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"La démocratie, on ne voyait pas ça comme çà..."

Partisan n°66 - Décembre 1991

La démocratie, on ne voyait pas ça comme çà...

Cet aveu, c’est celui d’une chômeuse polonaise interviewée à la sortie des urnes. Et oui, les réveils sont durs après les mirages répandus par le libéralisme occidental.
Comment la voyaient-ils alors ? Sans trop se tromper, on peut imaginer quelques éléments :
* La liberté d’expression, de débat, de polémique, opposée à la censure de la dictature précédente. La liberté d’organisation pour se défendre et faire entendre sa voix.
* La capacité à décider librement et réellement de son sort, à peser sur sa vie, sans voir bureaucrates et dirigeants décider à leur place en permanence.
* La satisfaction des besoins des couches populaires et non pas ceux d’une couche parasitaire sur leur dos. Or, que voient-ils, à peine quelques an-nées après la chute de la dictature bourgeoise des Jaruzelski et autres ? Ils voient la misère qui s’accentue. Ils voient les anciens capitalistes d’État se reconvertir en capitalistes libéraux et continuer d’en profiter sur le Bang et la sueur des travailleurs. Ils voient qu’ils n’ont toujours aucune prise sur leur vie et sont toujours des pions qui trinquent. Ils voient qu’ils ont peut-être gagné la liberté d’expression, mais que personne ne les écoute. Ils voient les magouilles des appareils à la recherche d’alliances, des partis politiciens tous d’accord pour se partager le gâteau. Ils voient des démagogues, des clowns (’le parti des buveurs de bière !’) représentés à l’Assemblée. Ils constatent ce que noms connaissons à l’Ouest depuis longtemps, ce que les Colombiens et autres peuples dominés vivent encore plus durement. La démocratie parlementaire n’est que le masque habile de la dictature bourgeoise pour-suivie. Et ce sont les ouvriers, les travailleurs qui continuent de subir cette dictature.
Et dire que lors du récent sommet de la francophonie, Mitterrand a encore insisté sur le critère de la "démocratie" et du multipartisme comme condition du nouvel ordre mondial. Et bien il n’est pas fraie, ce nouvel ordre !

Contre le parlementarisme

Nous n’hésitons pas à jeter le pavé dans la mare, de cette démocratie, nous n’en voulons pas ! Alors, on nous renvoie dictature, censure, parti unique etc... etc... Trop facile.
- Nous sommes d’abord contre la délégation de pouvoir. Contre les experts, en politique, pour l’exercice par les travailleurs eux-mêmes de la gestion de leur vie. C’est à dire que nous sommes, à la base, pour l’organisation des ouvriers et des travailleurs, dans leur secteur d’intervention. Qu’on appelle ces structures ’communes’ (lors de la Commune de Paris en 1871), ’soviets" (Russie, Hongrie, Allemagne), Conseils ouvriers, Comités Populaires (Pérou), Commandos Communaux et Cordons Industriels (Chili 1970), Commissions de Travailleurs et Assemblées de Quartiers (Portugal 1975), ou de manière plus limitée Comités de Grève ou coordinations.
L’organisation aujourd’hui, et l’exercice du pouvoir demain ne peut se faire que sur la base de ce type d’organisations. Ce n’est pas forcément le plus facile (difficile parfois de mobiliser les masses), c’est la seule manière d’éviter les dégénérescences et le retour à la dictature bourgeoise de tel Etat ou tel parti.
- Nous sommes pour le contrôle étroit des représentants. C’est à dire que quel que soit l’échelon de représentation (local ou national), il s’agit toujours d’une démocratie directe, où les représentants sont élus et révocables à tout moment, sont mandatée par l’assemblée dont ils sont les représentants.
Ce qui suppose débat permanent et ouvert, polémique et lutte de classes d’une part, organisation centralisée de ces débats d’autre part. Par qui ? Par le gouvernement, nommé par l’Assemblée nationale des représentants des Comités Populaires (chacun révocable à tout moment par sa circonscription de base).
Nous sommes pour l’exercice du pouvoir direct à tous les niveaux, et l’organisation de la société en ce sens, en réduisant tous les appareil spéciaux (administration, police, justice...) lieux privilégiés de formation de nouveaux bourgeois. Réduisons le temps de travail

Démocratie parlementaire et démocratie bourgeoise

Mais ces formes de pouvoir (qui seront bien sûr précisées et adaptées en fonction de la lutte des classes) ne suffisent pas. La démocratie "en soi" n’est pas un but. Car on part d’une société divisée en classes, fondée sur le profit et le capital. Même très "démocratique", c’est toujours l’exploitation, preuve de l’autogestion et des coopératives ouvrières actuelles.
La démocratie bourgeoise c’est le maintien de l’ordre existant, l’instrument de l’adaptation aux variations de la période, mais dans le contexte existant. Pas besoin de bouleversements, de mobilisation.
La démocratie prolétarienne, c’est au contraire le changement, d’abord par la destruction du capitalisme, puis la construction du socialisme et la marche vers la libération, la fin de l’exploitation et des classes. C’est beaucoup plus difficile, évidemment. D’une part parce qu’il faut savoir où on veut aller, ensuite parce qu’il y a tout le poids de l’ancienne société qui est encore là et tire en arrière. Ce changement, il ne se fera pas dans la tranquillité, mais dans la lutte des classes, entre ceux qui veulent aller de l’avant, et ceux qui veulent s’arrêter et revenir en arrière. D’où le rôle d’un Parti de type nouveau (nous disons un vrai Parti Communiste, tel qu’il a pu exister dans le passé) capable de guider le processus.
La démocratie n’est pas un but en soi, contrairement à ce que pensent par exemple trotskystes et anarchistes. La démocratie prolétarienne est l’instrument des ouvriers pour libérer toute la société. La démocratie n’est pas une recette, une garantie, c’est un instrument de la lutte des classes, même (et surtout) après la prise du pouvoir.

