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Où va la Palestine ? - Interview de Khaled Barakat

Partisan Magazine N°1 - Janvier 2015

Egalement en anglais https://ocml-vp.org/article2860.html

Dans cette interview, Khaled Barakat, écrivain palestinien et coordinateur de la campagne pour la libération d’Ahmad Sa’adat, présente les positions du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP). Elle a été réalisée en novembre 2014.
Le FPLP a longtemps été la deuxième organisation du mouvement national palestinien en terme d’importance après le Fatah de Yasser Arafat. Il a été fondé en 1967, notamment par Georges Habache (mort en 2008), sur une ligne d’inspiration marxiste-léniniste et nationaliste arabe. Georges Ibrahim Abdallah, avant de rejoindre les Forces Armées Révolutionnaires Libanaises (FARL), a été membre du FPLP au Liban.
A partir des années 1980-90 le FPLP a progressivement perdu son influence et a eu de nombreuses hésitations politiques quant à son attitude vis-à-vis de l’Autorité Palestinienne et de la défense du projet historique de libération de la Palestine.
Aujourd’hui, il reste la principale organisation progressiste palestinienne et semble connaître un nouveau souffle, tant dans l’affirmation d’une ligne politique plus nette que par sa présence en Palestine occupée et dans les camps de réfugiés.
Donner la parole à la résistance progressiste palestinienne c’est notre responsabilité de militants internationalistes. Nous partageons le point de vue général de Khaled Barakat. Il affirme des positions claires en défense du programme historique du mouvement palestinien (libération de toute la Palestine, droit au retour de tous les réfugiés palestiniens, nécessité de la résistance armée) contre l’impérialisme et les régimes réactionnaires arabes, repousse l’option de la capitulation à travers le ‘processus de paix’. Mais sa caractérisation du Fatah et du Hamas est ambiguë, et il appelle à un ‘front national uni’ avec ces forces dont le contenu n’est pas clair. Sa conception de la solidarité internationale met en avant des aspects très justes, l’unité de la lutte du peuple palestinien avec celle du peuple arabe et de tous les opprimés du monde, son lien avec la lutte contre le racisme et pour les droits des migrants dans les pays impérialistes.

 

Quelle est la situation dans les territoires palestiniens occupés depuis la dernière attaque sioniste contre Gaza cet été ?

 

La situation en Palestine après l’offensive est la même qu’auparavant. La résistance contre l’occupation de la Cisjordanie continue, en même temps que les mouvements à Jérusalem et dans les territoires occupés de 1948 (‘Israël’) prennent de l’ampleur. Le siège de notre peuple à Gaza se poursuit et s‘accroît depuis l‘agression, avec pour objectif de forcer les Palestiniens à des concessions politiques et à saboter les avancées obtenues par le peuple et la résistance en repoussant l’attaque sioniste.

 

Au long des dernières semaines, nous avons assisté à un accroissement de la résistance populaire à Jérusalem et aux alentours ainsi qu’en Cisjordanie. Israël a poursuivi sa politique de meurtres et assassinats ciblés, dont l’assassinat du camarade Mohammed Jawabreh, 21 ans, tué à bout portant par les forces d’occupation dans le campement de réfugiéEs d’Al-Arroub.
Les arrestations en masse continuent et plus de 6 200 prisonnièrEs politiques palestinienNEs se trouvent encore dans des prisons de l’occupation et des centaines d’autres sont détenuEs sans inculpation ni procès en régime de détention administrative. En plus de l’escalade des assassinats ciblant la résistance palestinienne, on constate une politique d’arrestations en masse qui vise à écraser l’insurrection populaire qui ne cesse de croître. Les prisonnièrEs palestinienNEs se trouvent à la tête de la lutte pour la Palestine, y compris le camarade emprisonné Ahmad Sa’adat, secrétaire général du Front Populaire pour la Libération de la Palestine. D’ancienNEs prisonnièrEs ont également joué un rôle important dans la montée de la résistance en faisant face aux militaires et aux colons qui occupent la Cisjordanie et Jérusalem.

