Vous êtes dans la rubrique > Archives > Victor Serge : Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression

Victor Serge : Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression

Partisan N°247 - Mai 2011

Victor Serge, est un ancien militant anarchiste qui rejoint les Bolchéviks en 1917. Il travaille au commissariat des Affaires étrangères. A partir de la lecture des archives de l’ancien régime, il écrit ce texte, publié en 1921 dans l’hebdomadaire de la III eme internationale : Le Bulletin communiste. Il révèle les techniques de la police secrète tsariste, l’Okhrana, techniques qu’on pourrait qualifier de classiques – filatures, écoutes téléphoniques, interception du courrier, procédés anthropométriques, infiltration et provocation. Plus tard, il devient membre de l’opposition de gauche dans le parti bolchévik animé par Trotsky. Emprisonné, il fut libéré et banni d’URSS en 1936. Il n’est jamais inutile de connaître les méthodes de nos ennemis. En ce sens, le texte de Serge garde toujours un caractère d’actualité.

SIMPLES CONSEILS AU MILITANT
La révolution russe a pu vaincre parce que vingt-cinq années d’action politique lui avaient formé de fortes équipes de révolutionnaires professionnels préparées à l’accomplissement d’une œuvre presque surhumaine. Cette expérience et cette vérité devraient être sans cesse présentes à l’esprit de tout révolutionnaire digne de ce nom. Dans la complexité actuelle de la guerre des classes, il faut pour former un militant des années d’efforts, d’épreuves, d’études, de préparation consciente. Tout ouvrier animé du désir de n’être pas dans la masse exploitée un passant insignifiant, mais de servir sa classe et de vivre d’une vie plus haute en participant au combat pour la transformation sociale, devrait s’efforcer d’être – dans la mesure du possible, aussi faible soit-elle –, lui aussi, un révolutionnaire professionnel… Et, dans le travail du parti, du syndicat ou du groupe, il devrait notamment – c’est ce qui nous occupe aujourd’hui – se montrer assez averti de la surveillance policière, même invisible, même inoffensive comme elle paraît l’être dans les périodes de calme, pour la déjouer.
Les quelques recommandations qui suivent peuvent l’y aider. Elles ne constituent certes pas un code complet de la clandestinité ni même de la circonspection révolutionnaire. On n’y trouvera aucune recette sensationnelle. Ce ne sont que règles élémentaires... L’imprudence des révolutionnaires a toujours été le meilleur auxiliaire de la police...

LA CORRESPONDANCE ET LES NOTES
Écrire le moins possible. Ne pas écrire est mieux. Ne pas prendre de notes sur les sujets délicats : mieux vaut parfois oublier certaines choses que les noter par écrit… À cette fin, s’exercer à retenir par des procédés mnémotechniques les adresses, et particulièrement les numéros des rues...

LES LETTRES
Se défier de toutes les précisions (de lieu, de travail, de date, de caractère, etc.)... Ne jamais oublier le : « Donnez-moi trois lignes de l’écriture d’un homme et je vous le ferai pendre », expression d’un axiome familier à toutes les polices.

LA CONDUITE GÉNÉRALE
Se défier des téléphones. Rien n’est plus facile que de les surveiller. La conversation téléphonique entre deux appareils mis à la disposition du public (cafés, appareils automatiques, gares) présente le moins d’inconvénients...

ENTRE CAMARADES
Poser en principe que, dans l’action illégale, un militant ne doit savoir que ce qu’il est utile qu’il sache ; et qu’il est souvent dangereux d’en savoir ou d’en faire connaître davantage. Moins un travail est connu, et plus il offre de sécurité et de chances de succès... Se défier du penchant aux confidences. Savoir se taire : se taire est un devoir envers le parti, envers la révolution...

EN CAS D’ARRESTATION
Garder absolument tout son sang-froid. Ne se laisser ni intimider ni provoquer. Ne répondre à aucun interrogatoire sans être assisté d’un défenseur et avant de s’être entretenu avec ce dernier qui doit être, autant que possible, un camarade de parti. Ou, à défaut, sans avoir mûrement réfléchi. Tous les journaux révolutionnaires russes portaient autrefois, en caractères gras, cette recommandation invariable : « Camarades, ne faites pas de déposition ! Ne dites rien ! »..

DEVANT LES POLICIERS ET LES JUGES
Ne pas céder au penchant, inculqué par l’éducation idéaliste bourgeoise, d’établir ou de rétablir la « vérité ». Il n’y a pas dans la mêlée sociale de vérité commune aux classes exploiteuses et aux classes exploitées. Il n’y a pas de vérité – ni petite ni grande – impersonnelle, suprême, planant au-dessus de la guerre des classes.
Pour la classe possédante, la Vérité c’est son Droit : son droit d’exploiter, de spolier, de légiférer ; de traquer ceux qui veulent un avenir meilleur ; de frapper sans merci les porteurs de la conscience de classe du prolétariat. Elle appelle vérité le mensonge utile. Vérité scientifique, disent ses sociologues, l’éternité de la propriété individuelle (abolie par les Soviets). Vérité légale, ce mensonge révoltant : l’égalité des pauvres et des riches devant la loi. Vérité officielle, l’impartialité de la Justice, arme d’une classe contre les autres. Leur vérité n’est pas la nôtre.
Aux juges de la classe bourgeoise, le militant ne doit aucun compte de ses actes, aucun respect d’une prétendue vérité. La contrainte l’amène devant eux. Il subit la violence. Son seul souci doit être de servir ici encore la classe ouvrière. Pour elle, il peut parler, se faisant du banc des accusés une tribune, et d’accusé accusateur. Pour elle, il doit savoir se taire. Ou se défendre utilitairement de manière à reconquérir avec la liberté ses possibilités d’action.
La vérité, nous ne la devons qu’à nos frères et camarades, à notre classe, à notre parti.
Devant les policiers et les juges, ne jamais oublier qu’ils sont les domestiques, préposés aux plus viles besognes, des riches :
– que, s’ils sont les plus forts, c’est pourtant nous qui, sans appel, avons raison contre eux ;
– qu’ils défendent servilement un ordre inique, malfaisant, condamné par le cours même de l’histoire ;
– tandis que nous travaillons pour la seule grande cause de ce temps : pour la transformation du monde par la libération du travail.

Soutenir par un don