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Une nouvelle réforme des Lycées pro, pour quoi faire ?

Partisan Magazine N°20 - Décembre 2022

La mise en place chaotique de la dernière réforme du lycée pro (dite réforme Blanquer) était à peine achevée qu’on annonçait déjà une nouvelle réforme, attribuée cette fois au ministre Ndiaye (même si dans les faits, c’est surtout Macron qui monte au créneau pour défendre cette pièce maîtresse de sa « révolution » néo-libérale). La réforme Blanquer (2019) réduisait drastiquement les heures d’enseignement général et accélérait la liquidation du cadre national du bac pro (puisque les examens finaux sont de plus en plus remplacés par des contrôles en cours de formation distribués à la tête du client). La nouvelle réforme s’annonce encore plus brutale. Une mobilisation des profs et des élèves semble prendre de l’ampleur (même si elle reste limitée à l’heure où nous écrivons ces lignes). Cet article est le résultat d’une discussion que nous avons organisé avec des personnes militantes ou sympathisante de notre organisation et ouverte à des personnes engagées dans la lutte des lycées pro, afin de mieux cerner les projets du gouvernement. La bourgeoisie cherche à adapter ses plans aux évolutions du capitalisme, quel avenir réserve-t-elle aux jeunes travailleurs et jeunes travailleuses ?
La réforme du Bac pro est très symptomatique des évolutions du capitalisme actuel, et assez mouvante. Après ce premier débat, nous aurons nécessairement à y revenir, avec la collaboration est uns et des autres !

Le développement de l’enseignement professionnel après-guerre a été voulu tout à la fois par les syndicats et le patronat (les grands patrons de la métallurgie) avec l’idée d’une main d’œuvre formée et capable de s’adapter aux évolutions du capitalisme. Aujourd’hui, alors que le lycée pro scolarise encore 30% des lycéen.ne.s issu.e.s à 70% des classes populaires, les dernières réformes donnent plutôt l’impression d’un abandon et d’une destruction progressive de la filière.

Dès la rentrée 2023 une nouvelle réforme du bac pro prévoit :
- La mixité obligatoire des publics entre les élèves qui sont en apprentissage et les autres alors que les temps et les cycles de formation ne sont pas les mêmes (les apprentis n’ont que 5 semaines de congés payés et travaillent toute l’année, les trois quarts du temps en entreprise).
- 30 semaines de stages pendant les 3 ans que dure un bac pro classique (c’est-à-dire hors apprentis), c’est à dire sept semaines de stage en plus.
- Des classes coupées en deux (une moitié en stage, une moitié en cours) pour occuper quand même les profs.
- L’annualisation des services pour qu’ils puissent aussi « adapter leurs horaires à la réalité locale » et donc bosser pendant les vacances.
- Une diminution drastique des heures de français et d’histoire géo, la suppression probable des arts appliqués et de la PSE (Protection Santé Environnement – la seule matière où les élèves pouvaient acquérir des notions de droit du travail et de sécurité).
- La fermeture des lycées pro inadaptés au bassin d’emploi (en guise d’avant-goût, on annonçait début novembre la fermeture de 7 lycées à Paris dont six lycées pros).
- La suppression de 8000 à 10 000 postes de profs.
- Une autonomie accrue du chef d’établissement, qui devra chercher des partenariats publics privés et sera autonome sur la distribution des heures aux profs.
- Le retour à l’orientation en fin de classe de cinquième.

On pourrait se dire que c’est un retour au capitalisme à la Zola et au travail des enfants, mais le capitalisme a évolué, il a besoin de salariés formés, et les enfants ont évolué aussi, ils ne sont pas adaptés au travail à 12 ans. Du coup s’agit-il d’une simple question de choix politique, hors de de toute considération économique ? A la France Insoumise, par exemple, et souvent à la CGT on entend que les idéologues néolibéraux du ministère sont déconnectés des réalités même du capitalisme. Est-ce une simple question de néolibéralisme et d’idéologie ?

Une évolution de longue durée

En fait les réformes Blanquer/Ndiaye s’inscrivent dans une évolution de longue durée. A sa création en 1985, le Bac Pro proposait déjà des périodes de stage en entreprises deux fois plus longues que les CAP et BEP de l’époque (il faut dire qu’à l’époque et jusqu’à la fin des années 2000, le Bac Pro se faisait en quatre ans). De la fin du 19ème jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la tendance était à la diminution du temps passé en entreprises dans les formations des jeunes travailleurs et travailleuses, avec une insistance croissante sur l’acquisition de savoir théorique dans la qualification. Depuis les années 1980, on observe la tendance inverse : l’accent est mis sur l’adaptation à l’entreprise et aux bassins d’emploi. Les Régions, créées en 1982, ont eu rapidement leur mot à dire dans l’organisation de la formation, avec les « Schémas régionaux de formations », et le patronat local n’a fait que renforcer sa présence dans toutes les instances en commençant par les Conseils d’Administration de lycée. Aujourd’hui, ce sont elles qui sont en charge pour l’Etat de la formation professionnelle.

