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50 ans après, la Révolution Culturelle en débat à Paris !

C’est finalement près de 100 personnes, dans une salle archi pleine, qui se sont retrouvées samedi 21 mai 2016 afin de débattre de la Révolution Culturelle et de la Commune de Shanghai aux côtés de Hongsheng Jiang.
Pour nous c’est une belle réussite de voir, 50 ans après cet événement, des jeunes et des moins jeunes se réunir au cœur de Paris pour discuter de la Révolution Culturelle et de ses enseignements.
Après une introduction de notre organisation et celle de Hongsheng Jiang (que vous retrouverez ci-dessous ainsi que notre conclusion), un débat riche eu lieu et permis d’aborder différents sujets. Le rôle du Parti comme outil de libération, la place des femmes dans le combat révolutionnaire, l’auto-organisation des masses lors de la Commune de Shanghai etc. Un débat qui permit de montrer que loin de la caricature qui en est faite, la Révolution Culturelle est porteuse de riches leçons politiques pour aujourd’hui.


 

Introduction de l’OCML VP

 

Il y a un demi-siècle s’engageait, en Chine, la Révolution culturelle. Cet événement ne fut pas une farce. Comme le montre Hongsheng Jiang, à Propos de la Commune de Shanghai, elle fut un authentique mouvement révolutionnaire, mobilisant les masses ouvrières et la jeunesse, contre ceux qui dans l’Etat et le Parti soutenaient des positions qui tournaient le dos à la transformation révolutionnaire de la société, les tenants de la voie bourgeoise. La révolution culturelle visait à maintenir le développement social, économique et politique dans la perspective, certes lointaine, du Communisme.

 

Pourquoi commémorer aujourd’hui cet événement  ? Qu’avons-nous à en tirer  ? Quels sont les enjeux dans la lutte des classes aujourd’hui en France  ? Tel sera l’objet de cette rencontre.

 

Dans le cours de cette réunion nous allons évidemment traiter de manière particulière et approfondie la question de la Révolution culturelle chinoise et, à propos de celle-ci, de l’expérience de la Commune de Shanghai, dont Hongsheng Jiang fera la présentation dans quelques minutes.

 

Toutefois avant cela nous voudrions souligner trois points  :

 


- Nous voudrions souligner d’abord combien cette révolution étaient d’actualité en mai et juin 1968, c’est-à-dire pouvait éclairer les enjeux et des questions posés par la société français d’il y 50 ans, et par le mouvement social qui l’ébranlait.
- Nous voudrions ensuite dire comment elle contribué à fonder les positions de notre organisation, créée à la fin des années 1970.
- Enfin en dernier lieu nous voudrions dire en quoi elle nous semble pouvoir aujourd’hui éclairer les questions posées et les enjeux des luttes contre la loi « travail  ».

 

L’impact de la révolution culturelle a précédé de deux ans le mouvement de mai et juin 1968. Elle avait déjà marqué certaines organisations qui se réclamaient du Marxisme-Léninisme tel que développé par les communistes chinois.

 

En effet, dès avant 1968, la jeunesse s’était engagée dans le soutien à la lutte du peuple vietnamien contre l’impérialisme américain. Dans ce soutien les contradictions politiques qui opposaient les partis communistes appelés « révisionnistes  » (c’est-à-dire : Se disant révolutionnaires, mais défendant le maintien d’un ordre sociale capitaliste qu’ils entendaient seulement aménager), et le Parti communiste chinois, se traduisaient dans la lutte en France. Les premiers mettant en avant « Paix au Vietnam » et les ML, avec d’autres, affirmant « Front National de Libération vaincra ».
Dans cette lutte de jeunes étudiants et de jeunes ouvriers, français ou immigrés, dont les plus politisés étaient alors espagnols, portugais, antillais, maghrébins, se formaient en tant que révolutionnaires. Ils auront un rôle déterminant dans les développements révolutionnaires en 1968 et après en particulier dans le renforcement du courant maoïste en France.

 

En mai et juin 1968, et dans les années qui suivirent, la révolution culturelle fut une référence politique pour de nombreux jeunes révoltés, d’origine petite bourgeoise, dont certains s’établirent en usine, et pour de jeunes ouvriers.

