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Interview avec M., une militante du Maroc

Partisan N°247 - Mai 2011

Il faut crier la solidarité avec les luttes en Afrique du Nord et au Proche Orient !
Interview avec M., une militante du Maroc, participante de la Conférence mondiale des femmes à Caracas, Venezuela (début mars 2011)

M. a 28 ans. Elle est mariée et a deux enfants. Elle travaille dans un hôtel. Diplômée universitaire, elle ne trouve pas de travail dans sa profession. Elle a connu son mari à l’université, où ils ont milité ensemble. M. milite au sein du mouvement marocain des droits humains, et avec les femmes opprimées dans la ville où elle habite. Les questions sur lesquelles M. intervient sont très diverses : le chômage, la pauvreté, l’absence des droits pour les ouvriers – tous les jours, des nouvelles questions se posent. M. et son mari sont des militants marxistes-léninistes.

Partisan : Quelle est la situation au Maroc ? Nous entendons parler de beaucoup de manifestations… dans combien de villes ? Quelles sont les revendications de la population ?
La population au Maroc subit une exploitation et une oppression extrême de la part des compradores qui gouvernent le Maroc et de la part des impérialistes. Cette double exploitation a donné le chômage, la pauvreté, des conflits sociaux et à chaque fois, on a vu des soulèvements populaires qui toujours ont été réprimés. Un groupe de jeunes femmes et hommes ont appelé à manifester le 20 février pour un changement radical du système.
Les illusions de l’indépendance se sont évaporées et ils n’attendent rien du tout de l’avenir, c’est pour cela qu’ils veulent changer maintenant. Le 20 février, tout le monde est sorti dans la rue, les jeunes, les vieux, les mamans, les enfants — dans 53 villes du Maroc. Dans 7 villes, il y a eu des confrontations avec les militaires et la politice, et il y a eu des morts : 5 morts à Elhoucima , brûlés dans une banque. Mais on a découvert sur le film que les brûlés ont été tués dehors et ensuite emmenés à l’intérieur de la banque pour que la police ne soit pas la responsable. Il y a eu d’autres victimes à Sefrou, à Marrakech et ailleurs. Après le 20 février, presque tous les jours, il y a eu des manifestations et de la répression — sauf à la capitale, où il n’y avait pas de répression. Mais les gens sont massivement sortis dans la rue malgré la menace. Maintenant, on appelle pour le 20 mars à une grande manifestation.
La situation au Maroc est très dangereuse. J’ai téléphoné aujourd’hui à mon mari. Il y avait des manifestations prévues aujourd’hui, mais dans chaque quartier, il y a de la police et des militaires, des barricades… à Tanger, à Essaouira et dans d’autres villes qui sont sous état de siège. Derrière chaque militant, il y a deux policiers qui le poursuivent.

Dans les autres pays qui se sont déjà soulevés, comme la Tunisie, l’Egypte, la Libye, on a vu que ce sont beaucoup de jeunes qui sont descendus dans la rue. Est-ce pareil pour le Maroc ? Les femmes, ont-elles participé aussi au Maroc et quelle est leur situation ?
La situation économique, politique et sociale est la même au Maroc qu’en Egypte, en passant par la Tunisie, l’Algérie, la Libye : les jeunes n’ont plus de perspective. C’est pour cela qu’ils s’engagent dans les manifestations pour bouleverser tout. Maintenant au Maroc, ils ont des revendications de base, mais avec les manifestations ça va s’élever — tout comme en Tunisie et en Egypte. Le premier jour, ils ont seulement demandé des changements, mais avec le temps ils ont augmenté le ton et réclamé que le régime parte. Les jeunes sont la base très large du mouvement, les jeunes de la classe laborieuse et aussi les jeunes de la classe moyenne. Ces jeunes n’ont plus de perspective, mais les politiciens et le gouvernement au pouvoir depuis très longtemps s’enrichissent et enrichissent les impérialistes. Ils ne donnent rien aux gens. Les projets de l’indépendance s’évaporent.