En observant les réformes successives, on repère bien un fil rouge sous l’impression d’accumulation et de chaos : il s’agit d’adapter la formation professionnelle à un nouveau stade de la mondialisation impérialiste dit « néolibéral ». Les principaux points de la réforme actuelle (comme l’augmentation des périodes de stage, l’ouverture et la fermeture des filières en fonction des besoins locaux et immédiats du patronat) vont dans ce sens.

Il y a certes un aspect principal et un aspect secondaire. L’aspect principal c’est de fournir une main d’œuvre flexible et employable (ce qui ne veut pas dire qualifiée, bien au contraire), et l’aspect secondaire c’est le souci de l’Etat de faire des économies. La pédagogie doit désormais se fonder sur « l’approche par compétences » pour « l’employabilité » : il s’agit de produire des jeunes travailleurs et travailleuses idéaux et idéales selon le désir des patrons, déqualifié.e.s mais facilement adaptables et formaté.e.s idéologiquement pour accepter l’autorité. Ce qui compte, ce n’est plus la qualification et le métier, mais « l’insertion professionnelle », la capacité à s’intégrer à n’importe quel emploi. C’est aussi le sens du développement de la « co-intervention », et de la « pédagogie de projet », qui sous prétexte de « décloisonner les disciplines », mettent l’enseignement du français, de l’anglais et des maths au service des compétences professionnelles.

Une école au service des évolutions du capitalisme

Les réformes donnent l’impression que la bourgeoisie semble tirer un trait sur la qualification, et entend faire peser le poids de la formation sur l’entreprise. Comment expliquer cette apparente contradiction ? On entend souvent dire dans les médias que le salariat serait de plus en plus polarisé entre une fraction de plus en plus qualifiée, et une autre qui le serait de moins en moins. Dans les faits, il faudrait y regarder de plus près. On remarque qu’à chaque fois qu’il est question de la réforme de la voie professionnelle, la question des BTS est peu ou pas abordée. De l’instauration du bac pro en 85 à l’instauration du système Parcoursup en 2017, les BTS sont progressivement devenus le débouché des élèves qui voulaient continuer à se former après le bac pro. Or depuis Parcoursup on mesure à quel point ces BTS sont occupé et même engorgés par des élèves issus de bac généraux ou technologiques (bacs intermédiaires entre professionnel et technologiques, et appelés à disparaître à court terme). Ces réformes semblent ainsi organiser le découplage entre bac pro et BTS, institué de fait par Parcoursup, et on revient à la situation ancienne où BTS et DUT n’étaient que les filières courtes à la suite de l’enseignement général. Les postes d’ouvrier.e.s hautement qualifiés ou de techniciens (qui en particulier supervisent la sous-traitance) seraient ainsi réservés aux sortants de BTS ou de licences pro, issus des filières générales. C’est la conséquence logique de la massification du baccalauréat général, de la multiplication des écoles de formation d’ingénieurs et de la tendance à la « professionnalisation » des formations universitaires (avec l’explosion des licences pros)…

De la même manière mais de l’autre côté de l’échelle, la question du CAP n’est pas non plus abordée, qui continuent à former a minima un certain nombre de métiers de base : coiffeur, maçon, petite enfance, conducteur routier, etc. Entre ces deux extrêmes, CAP d’un côté et BTS de l’autre, relativement stables, la place du bac pro est elle mouvante au fil des évolutions du capitalisme et de ses transformations.

Ce qui complique un peu le problème c’est que cette tendance à la polarisation du salariat n’est pas valable dans toutes les filières : c’est le cas en Maintenance ou en Productique, mais pas en Chaudronnerie par exemple. On observe aussi, avec la promotion par la réforme Blanquer de « familles de métiers », une liquidation de certaines filières tertiaire (Gestion, Administration, Transports et Logistique sont désormais confondues dans des formations fourre-tout).

L’apprentissage comme modèle.

Ainsi Macron l’a martelé en présentant son projet de réforme à la rentrée, il s’agit, en augmentant les période de stage d’ « avoir un système qui se rapproche de l’apprentissage », en augmentant les périodes de stage d’ « au moins 50% ».

C’est une chose que l’Etat, représentant la bourgeoisie dans son ensemble veuille généraliser l’apprentissage jusqu’au niveau ingénieur, c’est autre chose de convaincre tous les patrons de jouer le jeu. Les grandes entreprises peuvent se permettre de « miser » sur des jeunes et les former en vue d’une embauche, mais pour les petites entreprises l’apprentissage permet surtout, dans le meilleur des cas, d’avoir des manœuvres à temps partiel, subventionnés par l’Etat. Et parfois les apprentis sont vus comme des boulets potentiels et le patron préférerait que l’Education Nationale prenne quelques années supplémentaires à mieux les formater. C’est pourquoi l’apprentissage, bien qu’il soit ouvert à partir de 15 ans pour ouvrir la voie à un CAP ou un bac pro classique obtenus avec 75% d’enseignements en moins, concerne en fait principalement des élèves qui ont déjà leur bac en poche.

