Vous êtes dans la rubrique > Archives > « Indigènes de la république » Sortons de la confusion

« Indigènes de la république » Sortons de la confusion

Partisan N°202 - Avril 2006

LOURD PASSÉ COLONIAL.

La relégation des travailleurs immigrés et de leurs enfants comme citoyens de seconde zone est bien réelle. Elle s’appuie d’abord sur leur exploitation économique en tant que prolétaires, à laquelle se rajoutent des discriminations sociales diverses, à l’embauche, au logement… Elle est aussi policière : contrôles au faciès, expulsions massives, état d’urgence… Elle est enfin idéologique et politique : désignés boucs émissaires de la crise économique, exclus du droit de vote… Leur histoire, la bourgeoisie française refuse de la reconnaître.
Elle nie son passé colonial de massacres et d’oppression perpétrés au nom de ses intérêts capitalistes, comme elle refuse l’histoire des luttes de ces peuples pour leur liberté.

Il a fallu des années pour faire reconnaître le massacre des algériens à Paris le 17 octobre 1961 ; reste encore à imposer toute la vérité sur les massacres coloniaux (Sétif en 1945, Madagascar en 1947…) ou encore la responsabilité de la France dans le génocide rwandais en 1994 ! On le voit encore une fois aujourd’hui, avec cette loi scélérate sur le « rôle positif de la présence française » en Outre-Mer !

« FRACTURE COLONIALE » ET LUTTE DES CLASSES.

Si l’appel des « Indigènes » met bien en lumière les discriminations racistes dont sont victimes les immigrés et les populations issues de l’immigration, il en oublie le fondement économique. Le discours raciste et anti-immigré actuel de la bourgeoisie rappelle étrangement le discours anti-prolétaire du XIXe siècle. La « canaille » d’hier est devenue la « racaille » aujourd’hui. Les prolos étaient alors stigmatisés comme « vulgaires », « immoraux », pas « intégrés », « dangereux », ce qui justifiait leur répression. Ce furent d’abord les ruraux venus dans les villes chercher du travail, puis la vague d’immigration européenne (italiens, polonais…).

Aujourd’hui, cette stigmatisation continue avec les populations issues de l’immigration des anciennes colonies françaises. Le capitalisme cultive alors avantageusement des sentiments racistes ou nationalistes pour diviser les exploités, et tirer vers le bas les salaires et les conditions de travail de l’ensemble des travailleurs. D’autant plus qu’il peut s’appuyer sur plusieurs décennies de chauvinisme répandu dans la classe ouvrière, notamment par le Parti Communiste Français !

De plus, « l’appel des Indigènes », ne parle que des immigrés issus du « colonialisme » ou du « néo-colonialisme » mais beaucoup viennent d’un développement économique inégal inhérent à la domination capitaliste (Europe de l’Est, Turquie…). Or ce qui important c’est de construire l’unité de tous face à nos exploiteurs au lieu de diviser les immigrés !

Les « Indigènes » disent aussi que la situation coloniale perdure. La colonisation est un des aspects historiques de l’impérialisme et continue à marquer la situation sociale en France. Mais on ne peut réclamer « la fin du système d’exploitation néo-libéral et néo-colonial de la France en Afrique » comme le font les « Indigènes », sans dénoncer le système impérialiste dans sa globalité. On ne peut remettre en cause sérieusement les discriminations sans voir l’exploitation économique qui les sous-tend. Mettre seulement en avant la « fracture coloniale » comme responsable de tous les maux, c’est masquer la lutte des classes. C’est l’exploitation des prolétaires par les bourgeois, qui fonde l’ensemble des rapports économiques et sociaux partout dans le monde, même si dans le camp des exploités, certains (femmes, immigrés…) subissent des oppressions supplémentaires…

NOTRE HÉRITAGE : LES LUTTES ANTI-COLONIALISTES ET ANTI-IMPÉRIALISTES.

Le « complexe colonial » mis en avant par les « Indigènes de la République » occulte aussi, d’une certaine façon, les luttes d libération nationale, laïques pour la plupart, notamment celle du peuple algérien. Aujourd’hui, plutôt que de reprendre le terme d’indigène, nous devrions valoriser les combattants de l’indépendance algérienne qui ont lutté, les armes à la main, pour refuser ce statut. N’oublions pas que cette génération s’est aussi battue plus tard dans luttes sociales en France. Le système colonial et son école ont confisqué ce passé de fierté et de combativité, et le pouvoir bourgeois algérien l’a déformé pour en faire sa propre légitimité. Nous devons continuer à faire vivre ces luttes anti-impérialistes et sociales !

POUR L’UNITÉ DE CLASSE DU PROLÉTARIAT CONTRE SES EXPLOITEURS.

Parmi les signataires de cet appel, certains sont des anti-racistes convaincus, mais d’autres ont clairement la volonté d’instrumentaliser ce mouvement à d’autres fins, cultivant confusions et amalgames. Ce n’est pas un hasard si les « Indigènes » demandent l’abrogation de la loi sur les signes religieux à l’école, (nous sommes aussi contre cette loi) mais rien sur le port du foulard, ce qui a permis à nombre d’intégristes de signer l’appel. Nous ne sommes pas d’accord pour accepter n’importe quelles alliances fussent-elles au nom de l’antiracisme et de l’anti-colonialisme, notamment avec des intégristes religieux (quels qu’ils soient). Ces mêmes intégristes ont largement réussi à imposer le terme d’« islamophobie », assimilant tous les travailleurs immigrés à une identité religieuse supposée.

En maquillant d’un vernis religieux la lutte antiraciste, ils en dénaturent le sens. Cette stratégie sert aussi à diviser le camp des progressistes et à les détourner de la lutte contre l’intégrisme religieux.

Enfin, certains des « Indigènes de la République » attaquent régulièrement la philosophie des Lumières *, en la stigmatisant comme « occidentale » ou « coloniale ».

Derrière cet argument facile, se cachent des tentatives pour discréditer ce qu’il y a de matérialiste, d’universaliste, et de progressiste dans ces idées.

Il se peut que nous nous retrouvions dans certaines luttes, comme celle pour la régularisation de tous les sans-papiers, par exemple, mais tâchons de clarifier les positions ! Nous n’avons rien à gagner à la confusion, bien au contraire. Face à l’exacerbation du racisme en France, et aux tentations de repli sur des identités communautaires, nous devons construire l’unité des exploités face à nos exploiteurs.

Des militants VP et sympathisants

Soutenir par un don