 

Le PCF et la CGT, alors très dominants dans la classe ouvrière, s’évertuèrent avec succès à orienter les luttes ouvrières selon une logique revendicative étroite, économiste, cherchant à étouffer ainsi les aspirations à une autre société, souvent formulée de façon indécise. Les révolutionnaires et les ML avaient alors incontestablement un écho ouvrier et populaire. Dans les usines, PCF et la CGT, s’employèrent à circonscrire ces aspirations puis à les briser, avec l’appui des directions d’entreprise.
PCF et CGT s’employèrent aussi à faire barrage au rapprochement des ouvriers et des étudiants, au prétexte que ces derniers étaient des « petits bourgeois ». Mais si les étudiants ne sont pas rentrés dans les usines, nombreux ont été les jeunes ouvriers qui allèrent sur les barricades et dans les universités les rejoindre. Ainsi la mobilisation de la jeunesse dans la Révolution culturelle était pour les uns et les autres une expérience stimulante.
Face au PCF et à la CGT, les révolutionnaires et particulièrement les maoïstes, tentèrent d’organiser les révoltes de la jeunesse, des ouvriers, en particulier des ouvriers peu qualifiés, qui refusaient à la fois leur conditions de travail, et pour les étrangers le mépris raciste. Dans les années 1970, certains et certaines maoïstes portèrent la révolte des femmes, contre la domination machiste, qui comme le disaient Mao « forment la moitié du ciel ». Enfin ils s’investirent encore dans leur lutte contre l’oppression des Homosexuels…. Toutes aspirations auxquelles s’opposait le PCF dont la base ouvrière masculine, française et qualifiée, se voyait déstabilisé par l’émergence de ces aspirations.
Mais le PCF, dans la perspective d’un programme commun avec le PS, cherchait à séduire les cadres, les ingénieurs et les couches supérieures de la petite bourgeoisie. Il s’opposait donc aux aspirations ouvrières à un changement des rapports sociaux, particulièrement présente parmi les ouvriers et les ouvrières peu qualifiés. Les uns et les autres devaient rester à leur place : les ouvriers à l’exécution, aux travaux durs, les cadres, les ingénieurs, à la direction, comme les tenant le la voie bourgeoise en Chine s’employaient à le faire.

 

Malheureusement, la plupart des groupes se réclamant du maoïsme étaient, pour le dire rapidement, bien plus « pro-chinois » que maoïstes. Ils cherchaient en Chine un modèle idéalisé, sans contradiction, ignorant la dure lutte des classes dont la révolution culturelle était la manifestation. Et quand la contre révolution triomphe définitivement en Chine à la fin des années 1970, les grandes organisations Ml qui se réclamaient du maoïsme, désorientées et découragées, disparaissent en quelques années. C’est dans ce contexte que fut fondée notre organisation, qui voulait rompre avec l’opportunisme et le spontanéisme des anciennes organisations, et avec l’idéalisation des modèles qui nous éloignait des conceptions matérialistes que Mao avait soutenues.
Lorsque VP fut créée, nous puisions dans l’expérience et dans les positions de Mao, la conviction que tout processus de transition, est un processus de lutte de classe. Et qui dit lutte dit possible le fait que la voie réellement révolutionnaire soit battue.
Nous avons tiré de la révolution culturelle et les textes publiés en Chine par les théoriciens maoïstes des enseignements qui renouaient avec ce que Marx avait déjà écrit, mais qui était maintenant mis en œuvre. Pour nous, le but de la révolution, n’est pas un changement formel de la propriété juridique, de remplacer les patrons privés par une propriété d’Etat, par la nationalisation, mais de bouleverser l’ensemble des rapports sociaux, et en particulier les rapports de production. Il faut faire disparaître la division entre le travail d’exécution et le travail de direction, entre les ouvriers et les cadres ou experts, même dits socialistes.
Au tout début des années 1980, en nous appuyant sur l’expérience de la révolution culturelle, nous avons approfondi notre compréhension de ce que devait être une transition vers le communisme sous dictature du prolétariat. Nous avons ainsi, remis en cause une conception de la transition, qui comme ce fut le cas en URSS dès les années 1930, donnait le rôle principal aux cadres et aux experts dans le développement de la production, et nullement aux masses et à la lutte de classe. Nous avons alors réévalué le rôle et les apports de Staline à la compréhension des tâches de la transition. Nous avons considéré ainsi que la ligne qu’il avait développée dès cette période, avait permis la restauration du capitalisme en URSS.

 

Venons-en aux luttes d’aujourd’hui. Les questions débattues au cours de la révolution culturelle, la lutte entre la voie révolutionnaire et la voie bourgeoise qui s’appuie sur les experts de la bourgeoisie, (experts qui prétendre agir pour le bien de tous alors qu’ils ne font que défendre les intérêts de dominants) nous parait toujours d’actualité, certes de façon caricaturale, dans la « loi travail  ».

