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En Inde, 50 ans de résistance maoïste

On ne compte plus le nombre de fois où, quand on explique qu’on est une organisation maoïste, on nous répond sur le ton de la moquerie : « Mais ça existe encore ? ». Aujourd’hui et depuis longtemps le capitalisme se veut triomphant et la révolution en Chine a échoué. En France le mouvement maoïste n’est plus aussi important que dans les années 70...
Mais dans le monde et particulièrement dans les pays dominés comme au Népal, au Pérou, en Inde ou aux Philippines, les expériences menées par les maoïstes ont fait progresser notre connaissance du processus révolutionnaire.
Dans ce numéro, nous avons décidé de faire un point d’information sur la situation en Inde.

En Inde le système de castes perdure, d’autant plus qu’il a été organisé et renforcé par le colonialisme. Tout en bas de l’échelle on retrouve les dalits (les intouchables) et les adivasis (les aborigènes). Le patriarcat fait des ravages : féminicides à la naissance, violences et viols subis par les femmes tout au long de leur vie et dès leur enfance, oppression des femmes dans tous les aspects de la vie... Bref, l’héritage de l’ancienne société est le socle du développement du capitalisme dans tout le pays : le féodalisme permet à la bourgeoisie d’assurer sa domination de classe.
Les grands projets capitalistes (barrages, mines, complexes immobiliers...) se multiplient avec des conséquences écologiques désastreuses, la destruction de villages entiers et le déplacement des populations. En Inde, la majorité de la population vit encore à la campagne, à peu près 70%, mais l’urbanisation augmente et on assiste à un développement industriel au prix d’une exploitation de plus en plus acharnée de l’homme et de la nature. Les travailleurs et les habitants sont exposés à de grands dangers sanitaires. Citons l’exemple de l’amiante interdite dans les pays impérialistes mais exploitée sans restriction en Inde. Ou encore la catastrophe de Bhopal en 1984, où une usine d’engrais a explosé causant 3.500 morts dans la nuit de l’explosion, puis des dizaines de milliers de morts ainsi que des centaines de milliers d’habitants contaminés.

La naissance du mouvement naxalite...

Cet ordre injuste n’est pas une fatalité et des révoltes profondes ont marqué l’histoire de l’Inde. Dès les années 40, de nombreux mouvements paysans se sont développés contre le féodalisme. Un des plus marquants fut le mouvement du Telengana en 1946. Les paysans se révoltèrent, soutenus par les communistes et s’organisèrent en dalams (unités combattantes). 4.000 villages formèrent leur propre administration, protégés par une force armée de 10.000 personnes. L’État indien leur fit subir une répression terrible : des milliers de personnes assassinées, des dizaines de milliers emprisonnées et encore plus de personnes torturées par les militaires.
De ces événements, certains communistes ont tiré la leçon qu’il fallait planifier une véritable guerre populaire, sur le modèle de ce qui avait été fait en Chine par les maoïstes. Ils refusaient l’alliance avec le Parti du Congrès au pouvoir en Inde, qui était alors prônée par le CPI (Parti Communiste d’Inde). Au niveau international, c’était les prémices de la rupture entre la Chine et l’URSS, la Chine dénonçant l’URSS révisionniste (c’est-à-dire abandonnant le projet révolutionnaire). Ceux qui voulaient lutter contre la voie révisionniste fondèrent le CPI-Marxiste en 1964.
En 1967, dans le Bengale Occidental, une région au Nord-Est de l’Inde allait naître une nouvelle contradiction. Après avoir remporté les élections, le CPI-Marxiste participait à un front uni et détenait les ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture (il n’avait donc pas rompu tant que ça avec le révisionnisme...). La consigne était de préparer les nouvelles élections qui arrivaient. Mais des militants décidèrent au contraire de préparer les luttes des paysans pour revendiquer les terres cultivées. Des gros propriétaires fonciers, des usuriers furent attaqués, et leurs terres furent expropriées. Cette révolte dura 72 jours. Naxalbari fut une zone libérée jusqu’à ce qu’en juillet 1967, le gouvernement du Bengale Occidental et le gouvernement central répriment le mouvement dans la violence. Dans ce conflit, la Chine prit fait et cause pour la ligne qui avait choisi la confrontation avec l’exploiteur et refusait la compromission avec les réactionnaires indiens qui réprimèrent la révolte.