 

Sur le plan politique, l’Autorité Palestinienne (AP) parle beaucoup de recourir au Conseil de Sécurité des Nations Unies afin de fixer un ‘calendrier’, comme ils disent, pour mettre fin à l’occupation. Nous ne faisons pas confiance à l’AP et n’attendons aucun résultat positif de la part du Conseil de Sécurité de l’ONU, sachant que les États-Unis opposeront leur veto à toute résolution palestinienne dans le Conseil de Sécurité. En même temps, nous cherchons à intensifier la confrontation envers l’état d’occupation sur tous les plans, sans exclure les voies officielles et diplomatiques, y compris en s’adressant à la Cour pénale internationale afin d’exiger la poursuite des criminels de guerres sionistes. Il existe une alternative claire et nécessaire face à la voie inefficace et dangereuse de la négociation qui n’a mené nulle part pour le peuple palestinien, tout en servant de couverture pour poursuivre l’occupation et le racisme sionistes.

 

Au niveau interne, les différends entre le Fatah et Hamas persistent. Les États-Unis et Israël, voire même l’Egypte, prétendent refaire sombrer les palestinienNEs dans des conflits internes plutôt que de s’affronter à l’occupation. La soi-disant ‘communauté internationale’ cherche également à tromper des palestinienNEs et à les manipuler en maintenant leur mainmise sur les fonds de reconstruction de Gaza, tout en exploitant la situation en Palestine et les besoins du peuple palestinien dans le but de saboter la souveraineté de la Palestine et les victoires arrachées par la résistance sur le terrain contre les armées d’occupation. En fin de compte, tout reste pareil : l’occupation continue et la résistance continue.

 

Le FPLP est aujourd’hui l’une des rares organisations de gauche progressistes et révolutionnaires qui subsistent en Palestine. Quels sont ses objectifs ? Quelles positions défend-il pour le peuple palestinien ?

 

Le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) est l’une des rares organisations de gauche révolutionnaires qui existent non seulement en Palestine mais aussi dans le Monde arabe et dans toute la région. Certaines personnes considèrent le FPLP comme une ‘faction’. Or, nous ne sommes pas une faction : nous sommes un parti politique révolutionnaire ayant de profondes racines historiques qui remontent jusqu’à 1948. Le FPLP se fonda officiellement le 11 décembre 1967, mais ce jour est le résultat d’un très long parcours de lutte au sein du Mouvement nationaliste arabe avec une riche et longue histoire de lutte au Yémen, au Bahreïn, au Koweït, en Syrie, au Liban, en Palestine et en Egypte. Quant au FPLP, il s’agit donc d’un parti révolutionnaire arabe avec une identité internationaliste très claire. Les analyses du FPLP par rapport au conflit avec l’ennemi sioniste (‘Israël’) et la nature de l’ennemi qui se trouve en face restent les mêmes : les peuples palestinien et arabe, ainsi que les travailleurs et tous les peuples opprimés du monde sont confrontés à l’impérialisme, au sionisme et à la réaction dans la lutte de libération.

 

Beaucoup d’événements et de changements ont eu lieu depuis la création du FPLP, mais la nature d’Israël reste la même et notre peuple n’a toujours pas conquis ses droits, ces mêmes droits que défend le FPLP depuis sa création. Loin de demeurer inchangée, la guerre impérialiste contre la région n’a fait qu’empirer. Et les régimes impérialistes, sionistes et arabes réactionnaires dépendent de plus en plus des relations qui existent entre eux pour maintenir leur domination, leur hégémonie et leur profit. Voici le camp ennemi qu‘affronte le mouvement de libération palestinien et cela n’a pas changé. D’autre part, notre camp, le camp de la révolution, le camp socialiste, a souffert un important revers et dans le monde entier la gauche a vécu une profonde crise et a dû surmonter des défis extraordinaires, notamment à la fin des années 1980 et dans les années 1990. Mais maintenant nous commençons à entrevoir la fin d’une époque marquée par le recul et le début d’une nouvelle période où les forces révolutionnaires de gauche se relèvent et vont de l’avant.