Multipartisme ou pas ?

Évidemment, à partir de l’expérience des pays de l’Est, la réponse semble évidente : contre la dictature du parti unique, la démocratie du multipartisme. Du moins, c’est ce qu’on veut nous faire croire. C’est un point que nous discutons dans Voie Prolétarienne (avec des opinions différentes en notre sein), et nous n’avons pas encore arrêté de point de vue. Mais nous avons quelques éléments à mettre en débat.
Tout d’abord, multipartisme ne veut pas dire démocratie, du moins au sens où nous l’entendons. Les parlements polonais et colombiens en sont la preuve. Combinaisons, magouilles d’appareils, débat de fond escamoté, experts en poli-tique, parlementarisme, exclusion des sans-parti etc...
Ensuite monopartisme ne veut pas forcément dire absence de débat. Aucun de nos démocrates bourgeois patentés n’a remarqué en se félicitant des débats à l’Assemblée de l’URSS que tous les délégués ont été élus sur le PCUS. Évidemment ça ne prouve rien sur l’orientation suivie. Simplement pour dire qu’il y a en même temps parti unique et débat.
Tout dépend du type de parti que l’on veut construire. Nous parlons de parti de type nouveau, non parlementaire. C’est à dire un parti lié aux masses, reconnu dans les faits (et pas du tout administrativement) comme dirigeant, où existe le débat, la polémique, la recherche théorique, la lutte de ligne. Où la critique et l’autocritique sont pratiquées, publique-ment, face aux masses. Un parti qui ne cherche pas les places bureaucratiques, mais cherche au contraire à rester avec les masses, à la production.
Utopie ? Pourquoi donc ? Qu’essayons-nous de construire aujourd’hui à notre petite échelle sinon ce type de relations ? Nous ne cherchons pas comme les trotskystes de la LCR ou les libertaires de l’UTCL à gagner des places dans les appareils bureaucratiques. Nous cherchons à ce que les masses ouvrières, avant tout, prennent leurs affaires en main. Nous en cherchons pas le monolithisme dans Voie Prolétarienne, le débat est vif et permanent. Notons que même la CIA reconnais ce caractère au Parti Communiste du Pérou !
Nous n’avons donc pas tranché ce débat, dans la mesure où nous reconnaissons l’importance décisive du droit à la polémique, à l’organisation des masses y compris face à l’État, du droit de révolte (dont bien sûr la grève). De quel droit pourrions-nous alors restreindre ce droit à l’organisation politique ?
De toutes les façons, il est clair que la révolution n’est pas un acte administratif mais un processus extrêmement complexe où les positions se clarifient au fur et è mesure. Les partis d’aujourd’hui n’ont peut-être pas grand’chose à voir avec les partis de demain. Ainsi, la lutte des classes et la guerre populaire au Pérou sont en train d’opérer ce processus de clarification, et il est évident que la plu-part des partis bourgeois actuels ne sur-vivront pas à la révolution. Tout simple-ment parce que les masses n’en voudront plus, compte tenu de leurs positions actuelles.
Mais on peut imaginer (faisons un peu de politique fiction...) une révolution en France, une prise de pouvoir où participent, les armes à la main, des organisations trotskystes, libertaires, ou alternatives radicales. Pas forcément celles d’aujourd’hui (!?), mais imaginons. Des organisations d’accord pour prendre le pouvoir, pour renverser le capital, pour le pouvoir des Comités Populaires, mais pas forcément pour la marche au communisme. Difficile de leur interdire l’existence... Il existera sans doute alors une forme de multipartisme à envisager ; comme cela a pu exister dans la Russie au début de la Révolution. Mais la suite de la lutte des classes, les choix à faire imposeront peu à peu des clarifications. Alors se posera le dilemme pour ces militants : ou ils sont d’accord et on voit mal pourquoi ils n’auraient pas leur place au sein du Parti de Type Nouveau (y compris dans le débat interne), ou ils s’opposent au processus et c’est la lutte des classes, le pouvoir des masses qui tranchera.
Nous en sommes là, le débat est toujours en cours. Mais on le voit, la discussion n’est pas aussi simple qu’on voudrait nous le faire croire... La seule garantie, c’est la clairvoyance et donc un Parti fort

 

La démocratie, la nôtre, la démocratie prolétarienne n’est pas une recette magique donnée une fois pour toutes, garantie sans dégénérescence. Précisément parce que nous voulons bouleverser le monde, et non le maintenir. La lutte des classes est un processus complexe.
Face aux dictatures de l’Est et des pays dominés, le capitalisme libéral propose une recette magique. Celui du maintien de l’ordre existant, du parlementarisme, du bavardage et des rideaux de fumée.
Nous n’offrons aucune garantie. La seule que nous essayons de construire dès aujourd’hui (même si la révolution est encore loin), c’est ce Parti de Type Nouveau, capable à la fois de s’orienter dans le présent en préparant l’avenir. Rien à voir avec les partis de l’Est, des pays dominés ou des pays impérialistes.
Notre démocratie, c’est 1) le pouvoir aux masses 2) la lutte des classes 3) un parti pour diriger le tout. Et de ces trois facteurs, c’est le Parti qui est décisif aujourd’hui. Tous les militants qui se félicitent - à juste titre d’ailleurs - du réveil social mais pour replonger dans la lutte immédiate, feraient bien de méditer ces leçons : que veut-on construire, quelle démocratie, dans quel but ?
Pologne, Colombie et de multiples autres exemples... Pensons-y

 

A.Desaimes

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