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Boycott Israël !
Partisan Magazine N°23 - Juin 2024
Le 16 octobre 2023, quelques jours après l’offensive du 7, les syndicats et associations palestiniennes lançaient un appel international. Le gouvernement Netanyahou venait d’émettre son ordre d’évacuation pour toute la partie nord de la bande de Gaza. Cet appel palestinien est donc lancé sous une menace directe et imminente.
« Nous appelons les syndicats des secteurs concernés à :
Refuser de fabriquer des armes destinées à Israël.
Refuser de transporter des armes vers Israël.
D’adopter des motions à cet effet au sein de leur syndicat.
De prendre des mesures contre les entreprises complices qui participent à la mise en œuvre du siège brutal et illégal par Israël, en particulier si elles ont des contrats avec votre institution.
Faire pression sur les gouvernements pour qu’ils cessent tout commerce militaire avec Israël et, dans le cas des États-Unis, qu’ils cessent de le financer. » Suivent les signatures de 32 syndicats et associations palestiniennes. (1)
Lisons bien cet appel. Il s’adresse « aux syndicats », c’est-à-dire aux travailleurs organisés. Il est aussi dirigé « contre les entreprises qui... », et il demande de « faire pression sur les gouvernements si... ». Enfin, il met l’accent sur l’importance des armes. C’est un rappel urgent et un résumé de l’appel de 2005, lancement de la campagne BDS.
« En 2005, 172 organisations de la société palestinienne lançaient un appel à une campagne de Boycott, Désinvestissement et de Sanctions contre Israël visant à contraindre cet État à respecter le droit international. L’appel fixe trois objectifs à la campagne : la fin de l’occupation et de la colonisation de la Palestine, l’égalité des droits pour les Palestiniens d’Israël et l’application du droit au retour pour les réfugiés. » (2)
La campagne BDS « est soutenue par des citoyens, universitaires, écrivains, artistes et acteurs israéliens » (3), mais les Palestiniens représentent une part importante de la population d’Israël et de sa classe ouvrière.
A VP, nous avons évidemment soutenu et répercuté cette campagne BDS, bien conscients toutefois que le boycott nous concernait directement, mais le désinvestissement et les sanctions indirectement, car ce sont les entreprises qui investissent, et les gouvernements ou instances internationales qui réglementent le commerce et les relations internationales.
C’est quoi un boycott ? C’est une grève de la consommation (vente et achat), tandis qu’une grève, c’est un boycott de la production ! C’est une forme de lutte, et, comme la grève, on ne peut pas l’utiliser à propos de tout et tous les jours de l’année. Elle est utilisée quand « trop c’est trop », quand le vase de l’oppression et de l’exploitation déborde. C’est au fond un choix politique.
Le mot est apparu vers 1880, c’était le nom de l’intendant d’un riche propriétaire foncier irlandais, Charles Boycott, que les fermiers avaient exclu de toute relation tellement il était infect. Mais la pratique elle-même de l’exclusion « existait depuis des siècles » (3). Les exemples contemporains les plus célèbres sont le boycott des bus de Montgomery aux Etats-Unis en 1955, après la condamnation de Rosa Parks qui refusait d’appliquer la ségrégation raciale dans les transports. La décision de la Cour suprême américaine tombe dès 1956, et c’est une victoire.
Autre exemple, le boycott de l’Afrique du Sud pour son système raciste d’apartheid. « Avant le démantèlement de l’apartheid, certaines entreprises avaient quitté l’Afrique du Sud pour soigner leur image de marque ». (4) La campagne de boycott des transfos d’Alstom, destinés à la centrale électrique de Koeberg, avec la venue de militants syndicaux sud-africains, la présence de l’ambassadeur de Pretoria aux portes de l’usine de Saint-Ouen, etc., est un des bons souvenirs du passé des militants de Voie Prolétarienne actifs dans l’usine, bien que les transfos aient été finalement livrés. Et bien qu’une bourgeoisie corrompue noire ait remplacé au pouvoir la bourgeoisie raciste blanche. « Nous ne sommes pas aveugles, nous avaient dit les militants sud-africains, nous voyons bien ce qui s’est passé dans les autres pays africains après les indépendances, nous ne voulons pas d’une bourgeoisie noire. » Mais l’histoire a fait tout de même un grand pas : la lutte des classes a remplacé la lutte des races.