 

En ce qui concerne la question de la Palestine, le FPLP réaffirme son engagement à libérer le territoire entier de la Palestine du Jourdain jusqu’à la Méditerranée du projet de colonisation sioniste d’‘Israël’, prônant l’établissement d’une nouvelle société démocratique où tout le monde en Palestine peut vivre de façon égale sans égard à sa race, sa religion, son sexe, son genre, sa couleur de peau ou son orientation sexuelle. Une telle société ne pourra voir le jour qu’à deux conditions : le droit au retour des réfugiéEs palestinienNEs et le démantèlement de l’État sioniste. Pour le FPLP, ainsi que pour l’ensemble du peuple palestinien — réfugiéEs pour la plupart — le droit au retour des réfugiéEs palestinienNEs dans leurs maisons et terres d’origine se trouve au centre de la lutte pour la Palestine.

 

Pour ce qui est des positions quotidiennes et tactiques du FPLP, d’une part nous œuvrons encore pour reconstruire les institutions nationales de la Palestine, et d’autre part nous faisons face à l’occupation. Ainsi, notre tâche est double, les deux aspects étant en relation dialectique. Nous ne remporterons la victoire contre l’occupation qu’à condition de pouvoir nous appuyer sur un front uni interne fort et nous ne parviendrons pas à disposer d’un front uni interne fort si nous ne nous centrons pas sur la résistance à l’occupation. La division qui existe au sein de la politique interne palestinienne ne réside pas dans le clivage entre le Fatah et Hamas. La vraie division importante, le vrai conflit, se trouve entre deux voies : la voie des capitalistes compradores palestiniens qui profitent des accords avec l’occupant ; et la voie des classes populaires qui ne gagneront leur liberté qu’à travers la lutte.

 

Le Fatah et Hamas se battent pour se présenter comme étant le seul représentant légitime du peuple palestinien. Le Fatah déclare publiquement que l’OLP est le seul représentant légitime du peuple palestinien, mais en réalité le Fatah se comporte comme s’il était à lui tout seul l’OLP, en monopolisant et contrôlant toutes les institutions, les ambassades, le gouvernement et les structures de gouvernance, les finances et la sécurité. D’autre part, les intentions de la base sociale et les combattants de Hamas sont bonnes, et le problème se trouve dans certaines tendances qui existent parmi les dirigeants de Hamas qui comptent sur des puissances de la région pour servir de médiateurs entre la direction du mouvement de Hamas et la Maison Blanche.

 

Nous avons dit au Fatah et à Hamas que la voie correcte est celle du peuple palestinien, la voie de la libération de la Palestine. Construisons donc notre front national uni, unifions nos institutions, impliquons-nous dans l’atelier national qui permettra d’ouvrir de nouvelles perspectives pour notre peuple. Ils disent qu’ils sont d’accord avec le FPLP, ils nous le répètent lors des réunions mais, une fois la salle abandonnée, ils reprennent la mauvaise direction.

 

Qu’attendez-vous du mouvement de solidarité internationale, notamment en France ?

 

Nous sommes conscients que le mouvement de solidarité n’est pas un ensemble uniforme, hébergeant différents courants politiques. Maiscela n’a pas d’importance quand il s’agit des droits du peuple palestinien. Nous espérons que chaque courant qui appuie la Palestine soutiendra également les droits, tous les droits sans exception du peuple palestinien, sans choisir un droit plutôt qu’un autre et sans donner de priorité à une campagne donnée en passant d’autres sous silence.

 

Quand il s’agit de la solidarité avec notre lutte, je ne conçois pas, par exemple, un frère ou une sœur algérienne en France comme tout simplement ‘solidaire’ avec le peuple palestinien. Leur cause est la même que la nôtre, puisqu’ils ont lutté pour libérer leur terre arabe du colonialisme. La communauté palestinienne en France n’est pas séparée du peuple palestinien, pas plus que la communauté arabe en France est séparée du peuple arabe. La lutte pour la libération de la Palestine est aussi leur cause et non pas une question étrangère à laquelle ils prêtent leur soutien. Ils se trouvent à la tête de cette lutte : il s’agit de leur marche vers la libération. Le fait de vivre en diaspora en France n’enlève rien à cette réalité.

