut presque repartir de zéro. La classe ouvrière a subi des défaites, dont les fermetures et restructurations d’entreprises dans la guerre économique mondialisée, et ses dirigeants syndicaux ont largement soutenu Macky Sall en profitant eux aussi de la « mangerie » généreuse à leur égard. On est loin de l’époque où les maoïstes dirigeaient le secteur de l’électricité et avaient ainsi un poids réel sur la situation sociale !
Alors le PASTEF et le nouveau président se présentent en « alternative » possible qui enthousiasme la jeunesse et une grande partie de la population, à la fois dégagisme d’un système corrompu, répressif et soumis à la Franceafrique (l’ancien président Macky Sall), et espoir d’un nouveau développement national. On peut s’attendre à des désillusions…

De son côté, Macron et l’impérialisme français font profit bas, après avoir été chassés du Mali, du Burkina, du Niger et de Centrafrique. Ils ont félicité le nouveau président, et attendent de voir ce qu’il en sera de la base militaire de Dakar, de la renégociation des contrats sur les matières premières, de la sortie ou non de la zone Franc et du CFA et de la présence des nombreuses entreprises françaises présentes sur le sol sénégalais (Total, Veolia, EDF, SNCF, Eiffage, Orange, Auchan, Alstom, etc.). Car les concurrents sont en embuscade, USA et Allemagne, mais aussi, Chine, Brésil, Turquie, Inde ou Maroc.

Une page s’est tournée au Sénégal, la suivante est à écrire. Avec la hargne et la combattivité de la jeunesse sénégalaise, il n’y aura pas d’état de grâce pour le nouveau régime s’il ne prend pas le cap de l’éradication de la misère. C’est ça, le fondamental qui pousse la jeunesse défavorisée à braver les mers et leurs risques pour un supposé « paradis européen ».
Pour celles et ceux qui restent des militants de gauche, dans et hors le PASTEF, il faut lever la tête, rompre avec le courant réactionnaire et capitaliste, reconstruire des organisations combattives et de classe, en s’appuyant sur les femmes actives et mobilisées, sur une jeunesse curieuse, connectée, mais vierge de mémoire des luttes démocratiques et anti-impérialistes passées. Il y a là un énorme potentiel bouillonnant qui attend un projet progressiste de libération sociale !

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