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La décroissance, une alternative ?

De nos jours, tout le monde s’accorde à dire que la crise écologique est bien là, et que cela ne va pas s’arranger. Si le constat est largement partagé, les solutions avancées pour sortir de cette crise sont évidemment un sujet de débat. Nous avons décidé de nous intéresser aux idées de la décroissance, qui se pose comme une alternative radicale au capitalisme ayant pour objectif de sauvegarder la planète. Cela nous semblait important car ces idées influencent pas mal de monde et il n’est pas rare de rencontrer des anti-capitalistes se revendiquant « décroissants ».
Parler de décroissance c’est plutôt parler d’une mouvance que d’un courant politique ou d’une idéologie. En effet on retrouve derrière cette « appellation » des personnes avec des divergences philosophiques et politiques profondes. On parlera ici uniquement des idées défendues par des décroissants « de gauche » qui remettent en cause le capitalisme.

 

On peut situer les origines théoriques du concept dans les années 1970. Trois publications de cette époque font ainsi référence : le Rapport Meadows (1971), La convivialité d’Ivan Illich (1973) et surtout Demain la décroissance de l’économiste Nicholas Georgescu-Roegen. C’est dans ce recueil d’articles publié en France en 1979 que l’on voit apparaître pour la première fois le concept de décroissance. Voilà pour les origines.
Le postulat de départ des penseurs de la décroissance, c’est qu’il ne peut y avoir de croissance économique infinie dans un monde où nous disposons de ressources qui ne sont pas infinies. Rappelons ici que la croissance économique est le principal indicateur de la bonne santé d’une économie, et donc d’une société, pour les penseurs et décideurs bourgeois.
Ce postulat découle de l’analyse qu’ils font du système capitaliste des années 70 :
- Durant les « Trente Glorieuses », la production et la productivité des pays dits « riches » (Europe Occidentale, Amérique du Nord, Japon) ont très fortement augmenté, tout comme la consommation de biens et de services dans ces pays.
- Dans un même temps, les inégalités entre le « Nord » (pays riches) et le « Sud » (pays pauvres) augmentent, notamment du fait de l’exploitation des richesses des pays pauvres par les pays riches.
- Du fait de cette croissance économique, les dérèglements planétaires (pollution, destruction des écosystèmes, épuisement des ressources...) se multiplient.

 

Ce constat les conduit à dire que la croissance économique aura raison de notre planète. Il y a donc urgence à « se désintoxiquer de la croissance », qui est identifiée comme étant le principal problème de notre société. La remise en cause de la croissance comporte plusieurs aspects.

 

Un rejet du « productivisme », et de la « société de consommation »

 

Pour les décroissants, on produit et consomme beaucoup trop. Et ce « mode de vie occidental », caractérisé par le gaspillage et la consommation de biens inutiles, n’est pas extensible à l’ensemble de la planète. Ce rejet du productivisme est bien souvent associé d’un rejet de l’industrialisation : comme le dit clairement Paul Ariès « Il faut casser la société productiviste, c’est-à-dire détruire la société industrielle » [1]. Il faut par exemple sortir de l’agriculture intensive et préférer l’agriculture paysanne, distribuer les produits via des AMAP [2] plutôt que dans des supermarchés. C’est aussi promouvoir l’artisanat ou encore préférer le vélo et les voiliers plutôt que la voiture et les paquebots.

 

Un rejet de la « mondialisation »

 

Les décroissants considère la « mondialisation » comme une composante centrale du capitalisme. Elle est synonyme d’inégalités entre les pays riches et les pays pauvres, et contribuent fortement à la destruction de la planète (pillage des ressources, destruction des écosystèmes des pays Contre cette mondialisation, les décroissants appellent à relocaliser les activités humaines (produire localement, consommer localement…).

 

Une critique du « progrès »

 

C’est une autre idée forte des décroissants, chez qui la science et le progrès technique sont perçus d’un mauvais œil. D’une manière plus ou moins radicale suivant les personnes, ils avancent que s’opposer à la croissance économique, c’est s’opposer à la course à « modernité ». Le progrès technique et la science n’apporteraient ainsi rien de bon, si ce n’est du superflu, de l’abrutissement ou du contrôle social.

