Vous êtes dans la rubrique > Archives > Rencontre avec Adel Samara, marxiste palestinien

Rencontre avec Adel Samara, marxiste palestinien

Partisan N°235 - Février 2010

 

Fin novembre à Paris, nous avons assisté à une réunion avec Adel Samara, membre fondateur du FPLP en 1967, qu’il a quitté après les accords d’Oslo, en désaccord avec ses positions. Il anime la revue Kana’an. Ses articles sont disponibles sur le site de celle-ci, Kanaanonline.org. Il apporte des analyses qui tranchent avec celles habituellement faites sur la lutte du peuple palestinien. L’article de Partisan n’est pas une interview. Il est donc de notre responsabilité. D’autres questions, que celles traitées ci-dessous, ont été abordées (HAMAS, femmes).

 

Quelle est la nature du conflit en Palestine ?

 

Le conflit en Palestine ne se réduit pas à la contradiction entre Palestiniens et colonialisme juif, pas plus qu’il n’est un conflit entre Arabes et Juifs. Il s’agit de la lutte des Palestiniens et des Arabes pour le rétablissement de leurs droits sur leur terre, contre Israël en tant que colonie et contre le centre impérialiste dont il est l’œuvre. Israël est le « cheval de Troie » impérialiste dans la région. A l’origine, à la fin du XIXe siècle, le sionisme politique représentait un capitalisme juif aux intérêts convergents avec ceux de l’impérialisme. C’est cette convergence qui a permis la création d’Israël en 1947.
Il faut qualifier de sionistes tous ceux qui reconnaissent Israël en tant qu’Etat légitime et le soutiennent. Ce ne sont donc pas seulement des Juifs. Ils peuvent être, et beaucoup le sont, des Arabes, des Palestiniens, des Américains ou des Européens de toutes origines. C’est une caractérisation politique, même si les médias bourgeois imposent une approche religieuse du conflit.
Les classes dirigeantes des pays arabes ont apporté leur soutien à la « normalisation », directement ou indirectement. Ce sont des classes compradores. Leur attitude est dictée par leurs intérêts de classes, qui incluent leur survie elle-même face à leurs peuples. La normalisation des relations avec Israël est l’une des conditions de l’appui des impérialistes, américains et européens, à leur domination.
La lutte du peuple contre l’occupation de la Palestine ne peut donc être circonscrite à un enjeu local. Elle s’inscrit de façon aiguë dans la lutte contre la domination impérialiste.

 

Quelles sont les classes de la société palestinienne qui soutiennent le processus d’Oslo ?

 

Les accords d’Oslo ont instauré un « processus de paix » … pour le capital, pas pour les Palestiniens. La guerre s’est poursuivie sous des formes diverses dans les territoires occupés en 1967, comme dans les frontières de 1948. Guerre dont la forme la plus évidente est la poursuite de l’accaparement des terres par les colons, mais aussi les expropriations en Israël (de terres, de maisons…) et la main-mise économique sur l’ensemble de la Palestine, avec la complicité de l’Autorité palestinienne.
Adel Samara analyse les fractions bourgeoises palestiniennes qui supportent la normalisation avec Israël et acceptent la colonisation. La première est la bourgeoisie bureaucratique qui dirige l’OLP. A l’origine, son assise économique est constituée par les taxes prélevées sur les travailleurs palestiniens des pays du Golfe et sur les dons des pays arabes. La deuxième fraction est le capitalisme palestinien local qui se développe comme sous-traitant du capital sioniste. La dernière est le capital financier palestinien qui existe dans les Pays du Golfe. Ces fractions capitalistes sont appuyées par des courants intellectuels : un courant libéral, et des anciens communistes qui ont retourné leur veste.
La fraction bourgeoise qui dirige l’Autorité palestinienne n’a aucune base dans l’industrie ou dans l’agriculture. Sa domination dépend aujourd’hui des financements du capitalisme international. Son « autonomie » est donc un leurre. Elle est « compradore ».

 

Quelles sont les conséquences du processus d’Oslo sur la société palestinienne ?