 

Ce n’est pas le lieu ici de rappeler l’ensemble des attaques que porte cette loi contre les acquis antérieurs des travailleurs, déjà fort malmenés depuis des décennies. Mais cette loi ne fait pas que toucher les travailleurs « au travail ». Cette loi traduit une vision de la société telle que la veulent les bourgeoisies en France comme ailleurs. Cette vision n’est pas nouvelle, puisque c’est celle que portent les dominants de tout temps.
Cette loi en attaquant de front la question du travail, en soumettant encore plus son exercice aux besoins du capital, soumet entièrement les travailleurs exploités aux aléas de la production capitaliste. Elle subordonne leur vie privée et sociale aux exigences de la production. Elle est destruction de la santé des travailleurs, destruction des relations sociales de solidarités par lesquelles de développe une société réellement humaine. Elle est destruction de tout avenir humain. Elle en ferait une guerre sans fin de tous contre tous, au grand bénéfice des exploiteurs.
Dans l’année passée après les attentats les média bourgeois ont dénoncé la barbarie, oubliant les ravages des guerres impérialistes dans le monde, mais oubliant aussi que « les dits barbares » sont le produit de la société que le capital façonne tous les jours.

 

La révolution culturelle nous donne à réfléchir et donc permet de donner sens à nos espoirs à nos révoltes, pour autant que l’on y cherche des enseignements, des leçons et non pas une modèle qu’il faudrait mécaniquement appliquer à la situation d’un pays impérialiste comme la France. Elle doit nous « inspirer » comme la Commune de Paris à inspirer la commune de Shanghai, ainsi que le montre Hongsheng Jiang

 

La révolution culturelle, Mai et juin 68, les mouvements actuels, exprimaient sous des formes différentes le refus de la société voulue par le capital. L’aspiration à une autre société, sans exploitation, sans assujettissement au travail aliéné, sans chômage, ou tous et toutes maîtriserions notre avenir et celui de la terre qui nous porte, est présente dans ces luttes.
Aujourd’hui, ouvriers et étudiant (maintenant largement issus de milieux populaires) peuvent se reconnaître et lutter ensemble.
Dans cette lutte nous avons des atouts que la Chine n’avait pas. La pénurie, qui frappe encore de nombreux exploités, n’est pas le fait qu’un développement insuffisant, car la productivité du travail a été largement développée. Elle n’est que la conséquence du mode de développement capitaliste. Ainsi, une société où nous pourrions travailler tous, moins et autrement, n’est pas une utopie
Néanmoins, les mouvements actuels expriment une grande défiance à l’égard des Partis, certes des partis bourgeois, mais aussi des partis se revendiquant du communisme. Ces derniers étant marqués par le mode de fonctionnement du PCF et des partis révisionnistes. La Révolution culturelle, son expérience, doit nous aider à penser le Parti communiste qui dans la société du 21ème siècle sera l’outil des exploités dans leur combat pour mettre fin à l’exploitation, comme le Parti communiste chinois avait entrepris de le faire avec quelques succès dans la société semi féodale - semi coloniale de la Chine du XXe siècle. Aussi traiterons-nous de la question du parti.


 

Intervention de Hongsheng Jiang

 

Qui suis-je ? J’ai grandi dans un village dans la Province de Hu’nan en Chine et actuellement je travaille comme Assistant Professeur à l’Université de Pékin. Ma mère était paysanne et mon père maître d’école. En 1965, le Prédisent Mao a écrit qu’il fallait « mettre l’accent sur le travail médical et de la santé dans les zones rurales » [1]. Suite à cette directive, plus de ressources médicales ont été destinées aux zones rurales. Le Président Mao a aussi soutenu la formation de millions de médecins aux pieds nus. Mon père a répondu à l’appel de Mao en apprenant la médecine traditionnelle chinoise par ses propres moyens afin d’utiliser ses connaissances pour soigner les paysans locaux gratuitement. Je peux donc dire que mon propre père était, lui-aussi, l’un des médecins aux pieds nus du Président Mao. Mon père, adepte de l’éducation populaire dans les zones rurales de la Chine pendant l’époque de Mao ainsi qu’un défenseur des Communes populaires et auteur de plusieurs poèmes qui chantaient les louanges de la Chine Nouvelle pendant l’époque de Mao, est mort à la cinquantaine sous Deng Xiaoping au moment où toutes les Communes populaires furent démantelées, l’éducation populaire remplacée par l’éducation d’élite et les services médicaux populaires remplacés par une industrie médicale vouée au profit.

 

J’ai étudié très dur à l’école primaire, au collège et au lycée pour éviter de passer ma vie entière à travailler comme la plupart de mes camarades de classe dans l’un des ateliers de misère qui se trouvent dans les zones côtières de la Chine, presque le seul débouché pour les jeunes de la campagne qui cherchaient une ‘vie meilleure’ plutôt que de rester travailler les champs. Aujourd’hui, les jeunes ruraux qui ne peuvent pas entrer à l’université ont un nouveau ‘choix’ ; devenir malfaiteur à la campagne ou en ville.

 

En 2001, déçu par mon travail, je me suis rendu aux États-Unis afin d’y poursuivre mes études où j’ai fini par décider d’étudier l’histoire de la Révolution Culturelle.