 

Alors comment se « désintoxiquer de la croissance » ?

 

Le principal moteur du changement pour les décroissants c’est le changement des mentalités (« une décolonisation de l’imaginaire » [3]), et l’action individuelle, ce que certains appellent « simplicité volontaire ». Ainsi ils en appellent à la responsabilité de chacun pour changer le système.
Le problème, c’est que le capitalisme s’accommode très bien de ces petites actions individuelles, et il n’est pas non plus menacé par les AMAP. Et puis le capitalisme avant d’être un imaginaire à décoloniser, c’est quelque chose de très concret, et violent pour les prolétaires.

 

Décroissance et révolution ?

 

En fait, si les décroissants dénoncent certains aspects du capitalisme, leur critique reste très superficielle. A vrai dire ils oublient l’essentiel : le cœur du capitalisme, c’est l’exploitation et l’aliénation du plus grand nombre, par une minorité de personnes. C’est la domination sans partage d’une classe sociale, la bourgeoisie, sur une autre, le prolétariat. Au niveau mondial, le développement inégal entre pays impérialistes et pays dominés est la conséquence de la guerre économique que se livrent les capitalistes entre eux afin d’assouvir leur recherche de profit. Et ce profit se fait sur le dos du prolétariat qui produit les richesses, au « Nord » comme au « Sud ».
Les décroissants ne font pas de différence entre exploiteurs et exploités. Ainsi pour eux dans les pays impérialistes, c’est l’ensemble de la population qui est coupable : tout le monde fait le jeu du productivisme et de la « société de consommation ». Des fois, cela sent bon le mépris de classe envers ces « consommateurs ordinaires » qui se gavent de nourriture achetée au supermarché.

 

Parce qu’ils n’ont pas une boussole de classe et une analyse matérialiste de la société, les décroissants se trompent sur la science et le progrès technique. La science n’est fondamentalement ni « bonne », ni « mauvaise » : comme le progrès technique, dans notre société de classes, elle est avant tout au service des capitalistes et de la recherche du profit. Pour prendre un exemple, si aujourd’hui machine rime avec exploitation et aliénation pour les ouvriers, c’est aussi le progrès technique qui nous offrira la possibilité de travailler tous et moins dans la société que nous voulons construire. Ce sera d’ailleurs une de nos tâches sous le socialisme que de mettre la science et le progrès technique au service de notre émancipation.

 

Il en est de même quand les décroissants rejettent la mondialisation. Si nous sommes d’accord quand ils avancent que tout le monde doit pouvoir « vivre et travailler au pays », le problème n’est pas que les rapports humains et les échanges soient mondialisés. Ce qui nous faut combattre, c’est la domination politique, économique d’une poignée de pays sur le reste du monde. C’est la division internationale du travail toujours plus poussée, l’asservissement économique des pays dominés. Ce que nous voulons c’est une société où les échanges et des rapports humains soient basés non plus sur la concurrence mais sur la solidarité et la coopération.

 

Enfin, contrairement aux décroissants, nous ne sommes pas « anti-productivistes ». Et nous ne sommes pas non plus « productivistes » ! Oui, le constat est sans appel, le capitalisme détruit la planète. Il broie des hommes et des femmes aussi. Oui, le capitalisme est caractérisé par l’abondance de produits et de services sans aucune utilité sociale (produits de luxe, armement…). A vrai dire, des pans entiers de l’économie des pays impérialistes sont complètement parasitaires (banques, assurances, marketing…). Sous le socialisme, il y aura donc des secteurs où la production baissera voir disparaîtra parce qu’inutile socialement. Il y aura aussi peut-être des secteurs où la production augmentera. Nous ne savons pas précisément, nous ne sommes pas devins.
Ce que nous savons, c’est que nous voulons produire autrement, des choses utiles, sans détruire la Terre où nous vivons.
Bref, nous voulons une société où la production réponde à nos besoins et non plus à la recherche de toujours plus de profits. Une société où nous aurons transformé les rapports de production, débarrassée de l’aliénation et de l’exploitation. Pour nous c’est la seule voie pour la sauvegarde de la planète.

[1Paul Ariès, Décroissance ou Barbarie, 2005

[2Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne

[3S. Latouche, Le pari de la décroissance, 2006

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