 

Les accords d’Oslo ont deux conséquences majeures pour les Palestiniens des territoires de 1967. La première est assez bien connue. L’économie de ces territoires est sous l’étroite dépendance d’Israël qui n’y développe que ce qui est conforme à ses intérêts. Les importations, comme les exportations, sont sous contrôle israélien. La monnaie qui circule est sa monnaie. Les passeports palestiniens ne sont valides qu’avec un visa sioniste.
La seconde l’est moins. La dépendance financière entraîne la dépendance politique et idéologique d’une fraction importante de la population. L’Autorité palestinienne fournit (grâce à l’aide internationale) 200 000 emplois directs, ce qui signifie qu’environ 1 million de personnes dépend d’elle. A cela, il faut ajouter les emplois procurés par les ONG, dans lesquelles s’est recyclé un bon nombre d’anciens militants du FPLP, et par diverses organisations internationales.
L’économie, et par conséquent la politique, sont dans les mains des « bienfaiteurs étrangers ». Lorsque les Palestiniens de Gaza ont voté pour le Hamas, immédiatement ils ont arrêté de verser l’argent des salaires des employés de l’Autorité pour ce territoire.

 

Existe-t-il une gauche anti-sioniste en Israël ?

 

Adel Samara constate l’absence d’une telle force en Israël et la faiblesse de celles qui ont existé dans les années 1970 où une organisation marxiste-léniniste (Ligne Rouge) avait essayé de participer à la lutte armée avec les Palestiniens.
Cette faiblesse tient à la nature d’Israël, colonie de peuplement, dont le ciment idéologique est la discrimination entre les Juifs et les autres habitants fondée sur l’origine religieuse et le racisme. Il y a des différences importantes entre les capitalistes et les travailleurs en Israël, mais cela ne signifie pas qu’il y ait une lutte de classe au sens de lutte « pour soi ». La différenciation économique n’est pas suffisante pour amener une conscience de classe révolutionnaire rompant avec le sionisme.
En effet, la conviction est forte parmi les travailleurs qu’ils partagent avec la bourgeoisie sioniste des intérêts matériels, politiques et idéologiques, face aux Palestiniens. C’est un obstacle qui ne peut pas être surmonté par le seul levier de la lutte économique. Cela impose des ruptures idéologiques qui dans les circonstances actuelles ne peuvent être le fait que d’un nombre très limité de travailleurs.

 

Quelles sont les enjeux actuels de la lutte en Palestine ?

 

Pour Adel Samara la lutte du peuple palestinien dépasse un enjeu national local. L’ennemi n’est pas seulement l’occupation coloniale depuis 1947 et l’exigence, non négociable, du droit au retour des Palestiniens expulsés. C’est une lutte contre le capitalisme et l’impérialisme qui s’inscrit dans la lutte de tous les travailleurs et de tous les peuples. Néanmoins, des tâches particulières s’imposent en Palestine. Pour Adel, il y a urgence à créer un nouveau courant marxiste-léniniste qui assumerait des tâches qui se posent dès aujourd’hui.
La lutte armée est toujours la forme principale de lutte. Toutefois Adel Samara n’est pas pour une lutte armée élargie, car les forces de répression sont trop importantes. Il est pour des actions ciblées articulées à d’autres formes de mobilisation. Parmi celles-ci, il insiste sur :
- Le boycott des productions d’Israël.
- Le combat contre la normalisation des relations avec Israël
- Le refus de toute élection au niveau global sous occupation. Mais il est partisan d’élections locales.
- La lutte contre la corruption

 

Deux autres formes de lutte méritent d’être plus développées.

 

Il propose ce qu’il appelle « un développement économique sous protection populaire ». Il s’appuie en cela sur une des expériences les plus riches de la première Intifada. Il s’agit de contrecarrer la dépendance induite par l’aide économique en développant, par exemple, des coopératives, comme forme de résistance idéologique et politique dans le boycott les produits israéliens.
Le deuxième axe est une résistance culturelle qui s’oppose à l’influence idéologique des ONG. Celles-ci imposent leur vision du monde, mettant l’accent sur des droits de l’Homme abstraits, et elles détournent le peuple de la construction de son indépendance économique, politique et idéologique.

 

Cette vision du conflit palestinien enrichit et éclaire l’analyse que l’on peut faire aujourd’hui des grandes contradictions au plan mondial.

Soutenir par un don