 

Écrire un livre sur la Révolution Culturelle était pour moi tout sauf un choix simple, car faire de la recherche sur ce thème est en soi une entreprise périlleuse. N’ayant pas vécu la Révolution Culturelle, rien que rassembler les faits historiques de base devient une tâche redoutable, rendue plus ardue encore du fait que les documents de l’époque ont été soit mis sous secret, soit détruits par le régime post-Mao. De surcroît, étudier la Révolution Culturelle d’un point de vue qui ne coïncide pas avec la thèse officielle et la position des intellectuels alignés sur le régime implique en quelque sorte se couper de l’élite chinoise.

 

Le facteur déterminant qui m’a poussé à étudier la Révolution Culturelle c’est l’effrayante réalité de la Chine, notamment à la campagne, y compris dans mon propre village. Après mon arrivée aux États-Unis, j’ai reçu diverses mauvaises nouvelles de ma famille, mes parents et mes voisinEs au village, jusqu’au point d’appréhender de décrocher le téléphone. La plupart des mauvaises nouvelles concernaient les gens du village partis travailler en ville. Par exemple, surmené par les patrons des usines privées, mon deuxième frère aîné avait souffert d’une maladie des lombaires et ma sœur a souffert de graves troubles psychiques à causes de ses expériences de travail dans les grandes villes et les médecins lui disent qu’il faudrait prendre des médicaments pour le reste de sa vie. Catastrophe après catastrophe, la sœur cadette de ma mère est morte d’un cancer au début de la cinquantaine, à peu près au même âge que mon père. Par manque d’argent, elle n’avait jamais passé de contrôle médical avant de contracter le cancer terminal. Ce genre de tragédie est loin de se limiter à ma propre famille ; c’est un signe de notre époque. De fait, les malheurs de ma famille sont largement moins tragiques que le sort que subissent d’autres à la campagne. Il y a même eu plusieurs cas dans mon propre villages et aux alentours de paysanNEs qui sont partiEs travailler en ville et qui sont revenuEs dans des cercueils.

 

Il faut savoir que les paysanNEs chinoisEs vivent sensiblement moins longtemps aujourd’hui sous le régime post-Mao, autour de 60 ans, soit 12 ans de moins qu’en ville, alors que vers la fin de l’époque de Mao la population chinoise vivait en moyenne jusqu’à 69 ans.

 

Je me suis donc posé la question : Pourquoi ? La situation était-elle pareille avant l’époque de la soi-disant Réforme ? Comment la Chine en était-elle arrivée à ce point ? Où allait-elle ? La réponse à ces questions ne se trouve pas facilement dans les livres publiés ouvertement, particulièrement ceux publiés en Chine, qui regorgent de mensonges et déformations au sujet de l’histoire et de la réalité de la Révolution Culturelle. Heureusement, internet est une source de nombreux récits et arguments autour de Mao et la période réformiste qui contredisent la version officielle présentée dans les livres, au cinéma, à la télévision, à la radio et dans les autres moyens de communication. Grâce à internet j’ai pu approfondir mes connaissances de l’histoire et de la situation actuelle de la Chine, puisque les ressources virtuelles m’ont fourni beaucoup de renseignements cachés par les médias officiels.

 

Étant donné le peu d’appréciations positives sur l’époque de Mao rapportées dans les livres, les journaux, au petit écran, etc., je ne comprenais pas comment il pouvait y avoir autant de chinoisEs sur la toile qui soutenaient Mao et la Révolution Culturelle. Et plus je connaissais l’époque de Mao, plus je m’intéressait à l’étude de la Révolution Culturelle, me plongeant sans cesse dans des débats avec d’autres passionnéEs dans le cyberespace où j’ai appris énormément grâce à la communauté des cybercitoyenNEs au fil des nuits blanches. C’est ainsi, en quelque sorte, que ce n’est pas moi qui ai choisi d’étudier la Révolution Culturelle, mais plutôt l’effroyable réalité sociale et économique de la Chine actuelle qui m’a poussé à poursuivre ce projet.

 

En recherchant sur la Révolution Culturelle, l’on doit affronter la pitoyable réalité de la Chine au long des trente dernières années et c’est là que surgissent plusieurs questions importantes : De quelle façon les masses du peuple chinois avaient-elles vraiment vécu la Révolution Culturelle ? Que pensent les gens du commun, pas seulement l’élite, qui avaient vécu la Révolution Culturelle lorsqu’ils reviennent et réfléchissent sur cette période de l’histoire ? Pourquoi et à quel point les interprétations de la Révolution Culturelle sont-elles utiles pour saisir la réalité de la Chine aujourd’hui et pour ré-envisager son futur ? Dans un certain sens, le processus qu’implique répondre à ces questions sur la Révolution Culturelle est un processus de récupération d’une histoire perdue, voire supprimée. C’est l’accroissement actuel de la lutte du peuple travailleur qui m’a fait centrer mes études de la Révolution Culturelle sur les mouvements de masses, notamment les mouvements ouvriers, dont le plus important, et pourtant le moins étudié, eut lieu à Shanghai. C’est ainsi que, écrit du point de vue politique et historique, mon projet consiste à dresser un portrait détaillé de la Révolution Culturelle à Shanghai entre 1966 et 1967, se penchant sur cette période mouvementée du point de vue des activités collectives des masses, y compris les ouvriÈREs, les étudiantEs, les intellectueLLEs et les paysanNEs, tant ceux et celles du camp conservateur que du camp rebelle.