Le développement de l’apprentissage est en effet le maître mot des gouvernements bourgeois depuis plus de 20 ans. Il permet de payer les jeunes à faire le même travail que les adultes, mais pour moins cher. Il serait soi-disant le seul remède efficace contre le chômage des jeunes (même si à l’arrivée il n’y a pas assez de patrons pour prendre tout le monde, même en apprentissage). Les gouvernements ont ouvert des filières d’apprentissage dans les lycées pro, comme le permettait la création en 2001 des « lycées des métiers », par le ministre de l’enseignement professionnel du gouvernement Jospin, un certain dénommé Mélenchon – directement en lien avec le patronat des zones d’emploi concernées.

Le développement des filières d’apprentissages devait compenser les pertes de budget en allant à la chasse à la taxe d’apprentissage. Il y avait des primes à se faire pour les proviseurs les plus zélés. Désormais, comme le nombre d’apprentis ne permet pas à lui seul d’ouvrir les filières prévues, la réforme Ndiaye prévoit la mixité des apprentis, qui seront mélangés avec les autres élèves (là encore on reste dans la logique du « lycée des métiers » de Mélenchon).

Dans les faits, les CFA directement contrôlés par le patronat continuent à se tailler la part du lion dans les formations d’apprentis. De même que les chambres de commerce (CCI) ont un rôle majeur dans la formation professionnelle continue en lien avec les entreprises du secteur.

L’apprentissage est parfois même « populaire » auprès des élèves et de leurs familles, car dans le contexte de paupérisation des familles prolétaires un salaire d’apprenti (même en dessous du SMIC), il permet une rentrée d’argent qui n’est pas de trop. Pour les élèves sans papier isolés, l’apprentissage peut carrément être un moyen de survie. Le gouvernement a d’ailleurs cherché à leur en compliquer l’accès après la grève de la faim du boulanger de Besançon qui demandait la régularisation de son apprenti, au printemps dernier, en exigeant qu’ils se procurent des dérogations auprès du ministère du travail.

Si les élèves sans papiers sont souvent apprécié.e.s des petits patrons pour leur « employabilité » et leur « maturité », l’apprentissage permet aussi un tri raciste (contre les enfants des quartiers populaires) et sexistes (seulement 20% de filles). Surtout il ne concerne encore que 700 000 jeunes et rien ne dit que le patronat soit disposé à en prendre plus, d’autant que 30% des contrats d’apprentissages sont rompu avant leur terme.

Quelle école pour quelle société :

En présentant le lycée pro comme un « gâchis » pour mieux encenser l’apprentissage, Macron ne fait pas qu’exprimer son mépris des profs, il joue aussi avec cynisme du sentiment de rejet de l’école présent chez les élèves comme chez leurs parents, qui sentent avec raison que l’école telle qu’elle existe dans le capitalisme est souvent ennuyeuse et humiliante pour les enfants des classes populaires. Mais en réalité ce que Macron propose pour mettre fin à cette humiliation et à cet ennui c’est de faire de l’école le sas du monde de l’entreprise, un monde pas moins ennuyeux et humiliant.

La commission européenne incite depuis des années les Etats à se caler sur un modèle qui existe déjà dans une partie des Etats-membres : 15% des élèves en enseignement supérieur où ils apprendront à « manager » les « ressources humaines », 25% d’élèves en enseignements qualifié pour assurer le fonctionnement et la maintenance de la production, et 60% qui devront surtout apprendre à être employables, adaptables, embauchables et débauchables en fonction des besoins du capitalisme.

L’école dont nous voulons est évidemment à l’opposé de ce projet néo-libéral, mais nous ne pensons pas qu’une « autre école » suffira à créer un « autre société » (pour reprendre un slogan ambigu du syndicat SUD Education). Aucune autre société n’est possible sans révolution, même si l’éducation fait partie du processus. Toutefois nos revendications immédiates pour l’école sont intimement liées à la société que nous voulons construire.

Nous voulons une école polyvalente, polytechnique et poly-culturelle pour toutes et pour tous. Cela veut dire que la culture enseignée ne doit pas être la seule culture de la bourgeoisie, outil de sélection et de reproduction des inégalités sociales, avec ses codes élitistes qui provoquent l’ennui et l’humiliation des élèves des classes populaires. Nous refusons la distinction bourgeoise entre la culture bourgeoise « légitime » et les autres, nous refusons aussi la distinction entre formation manuelle et intellectuelle. La main est l’expression du cerveau, et c’est souvent par elle que passe l’apprentissage intellectuel. Obliger un enfant de 6 ou 7 ans à rester toute la journée sur une chaise, sans autre outil qu’une trousse et un cahier, c’est de la maltraitance. Nous voulons lutter contre la sélection et la spécialisation qui créent pour les besoins du capitalisme des adultes mutilés d’une part de leur personnalité.

Nous voulons :
- Une formation polytechnique.
- Une formation qui lie la théorie à la pratique, pour permettre aux élèves de comprendre « comment ça marche » et « à quoi ça sert ».
- Une formation à l’esprit scientifique et critique, une formation politique et civique, en lien avec la société et ses évolutions
- Un seul système d’enseignement unifié, dans des établissements vraiment polyvalents

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