Au Maroc, le roi est présent partout et aussi des partisans du roi — est-il lui aussi mis en question ? Qui est accusé ?
Le royaume du Maroc a un régime dictatorial très fort et depuis 5 siècles. L’opposition est réprimée. Sa légitimation vient de la langue arabe, c’est la langue du Coran, la langue de la religion mais aussi du petit-fils du prophète. Mais cette légitimité est aussi très faible, parce que il y a la réclamation amazigh de la langue. Les Amazigh, c’est la population du pays de Tamzra, dans le nord du Maroc. Maintenant, il existe des mouvements très forts des Amazigh, qui réclament leurs droits au pouvoir, leurs droits à leur langue, et qui ne sont pas religieux. Ils réclament d’autres projets politiques. Le roi monopolise tout le pouvoir. L’article 19 de la constitution lui donne tout le pouvoir. Il peut dissoudre le parlement, le gouvernement, nommer les ministres — c’est lui qui gouverne.
Nous avons une double stratégie : On a une stratégie à moyen terme. On réclame le changement radical sur toutes les questions. On réclame que le premier ministre dégage, que le parlement soit dissout. Parce qu’aux dernières élections, il y a eu 83% d’abstention. Le gouvernement ne représente même pas 7% de la population ! Le gouvernement et le roi vont chercher des solutions, peut-être que le roi va changer le gouvernement. Mais la population va augmenter ses revendications et on luttera jusqu’à la chute du régime.
Ce sont les marxistes-léninistes qui combattent le régime maintenant dans les villes où il y a eu des confrontations très fortes et des morts. Pas dans la capitale, Rabat, où les revendications sont seulement le départ du premier ministre et un changement de la constitution. Dans les autres villes, on exige que le régime tombe. Pour cela, il y a une répression forte.
Les premiers résultats du mouvement du 20 février : Au Maroc, il y a presque 2 millions de diplômés chômeurs. Le Premier ministre a pris une décision : il va faire travailler tous les diplômés chômeurs qui ont un doctorat. Il y avait 850 travailleurs licenciés dans les usines de phosphate de la ville de Khouribgua. Pendant 2 ans, ils ont protesté et ils réclamaient leur réintégration comme titulaires. Tous ont été intégrés dans la société l’OCP. Il y avait des gens habitant les bidonvilles à Casablanca. Ils les avaient chassés sans leur donner où habiter. Après une lutte d’un an, maintenant, ils leur ont tous donné des logements. Voilà les premiers résultats de notre pression.

Vous avez parlé de votre stratégie à moyen terme et à long terme. Quand on chasse un dictateur, ce n’est qu’un début. Cela ne change pas encore le système. Que faire pour que le chômage disparaisse avec ce système économique d’exploitation. Quelle est votre intervention en tant que marxistes-léninistes ?
Nous en sommes très conscients que, dans ce système-là, il y aura toujours la pauvreté, toujours du chômage. Il y aura toujours des classes et de l’exploitation. Ces choses ne peuvent changer sans une révolution et un changement radical du régime. On cherche à s’organiser très profondément au sein de la population. Que l’on soit dans tous les mouvements, des chômeurs, des syndicats, que l’on soit une force puissante pour augmenter la lutte des classes, pour ensuite renverser le régime, pour un régime démocratique populaire. Au lieu d’une démocratie bourgeoise, il faut instaurer un régime socialiste démocrate.

Nous, en France, qu’est-ce que nous pourrions faire pour vous soutenir dans votre lutte ? A Paris, il y a beaucoup d’ouvriers immigrés, solidaires des mouvements en Afrique du Nord.
Dans toute la région, il y a une effervescence de rébellion et de révolution. On est dans une vraie crise révolutionnaire. Il y un concours entre les peuples pour changer ces pays dictateurs. Mais quels sont nos alliés ? Ce ne sont pas les Etats-Unis, ni la France, ni l’Angleterre, mais c’est la classe ouvrière. On aimerait bien avoir de la solidarité très forte de la classe ouvrière et de ses organisations, de leurs expressions politiques. Ce n’est pas seulement dans un journal, mais que cette solidarité soit bien présente dans la presse, sur Internet, en réclamant, en faisant des mouvements de solidarité avec ces peuples-là qui sont réprimés par les régimes dictatoriaux. Il faut crier ça pour que l’on entende ! Comme ça, on peut lutter et cela donne de la force — jusqu’à la fin.

Pour que l’on s’organise de façon permanente au niveau international et dans une orientation révolutionnaire, l’organisation m-l au Maroc a adhéré à l’ICOR (coordination internationale des organisations révolutionnaires). L’ICOR soutient aussi la conférence des femmes. Qu’est-ce que vous pensez de la Conférence qui se déroule actuellement ici au Venezuela ?
On attend beaucoup de cette conférence mondiale des femmes qui est une première à l’échelle internationale. C’est une conférence des femmes de la base, des travailleuses, des paysannes, des intellectuelles, des étudiantes, des bonnes… Il faut s’intéresser aux femmes de la classe ouvrière qui sont réprimées tout comme les ouvriers hommes. S’adresser à ces femmes est important dans la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme. Cette démarche doit continuer et être pratiquée dans chaque pays. Il faut organiser ces conférences tous les 2 ou 3 ans. Elle est tout à fait différente de la conférence de Pékin qui a été sociale-démocrate. La petite-bourgeoisie n’exprime pas les besoins politiques des femmes de la base. Cette conférence ici doit exprimer les positions des femmes de la base.

Merci beaucoup pour cette interview. Notre coopération continuera !

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