 

Lors de la guerre franco-allemande de 1871, les travailleuSEs de Paris se sont soulevéEs contre le gouvernement bourgeois et ont établi la Commune de Paris que les auteurs marxistes classiques ont célébré comme un exemple à suivre, ne soit-ce qu’embryonnaire, de la dictature du prolétariat. Selon Marx [2], les principes de la Commune de Paris résidait dans le fait que : « la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l’Etat et de la faire fonctionner pour son propre compte ». Des élections générales et l’abolition de l’armée permanente étaient considérées par les auteurs marxistes classiques comme étant les traits définitoires de l’organe de pouvoir établi par la Commune de Paris. Suite à sa défaite, l’interprétation marxiste de la Commune de Paris fut largement répandue à travers le monde, y compris en Chine.

 

Au long du vingtième siècle, la Chine a été riche en expériences théoriques et pratiques bâties sur le modèle de la Commune. En 1927, les révolutionnaires chinoisEs ont établi des organes de pouvoir dans deux grandes villes, Shanghai et Guangzhou [3], malheureusement brutalement démolies par les troupes nationalistes. Entre fin 1966 et début 1967, inspiréEs par la théorie maoïste de la révolution continue [4] et la vision d’un état structuré selon le modèle de la Commune, les ouvrièREs de Shanghai, main dans la main avec les étudiantEs et les cadres et dirigeants du Parti rebelles, ont pris l’initiative audacieuse de renverser l’ancienne structure de pouvoir d’en bas, en établissant le 5 février 1967 la Commune de Shanghai lors de la Tempête de janvier prenant comme exemple la Commune de Paris. C’est l’avènement et le remplacement de la Commune de Shanghai par le Comité Révolutionnaire de Shanghai pendant la Révolution Culturelle, organe de pouvoir local unique en son genre, qui constitue le thème principal de mes études sur la Révolution Culturelle.

 

La Révolution Culturelle était une révolution sociale et politique dont le but était de transférer le pouvoir aux masses. La Commune de Shanghai et son successeur, le Comité Révolutionnaire de Shanghai, qui disparait tragiquement en 1967 dans le coup despotique qui visait des millions d’activistes à faveur de la Révolution Culturelle, n’étaient pas une farce, comme le voudraient les régimes post-Mao. Bien au contraire, il s’agissait de la lutte puissante et héroïque de la classe travailleuse pour arracher le pouvoir d’état à ceux qui le détenaient et qui ne servaient plus le peuple. Il s’agissait de la continuation organique des révolutions prolétariennes en Chine et ailleurs, surtout la Commune de Paris et la Révolution bolchevique. Le mouvement de la Commune lancé en 1967 avait facilité des changements révolutionnaires dans la société chinoise et dans la structure de l’état. La Commune de Shanghai et le Comité Révolutionnaire de Shanghai s’étaient développés en tant qu’organes de direction qui ne tenaient pas d’élections générales et qui n’avait pas aboli l’armée permanente, ne reproduisant donc pas exactement la Commune de Paris. Or, en comparaison avec les anciens organes de pouvoir qui existaient à Shanghai, ils coïncidaient largement avec les principes de la Commune de Paris en écrasant l’Ancien et en établissant le Nouveau. Certaines des mesures créatives prises, « les nouvelles choses socialistes » [5], anticipaient les caractéristiques d’un état communal, un état qui, même s’il n’éradique pas la lutte des classes, sert à amorcer le long processus du dépérissement de l’état.

