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Bretagne : ça bouge, mais dans quelle direction ?

En Bretagne, la crise dans l’agroalimentaire se déchaîne. Depuis 2012, une vague de restructurations met sur le carreau des milliers d’emplois ouvriers. La liste des licenciements s’allongent : 1 000 postes supprimés avec la faillite de Doux, 400 dans la fermeture des deux usines Marine Harvest, 1 000 à Gad, arrêt de la production en janvier prochain à Tilly-Sabco... La classe ouvrière prend le chemin de la résistance, oui, mais elle est à la croisée des chemins.

De quoi parle-t-on ?

Dans les conditions de la crise actuelle, rien d’extraordinaire à ce que cette région en subisse elle aussi les effets. Et l’industrie agroalimentaire n’est pas la seule dans l’œil du cyclone. A PSA-Rennes, des capacités de production doivent être supprimées. Prévue pour une production de 450 000 voitures par an, l’usine en sortira 90 000 à la fin 2013. Plus de la moitié des effectifs se retrouve dehors depuis 2005. Rien que cette année, il y a 80 jours de chômage technique cumulés, les ouvrier-e-s travaillent 3 jours par semaine en novembre.

 

Mais si l’agro-industrie est aujourd’hui sur le devant de la scène ouvrière, c’est que la région en est fortement dépendante : travailleurs exploités, bien sûr, mais également bourgeoisie et patrons de l’agriculture et du transport. A partir des années 1960, la concentration dans l’agriculture et la transformation industrielle avaient permis de solides gains de productivité. L’intensité croissante de l’élevage, de l’abattage, et de l’alimentation animale ont fait de la Bretagne la productrice de 50% du porc, 40% des œufs, 30% de la volaille consommés en France. Le secteur occupe un emploi industriel sur trois, de plus en plus en intérim et dans l’exploitation des prolétaires venus d’autres pays d’Europe.

Ils vantaient sans rire le modèle breton

Mais le capital ne se développe qu’en préparant les conditions qui, tôt au tard, le dévalorisent. Quand cette heure a sonné, c’est la destruction de capacités de production en excédent, prolétaires en tête. L’agro-industrie était déjà maintenue la tête hors de l’eau par des subventions de l’Union européenne. A eux seuls, Tilly-Sabco et Doux sont les débiteurs quasi-exclusifs de ces fonds, indispensables à leur survie. L’arrêt des versements, prévu en janvier, est leur moment de vérité : sans les perfusions de l’Etat, leur marchandise serait vendue à perte. Comme le déclare Daniel Sauvaget, patron de Tilly : « Notre modèle économique n’est plus viable sans les 20 millions d’euros de restitutions que l’on percevait jusqu’alors » (*).

Françaises ou non, les entreprises du secteur sont nécessairement internationalisées.

Les volailles s’écoulent d’abord dans d’autres pays, à commencer par l’Arabie Saoudite pour 60% de la production de Tilly et Doux. Pour pénétrer ces marchés, ces entreprises grossissent, et avec elle leur endettement. Mais dans la guerre économique que se livrent les monopoles, il n’y a aucun répit. La production brésilienne vient disputer les positions de groupes qui dépendent à 90% de l’exportation. L’abattage en Allemagne tire tout le jus possible du marché de main-d’œuvre ouvrière, passé aujourd’hui à l’échelle de l’Europe.

Qu’y a-t-il de rouge dans leur bonnet ?

La révolte ouvrière et populaire s’est trouvée associée à l’opposition bourgeoise contre l’écotaxe, au travers de l’opération bien montée des bonnets rouges. D’ordinaires opposées sur la répartition entre elles de la plus-value dégagée par le travail prolétaire, les fractions bourgeoises du transport, de la grande distribution et de l’agriculture se sont soudées contre l’application d’une nouvelle taxe, certes impopulaire dans la population. Rappelons ici que les restructurations en Bretagne n’ont pas attendu la mise en place des portiques sur les voies express. Rappelons enfin que le coût du transport représente une part minime dans les coûts de production de l’agroalimentaire.

 

Mais là n’est pas l’enjeu ! Si les syndicats patronaux appellent bel et bien à la révolte, MEDEF et FNSEA en tête, c’est en visant, à travers l’écotaxe, les freins à une concurrence de plus en plus destructrice que représentent pour eux... les cotisations sociales, le coût du travail, etc. Ils réclament de l’Etat qu’il restaure leur compétitivité.

 

Les bonnets rouges ne tombent pas du ciel. Pour l’anecdote : c’est sur la commande personnelle du patron d’Armor Lux que 900 de ces bonnets ont été livrés, puis vendus à la criée à la manifestation du 2 novembre à Quimper. Les bonnets suivants sont produits en Ecosse, les défenseurs du « vivre, décider et travailler en Bretagne » n’étant pas à cette contradiction près. La manifestation, fortement suivie, est en effet appelée sous ce mot d’ordre par un comité dont la composition dit toute la confusion : élu régionaliste, commerçant, propriétaire agricole, syndiqué ouvrier... Les patrons de la grande distribution, du textile, de l’agroalimentaire étaient pour tout dire les organisateurs de la manifestation de Quimper, présents pour certains. Mais bien sûr, seuls les petits-bourgeois, plus présentables, ont occupé le devant de la scène et monopolisé la parole, canalisant de façon habile la rage des masses présentes sur le thème : « Bretons, serrons-nous les coudes ».

Nos perspectives

Ces derniers événements posent plusieurs enjeux politiques. Le premier, c’est l’affaiblissement du bloc politique de la bourgeoisie. Son unité se fissure et sa fraction dirigeante peine à s’imposer, l’écotaxe en étant le révélateur. Elle voit monter une opposition ouverte contre les moyens qu’elle emploie pour surmonter la crise. Le petit capital industriel et agricole a aussi des reproches à formuler – et il le fait maintenant en s’attaquant aux biens de l’Etat, sous la bénédiction des flics.
Le deuxième enjeu est manifeste : la montée de la colère populaire et ouvrière contre la dégradation de nos conditions de vie. L’ampleur des licenciements, les espoirs soulevés par le PS au pouvoir définitivement dissipés, la révolte ouvrière va croissant et prend des formes plus radicales. Pour l’heure, plusieurs voies s’affrontent.
Un ouvrier de Gad, présent à l’usine de Josselin en octobre, confirme à Partisan la réalité des affrontements entre travailleurs des deux sites. Les médias ont « seulement » passé sous silence que c’est bien l’encadrement qui a organisé l’intervention des ouvrier-e-s contre les grévistes de l’usine de Lampaul, recrutés parmi les étrangers et intérimaires (70% des effectifs). Dans le secteur agroalimentaire, il n’est pas impossible de voir ouvriers, cadres, propriétaires agricoles, commerçants, faire cause commune car ils sont effectivement liés, dans leur situation matérielle, par les conséquences des vagues de licenciements. Mais l’unité sur leurs intérêts de classe prolétarienne est la seule base solide sur laquelle les ouvrier-e-s peuvent combattre et détruire cette société pourrie. Tandis que les petits producteurs s’opposent à la dictature bourgeoise pour prolonger l’agonie du système capitaliste, les masses avec la classe ouvrière en tête peuvent seules le balancer dans les poubelles de l’histoire. Dans ses succès comme dans ses échecs immédiats, la classe ouvrière accumule de l’expérience et des forces pour demain.
Militant VP

 

* Le Télégramme, 1er novembre 2013.

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