Et en Palestine, quand a démarré le boycott des colons sionistes ? A la fin du XIXe, avec les premières arrivées de colons. Mais le mouvement massif et organisé date de 1929 lors de la révolution arabe. « En 1936, les dirigeants palestiniens lancent un dernier appel au boycott, infructueux ». Ce sont les pays voisins qui prennent le relais. La Ligue arabe est créée en 1945 et organise immédiatement un boycott total, qui sera respecté pendant un quart de siècle. Les nouvelles bourgeoisies au pouvoir dans la région, même si elles se révélèrent rapidement réactionnaires vis-à-vis de leur peuple, se donnaient une allure progressiste et anti-impérialiste à bon compte en soutenant les Palestiniens. Comme l’Iran encore aujourd’hui. Jusqu’à la fin des années 1970, le boycott fut appliqué et respecté par tous les membres de la Ligue arabe. L’Égypte fut le premier pays à renoncer au boycott en 1980 (5). Un processus de normalisation des relations était enclenché. Et des acteurs révolutionnaires nouveaux devaient faire leur entrée sur la scène de l’histoire, les travailleurs. Ils ne passeront pas inaperçus en 2011. Jusqu’à susciter, pour les Palestiniens, des espoirs de libération du côté de Rafah, du côté égyptien.
La campagne BDS lancée par les Palestiniens en 2005 a été marquée par de nombreux moments positifs. Il suffit de lire notre blog Ouvalacgt pour se souvenir de certaines initiatives en France (6) : la CGT Alstom (2009), Agrexco à Sète (2010), le tramway de Jérusalem avec Véolia, Alstom et Egis Rail (2010), les cheminots de Versailles (2010), la CGT de Thalès (30 juillet 2014), les camarades de Roissy (2014), la FERC, fédé Education Recherche Culture (2016), etc.
Mais ce qui surprend, ce sont certaines oppositions à cette campagne BDS, à commencer par celle de la confédération CGT.
Quelques structures sont très actives, comme l’UD du Nord, ou des Bouches du Rhône, mais souvent seuls les syndicalistes de lutte de classe répondent présents. Et si on est un peu surpris, c’est qu’on se faisait un peu d’illusion, il faut donc prendre le temps de comprendre !
Dans tous les communiqués depuis le 7 octobre, la Confédération CGT prend soin de renvoyer dos à dos les deux camps, le Hamas et Israël pour appeler à une « paix juste et durable entre Israël et la Palestine », soit en fait la position de l’autorité palestinienne corrompue et de l’impérialisme qui le soutient. Elle valide ainsi la colonisation et le principe des deux Etats qui a ouvertement fait faillite.
La CGT maintien des liens avec le syndicat sioniste Histadrout, et a toujours refusé de rejoindre la campagne BDS, l’a condamnée même dans le passé, en se limitant au boycott des ventes d’armes à l’Etat d’Israël durant l’opération militaire.
Comme pendant la guerre d’Algérie, comme face à la guerre en Ukraine, comme dans tous les conflits, la CGT se revendique de « la paix », en renvoyant les camps dos à dos, en évitant soigneusement de se prononcer sur la nature du conflit et sur les intérêts des classes et des peuples en présence.
Il faut entendre aussi les arguments anti-BDS d’un autre personnage un peu surprenant :
Le 13 décembre 2013, Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne a déclaré lors d’une visite en Afrique du Sud à l’occasion des funérailles de Nelson Mandela que « les Palestiniens ne soutenaient pas le boycott d’Israël » mais demandaient celui des « produits des colonies » les estimant « dans son territoire et illégales ». Il a ajouté : « Nous ne demandons à personne de boycotter Israël » et précisé que les Palestiniens et les Israéliens entretenaient des relations et se reconnaissaient mutuellement. Ces déclarations ont été condamnées par des militants palestiniens qui estiment qu’elles « s’opposent au consensus national palestinien en faveur de la campagne BDS ». Certains l’ont aussi accusé « de trahison ». (5)
Distinguer entre les produits fabriqués en Israël et les produits fabriqués dans les territoires occupés de 1967, c’est en quelque sorte admettre qu’Israël n’est pas le résultat d’une colonisation.
Aujourd’hui, à la vue du massacre systématique à Gaza et du déchaînement colonisateur en Cisjordanie, le mouvement BDS connaît un regain de vigueur. Deux exemples notables, l’Angleterre et le Japon.