 

L’une des leçons révolutionnaires les plus importantes qu’il faut tirer de la Révolution Culturelle c’est que pendant cette période les représentantEs des organisations de masses étaient déléguéEs dans les organes de pouvoir à tous les niveaux de la société où leur rôle ne se limitait pas à proposer des suggestions aux dirigeants du Parti et aux organes de pouvoir en place, sinon qu’il avaient saisi le pouvoir par eux-mêmes et ils avaient gouverné. Pendant la Révolution Culturelle, l’organe de pouvoir de la Commune de Shanghai, ainsi que ceux du Comité Révolutionnaire de Shanghai par la suite, intégrèrent de nombreusEs déléguéEs de plusieurs organisations de masses, le plus souvent éluEs ou recommandéEs par les membres de leur propre faction. De cette façon, même si la Commune de Shanghai et le Comité Révolutionnaire de Shanghai ne tenaient pas d’élections générales, la plupart de son personnel était choisi démocratiquement au sein de leurs propres organisations. Après la prise totale de pouvoir par les organisations rebelles de masses, de nouveaux organes de pouvoir ont été créés basés sur la Triple union des rebelles, des cadres révolutionnaires et des représentantEs de l’APL. Au sein de ces nouveaux organes de pouvoir les déléguéEs des organisations de masses se trouvaient parfois en majorité dans cette Triple union., comme, par exemple, à Shanxi ou à Shanghai où la moitié des fonctionnaires dans les nouveaux organes de pouvoir après la prise de pouvoir étaient des déléguéEs des organisations de masses, tel que le préconisait Mao Zedong afin d’atteindre le dépérissement du Parti de la bureaucratie gouvernementale, en passant par l’intégration dans les nouveaux organes de pouvoir de plus de déléguéEs provenant directement des rangs des masses.

 

Pendant la Révolution Culturelle, pour la première fois, le gouvernement se trouvait sous le contrôle et supervisé directement par les masses. Grâce au puissant soutien des organisations de masses, les masses, particulièrement celles d’extraction ouvrière, pouvaient non seulement diriger les usines mais aussi exercer un contrôle direct sur les organes de pouvoir de l’état. Il s’agissait de « [l’]adoption immédiate de mesures afin que tous remplissent des fonctions de contrôle et de surveillance, que tous deviennent pour un temps ‘bureaucrates’ et que, de ce fait, personne ne puisse devenir ‘bureaucrate’ ». (Lénine, L’état et la révolution.) Les organes de masse étaient, donc, en quelque sorte le véhicule révolutionnaire de la révolution continue et les gardiens de la révolution.

 

Néanmoins, après avoir fonctionné pendant un certain temps pendant la Révolution Culturelle, presque toutes les organisations de masses furent démantelées après la création des Comités Révolutionnaires. Malheureusement, à cause de la mise sous secret et la destruction des documents officiels de la Révolution Culturelle par les régimes postérieurs, les raisons et les procédures qui ont mené au démantèlement des organes de masses demeurent en suspens. D’après mes recherches, l’attitude de la direction maoïste envers cette question aurait pu subir un changement progressif au fil du temps. Quoi qu’il en soit, vers la fin de 1968, la plupart des organisations de masses avait été démantelées. Le 28 août 1969, après une série d’escarmouches entre les troupes chinoises et soviétiques dans les zones frontalières, la Chine se trouvait face à la menace grandissante d’une guerre déclarée avec l’Union Soviétique. C’est dans ce contexte que le Comité Central du Parti Communiste Chinois ordonna le démantèlement de toutes les organisations de masses formées de deux ailes et déclara illégal la création de nouvelles organisations. Sans le puissant soutien des organisations de masses, beaucoup des représentantEs rebelles dans les Comités Révolutionnaires locaux se sont fait facilement virer par les autorités militaires et du Parti sous un prétexte quelconque. Même dans les cas où les représentantEs rebelles arrivèrent à maintenir leurs postes dans les Comités Révolutionnaires, le plus souvent ils étaient assignés aux positions subalternes sans pouvoir réel. Lors des mouvements politiques ultérieurs, tels que la Campagne Pilin Pikong [6] de 1974 ou la Lutte contre le vent déviationniste de droite [7] de 1975-1976, beaucoup de dirigeantEs rebelles espéraient pouvoir lancer une contre-offensive contre les droitistes au sein du Parti et de l’APL mais ne comptaient plus sur l’appui des organisations de masse qui avaient été dissoutes au préalable. Contrairement à ce qui s’était passé en 1966 et 1967 quand ils jouissaient de l’appui de l’organe de masse, ils n’étaient plus en mesure de rallier les larges masses. Même si les dirigeantEs rebelles ont effectivement pu se servir de certains structures organiques, tel que l’Assemblée des TravailleuSEs [8], afin de faire valoir leurs intérêts, cette façon de mobilisation qui reposait sur les membres qui avaient formé le noyau des anciennes organisations de masses, s’avérait moins efficace par rapport au mode d’organisation antérieure basée sur les équipes de lutte étant donné le manque de participation des larges masses du peuple. Quand les droitistes montèrent leur coup en 1976, les rebelles gauchistes n’avaient aucun moyen d’organiser rapidement une puissance résistance, dû en partie au démantèlement des organisations de masse très puissantes d’antan. Voici l’une des raisons principales suite au coup de d’état de 1976 pourquoi la gauche n’était pas capable de lancer une contre-offensive efficace pour sauvegarder le socialisme et le communisme. Mais il ne faut pas voir la Révolution Culturelle comme une triste histoire ancrée dans un passé révolu. Il faut, au contraire, apprendre d’elle en tirant des leçons de la Révolution Culturelle basée sur la théorie de la révolution continue, et je suis convaincu que les révolutionnaires pourront agir ainsi plus efficacement à l’avenir.