 

Je ne peux pas juger un groupe révolutionnaire qui travaille pour la libération de George Ibrahim Abdallah de la même façon qu’un groupe qui cherche à tisser des relations avec l’ambassadeur de l’Autorité Palestinienne. Les gens ont le droit de choisir leurs campagnes, leur tactique et leur méthode de lutte chez eux, mais le peuple palestinien mesure la solidarité en fonction du soutien aux pleins droits du peuple palestinien dans le discours et les actions du mouvement de solidarité. Plus on fait allégeance et promeut les pleins droits du peuple palestinien et la libération de la Palestine, plus on est proche du FPLP.

 

Nous savons, d’autre part, que les groupes de solidarité reflètent également la situation politique en Palestine. Certains groupes s’inclinent politiquement plus vers la position de l’Autorité Palestinienne (AP) : tout en s’appropriant l’étiquette de groupes de solidarité avec le peuple palestinien ils ont sciemment pris la décision de s’aligner avec l’AP. D’autres se considèrent plus proches des forces islamistes ou de l’Initiative nationale. Cela va de soi et n’est que le reflet de leurs prises de position internes en France. On ne peut être libéral en France et révolutionnaire en Palestine et vice versa.

 

Ce que nous attendons du mouvement de solidarité en France, c’est de lutter contre le racisme en France, de soutenir la justice pour les migrantEs et les réfugiéEs et leurs droits, de faire pression sur le gouvernement français pour qu’il mette fin à sa complicité et sa collaboration avec les sionistes et de tout faire pour se rallier autour des deux mots d’ordre ‘Boycott d’Israël’ et ‘Soutien à la résistance palestinienne’. Voici les deux plus petits dénominateurs communs pour une action unie.

 

Le mouvement ouvrier en France n’assume pas sa responsabilité de solidarité internationale avec les travailleurs et travailleuses en Palestine. Il y a eu d’énormes progrès à cet égard en Afrique du Sud et ailleurs et il faut que les fédérations ouvrières en France entreprennent un boycott d’Israël et soutiennent les travailleurs et travailleuses palestiniennes. Ainsi, le mouvement étudiant doit prendre position du côté des étudiants en Palestine et les universités françaises doivent devenir des centres de solidarité avec le peuple palestinien. Nous n’entendons pas les voix qui devraient surgir dans le parlement français pour clamer la rupture des relations avec Israël et la mise en œuvre des droits des PalestiniennEs. Au contraire, il n’y a que du silence tandis que la France joue un rôle actif en soutenant la guerre sioniste contre notre peuple et maintient incarcérés en France des prisonniers de la cause palestinienne.

 

Avec sa longue histoire de politique colonialiste et impérialiste, particulièrement dans notre région, la France reste aujourd’hui une puissance impérialiste et coloniale. La France joue un rôle nuisible en Irak, en Syrie, au Liban, en Palestine, au Mali et dans le Golfe.
La France soutient des groupes armés réactionnaires dans la région tout en réprimant des groupes révolutionnaires palestiniens qui figurent sur la liste des soi-disant ‘terroristes’ de l’Union Européenne. Elle continue également à employer la force de l’État pour briser la libération de la Palestine comme l’on peut voir dans l’incarcération de Georges Ibrahim Abdallah, incarcéré dans les prisons françaises depuis 31 ans. Il faut que le mouvement de solidarité avec la Palestine en France se batte pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah.

 

Donc, nous avons notre lutte en Palestine et vous avez la vôtre en France. Chaque victoire des peuples opprimés et exploités partout dans le monde est aussi la victoire de la Palestine. En réalité, il s’agit de la même lutte.