M. Martin, militant syndical de lutte, lors de la réunion virtuelle du Réseau syndical international du 13 décembre 2023 : « Nous avons rencontré des dizaines de syndicalistes ici à Liverpool, sous la houlette des dockers, qui bloquent les navires israéliens ou les livraisons d’armes à Israël ». (6)
« Les blocages d’usines d’armement se multiplient. Au Royaume-Uni, le mouvement anti-colonial est puissant et s’en prend aux usines qui produisent des pièces d’avion, des missiles et des armes à destination de l’armée israélienne ». (7)
Au Japon, la société Itochu Corporation, l’une des plus grandes entreprises au monde, vient d’annoncer qu’elle mettait fin à son partenariat avec le principal fabricant d’armes israélien, Elbit Systems. (…) Cette décision est annoncée alors qu’une large campagne était organisée depuis des mois devant le siège de l’entreprise à Tokyo et plusieurs sites liés à la multinationale exigeant la fin de son soutien au génocide en cours à Gaza. De nombreuses entreprises de l’aéronautique dans le monde coopèrent avec Elbit Systems à l’image du groupe Thalès qui fabrique avec la firme israélienne le drone militaire Watchkeeper. La décision d’Itochu survient quelques semaines après la décision similaire du géant des transports Kuehne+Nagel (K+N) de ne plus travailler avec Elbit Systems. (8) (9)
Vous notez au passage que le groupe Thalès est collabo. En moyenne, la France vend pour 20 millions d’euros par an de composants militaires à Israël. Les seules armes entières déclarées en juillet 2023 pour l’année 2022, dans le Rapport annuel sur les exportations présenté au Parlement, sont des fusils d’assaut, armes légères de petit calibre, qui peuvent être utilisés dans l’offensive contre la bande de Gaza, ou distribués aux colons de Cisjordanie (10). Les complicités militaires sont discrètes mais bien réelles. En France, Carrefour est particulièrement ciblé pour les raisons suivantes : son implantation dans les colonies « illégales », sa livraison de repas aux soldats israéliens.
Alors, que faire ? Manifester, on sait, mais boycotter ?
Premièrement, enquêter. S’informer. Les notes de cet article donnent déjà des références !
Deuxièmement, savoir que le gouvernement français a tenté d’interdire le boycott d’Israël. Des militants ont été condamnés dans les années 2015 pour des appels au boycott de produits israéliens, entre autres ceux organisés à Illzach en 2009 et 2010. L’affaire a été portée à Bruxelles. En juin 2020, c’est la Justice française qui a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme. Le boycott n’est même plus de la désobéissance civile ou de l’illégalité.
Troisièmement, il faut s’en tenir à la question de fond. La colonisation est par nature assassine et voleuse. Toute livraison d’armes, tout partage des bénéfices est une complicité de crimes.
Quatrièmement, faisons en sorte d’éviter le réformisme international, qui consiste à faire appel à l’ONU, à la « communauté internationale », aux droits de l’homme, etc. C’est du crétinisme parlementaire mondialisé. Le Parlement français a son 49-3, l’ONU a son droit de veto ! Et le gouvernement d’Israël s’assoit de toutes façons sur toutes les belles résolutions onusiennes. La seule communauté internationale sur laquelle on peut compter est celle des communistes, des militants, des travailleurs du monde entier. Et la seule qu’on peut retenir des grandes déclarations et résolutions démocratiques et humanistes émanant de bourgeoisies capitalistes et impérialistes, c’est leur totale hypocrisie.
Enfin, sachons sortir des luttes immédiates, des murs de l’entreprise et des frontières nationales. Le capitalisme nous veut esclaves, « travaille, consomme, et tais-toi ». Alors, soyons des personnes humaines, soyons donc communistes et internationalistes. BOYCOTT ISRAEL !
(1) Un appel urgent des syndicats palestiniens : mettez fin à toute complicité et cessez d’armer Israël ! - Agence Media Palestine
(2) Produits et entreprises à boycotter - Association France Palestine Solidarité (france-palestine.org)
(3) wikipedia, Boycott.
(4) Israël-Gaza : les appels au boycott ébranlent certaines multinationales – rtbf.be
(5) wikipedia, boycott Israël.
(6) https://laboursolidarity.org/fr/n/2984/la-reunion-virtuelle-du-reseau-rassemble-les-organisations-affiliees-et-discute-des-luttes-et-de-la-solidarite-internationale-concrete
(7) Olly Haines, cité par Politis, 15 février 2024.
(8) Le géant japonais Itochu Corporation met fin à son partenariat avec Elbit Systems | Palestine Vaincra, 6 février 2024.
(9) Kuehne-Nagel est une société internationale de transport d’origine allemande dont le siège est en Suisse.
(10) L’Huma, le 10/11/2023.