 

Voici la présentation de ma personne et de mon projet. Je vous remercie de votre écoute.


 

Conclusion de l’OCML VP

 

Une des grandes leçons de la Révolution chinoise, c’est que le succès de la révolution à venir dépend de ce qu’on fait dès aujourd’hui, même dans une situation non révolutionnaire. Les fondations d’un pouvoir ouvrier futur seront d’autant plus solides qu’on aura su construire l’unité des exploités, et renforcer la classe ouvrière pour diriger la nouvelle société, bien plus loin que la direction d’une lutte ou d’une grève.

Nous insistons pour rappeler que ce fut une révolution et non une farce, ni une lutte personnelle de Mao pour son propre pouvoir. Après la restauration capitaliste en URSS, les maoïstes lancent cette grande révolution, véritable mouvement de masse, temps de débats politiques, guerre entre deux classes.

Il ne suffit pas de faire la révolution pour réussir à gagner. On l’ a vu avec cette conférence, une autre bataille commence pour continuer à aller de l’avant et mettre les intérêts des ouvriers et prolétaires au cœur du projet révolutionnaire. Les bourgeois et réactionnaires vaincus ne lâcheront pas l’affaire et ils chercheront à réinvestir les lieux de pouvoir : si le pouvoir est rouge, ils se diront rouges. Deng Xiaoping a mis 20 ans à reprendre le pouvoir entre 56 et 76, preuve que les bourgeois exploitent la moindre parcelle de liberté qu’on leur laisse.

Ce fut une révolution portée par le mouvement de masse, dirigée par les communistes révolutionnaires par des militants communistes révolutionnaires, en lien avec le mouvement de masse où l’objectif était  : le pouvoir pour marcher au communisme. Pas seulement : la lutte économique, la grève générale, la nationalisation, ou des mesures favorisant la démocratie directe. Mais une lutte pour le pouvoir, celui d’instaurer une dictature du prolétariat, c’est-à-dire une dictature intégrale sur la bourgeoisie qui n’a pas disparu et ne lâche jamais l’affaire. La dictature du prolétariat, c’est la garantie de la démocratie prolétarienne pour la majorité d’entre nous.

Nous sommes marxiste-léniniste et maoïste et nous assumons cet héritage politique. Non seulement nous assumons le passé communiste, mais nous le revendiquons, avec ses échecs et ses succès. La théorie de la révolution, du socialisme, n’existe que depuis un siècle. Il nous faut la faire vivre, et non l’enterrer. C’est un savoir qu’on débat comme aujourd’hui de manière internationale et qui doit se transmettre d’une génération combattante à l’autre. Les Chinois, des décennies après la Commune de Paris s’en sont inspirés pour mener la GRCP.

Et la GRCP nous nous inspire aujourd’hui à propos de notre propre situation politique. Elle indique dès aujourd’hui le travail d’éducation politique populaire qu’il faut réaliser, l’importance vitale de la réflexion sur la société que l’on veut construire sur tous les sujets : l’écologie, la nature de la production, les besoins à satisfaire, la division du travail, le rôle des cadres et des experts, les femmes, le racisme, l’homophobie.
La GRCP nous transmet un savoir précieux pour construire le Parti !
Nous disons : sans Parti communiste révolutionnaire, on reste à la merci des évènements et des organisations bourgeoises ou réformistes. Le prolétariat est fort uniquement lorsqu’il est indépendant et organisé.
En France, il faut un parti capable de disputer le pouvoir à la bourgeoisie et à le lui arracher demain, de centraliser et discuter des expériences.

Sans Parti communiste révolutionnaire, nous ne pourrons mener au bout tous ces combats. Ils resteront éclatés et les acquis ne durent jamais longtemps sous le capitalisme. Regardons encore la nouvelle attaque sur nos conditions de travail. Le capitalisme est en crise comme jamais, il n’a plus de miettes à distribuer.

Ce que nous a appris l’histoire des révolutions, c’est que les communistes se font voler leur parti qui est accaparé pour des néo-bourgeois et la bureaucratie devient un instrument d’oppression. Comme on l’expérimente déjà dans toute organisation de masse, syndicale ou de quartier, soit on maintient une lutte politique vivante pour l’émancipation et la direction prolétaire, soit la voie réformiste, petite-bourgeoise ou bourgeoise l’emporte... et les représentants ou délégués sont au final toujours majoritairement issus de la petite-bourgeoisie et pas de la classe ouvrière.

Nous voulons construire un Parti pour porter le projet communiste, et élargir le pouvoir au plus grand nombre. C’est pourquoi nous développons aussi et en même temps les organisations de masse qui sont essentielles, où on peut construire une unité populaire contre le capital, car toutes et tous ne se revendique pas du communisme.

Nous avons appris beaucoup de choses sur le Parti avec la Révolution Culturelle. Pour nous, l’expérience n’invalide par la forme Parti ou la nécessité du pouvoir d’Etat, comme pour Alain Badiou ou d’autres courants.

Seule la lutte politique permet de vérifier si celles et ceux qui travaillent sont bien celles et ceux qui dirigent ! A fortiori dans un pays impérialiste, au cœur de la bête impérialiste, la centralité ouvrière est la première clé  !

Pas par fanatisme de la clé à molette et du bleu de travail mais parce que nous affirmons que le prolétariat est la seule classe révolutionnaire jusqu’au bout. Parce que sa condition concentre toutes les aliénations et toutes les oppressions que subissent les hommes et les femmes exploités. Elle doit être le moteur du processus révolutionnaire, pour ne pas s’arrêter en cours de route, et seulement aménager l’exploitation. Le prolétariat ne fera pas la révolution tout seul, mais il en dirige le processus avec tous ceux et celles qui souffrent et se battent dans cette société. Pas d’unité populaire sans centralité ouvrière !

L’égalité se construit, prendre ses affaires en main se construit. On voit que ça prend du temps pour les prolétaires avant d’oser parler en public, affirmer son point de vue. D’où l’importance de la formation, contre la délégation de son savoir et son expérience au profit des experts ou des leaders politiques bourgeois ou petits-bourgeois. Décidons par nous-mêmes ! Nos élus doivent être élus et révocables et non devenir des « barons  » de la lutte des classes, immuables et bureaucrates.

Dire que la classe ouvrière doit diriger en tout, ça signifie que sur tous les sujets, l’intérêt des prolétaires doit être au premier plan sur tous les sujets économiques, politiques, idéologiques. Car Il nous faut des révolutions culturelles contre les mentalités racistes, sexistes, homophobes. Il en faut des révolutions culturelles contre les valeurs et mentalités héritées du capitalisme. Il faut une révolution culturelle contre les positions chauvines et le « produisons français  », contre l’impérialisme qui détruit nos vies et la planète.

Refusons la division sociale du travail : imposons aux cadres et intellos de travailler à la production ( pas par esprit de revanche) mais pour libérer du temps aux travailleurs pour s’ éduquer, diriger, dans la production comme dans la politique. C’est le sens de notre mot d’ordre : travailler tous, moins et surtout autrement.

Refusons la division sexuelle du travail : « ce qu’on homme fait, une femme peut le faire, ce qu’une femme fait, un homme doit le faire » disait les maoïstes !

Refusons la division ethnique et internationale du travail issu du long passé colonial et raciste de la France et le partage impérialiste du monde.

La Révolution Culturelle est l’expérience pour nous la plus avancée du mouvement communiste, elle a nourri la richesse de la ligne politique de notre organisation. Qu’on soit chinois, africain, palestinien, kurde, grec ou français, il y a toujours deux voies dans la lutte des classes, deux camps, ou celui de la bourgeoisie, ou celui du prolétariat, même après la prise du pouvoir. Donc on lâche rien sur rien, ni contre les bourgeois, ni sur les contradictions entre nous et au sein du peuple.

Le socialisme ne viendra pas tout seul. Aux exploités du monde entier, nous disons il faut nous éduquer, nous disons votre combat et notre combat, rejoignez-nous pour construire ensemble le pouvoir ouvrier. Merci aux communistes, aux ouvriers et paysans chinois, et à Hongsheng Jiang de nous faire progresser. Contre l’impérialisme français en Chine, soyons solidaires de leurs combats !

Vive la Commune de Paris, Vive la Commune de Shanghai, Vive la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne et Vive le Communisme !

[1Directive sur la santé publique du 26 juin 1965.

[2Manifeste du Parti Communiste, Préface à l’édition allemande de 1872.

[3Connu auparavant comme Canton.

[4En chinois 继续革命 (jìxù gémìng).

[5En chinois 新生事物 (Xīnshēng shìwù), soit, entre autres, les médecins au pieds nus, mouvement d’envoi des zhiqing à la campagne, les comités révolutionnaires, etc.

[6La campagne de critique de Lin Biao et de Confucius (批林批孔运动Pī Lín Pī Kǒng yùndòng).

[7把反击右倾翻案风的斗争 (Bǎ fǎnjí yòuqīng fān’àn fēng de dòuzhēng).

[8共大会 (Gong Dàhuì).

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