… Et son évolution :

Le soutien dans toute l’Inde à la révolte de Naxalbari a donné naissance au mouvement maoïste indien, appelé naxalite. Il y eut des périodes très difficiles, surtout au milieu des années 70 quand, après des années de répression, le mouvement était presque anéanti. Il s’est divisé en de nombreuses organisations dont les principales, fondées à la fin des années 60 étaient le MCC (Centre Communiste Maoïste) et le CPI-ML (parti communiste d’Inde - marxiste-léniniste). Les militants naxalites, malgré la répression et aussi les divisions au sein du mouvement, ont poursuivi leur travail d’implantation et de construction. Durant toute cette période il y a eu de nombreuses recompositions et débats politiques qui ont mené à la création en 2004 du CPI-Maoïste. Aujourd’hui, les naxalites sont présents dans 20 Etats sur 28 et contrôlent de véritables zones libérées. Ils représentent un réel danger pour la bourgeoisie indienne, au point que le premier ministre indien avait affirmé à la fin des années 2000 que c’était la « plus grande menace pour la sécurité intérieure du pays ». Qualifiés de terroristes par le gouvernement, ils sont sévèrement réprimés, dans les campagnes comme dans les villes. On estime que 10.000 prisonniers politiques sont détenus dans 200 prisons indiennes, dont plus d’une cinquantaine de cadres maoïstes.

La stratégie politique des naxalites :

L’objectif des communistes, c’est de renverser le pouvoir capitaliste. La bourgeoisie ne se laissera pas faire et sans force armée, on ne pourra leur arracher le pouvoir.
Les conditions de cette prise du pouvoir sont différentes selon chaque pays et chaque période, il n’y a pas de stratégie politique révolutionnaire universelle. C’est ce qu’avait conclu Mao après les revers connus par les communistes en Chine en 1927 [1]. Il faut mener une analyse de classe concrète de la société pour distinguer quels sont les alliés du prolétariat, ses ennemis, et les étapes de la révolution.
En Inde, la majorité de la population est rurale, et les communistes considèrent que les paysans pauvres sont les alliés de la classe ouvrière dans la lutte pour la révolution. Ils prônent la guerre populaire prolongée : établir des zones de base révolutionnaire car l’ennemi y est plus faible : moins de moyens de transports, isolement, nature hostile, l’ennemi a une mauvaise connaissance des lieux et de la population. Et ensuite pénétrer et s’emparer des villes où l’ennemi est plus fort. Les zones libérées sont défendues par la People’s Liberation Guerrilla Army (PLGA, armée populaire de guérilla de libération). L’armée populaire n’agit pas comme une armée bourgeoise qui pille, viole, massacre, au contraire elle ne peut survivre qu’avec le soutien des populations et elle a un rôle de politisation et d’aide matérielle à la population.

Les zones libérées :

Dans son appel au peuple de l’Inde publié en 2014 [2], le CPI Maoïste décrit le projet et le fonctionnement des zones libérées. L’autorité de l’État, des féodaux et le système de castes sont abolis. L’ancien ordre injuste est remplacé par des organes de pouvoir politique populaire. C’est le Revolutionary People’s Committee (RPC, Comité populaire révolutionnaire). Il existe dans chaque village, ses membres sont élus par le peuple, à chaque fois, la moitié sont des femmes. Voilà ce qu’il décrit : « Le peuple a tous les droits démocratiques fondamentaux - le droit de se réunir, le droit de constituer une organisation, le droit de diriger des grèves et des manifestations, le droit de vivre selon son désir, le droit à l’éducation fondamentale, le droit à un traitement médical primaire, le droit d’obtenir un emploi minimum, etc. Le RPC s’occupe de tous les aspects de la vie des habitants par l’intermédiaire de ses départements de la défense, des finances, de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, de la justice, de l’éducation et de la culture, de la santé et de la sécurité sociale, de la protection de la forêt et des relations publiques. Sur base de « la terre au laboureur », les terres forestières ont été distribuées par le RPC à ceux qui n’ont aucune terre ou qui ont une terre insuffisante. Là où les habitants sont bien organisés, les femmes possèdent la moitié du droit de propriété sur la terre. « Des salaires égaux pour un travail égal » est mis en place. » Dans ces zones, des infrastructures sont mises en place pour répondre aux besoins réels de la population (habitations, irrigation, école, centre médicaux...) et non pour remplir des logiques de profit.

L’opération Green Hunt :

Les zones libérées représentent une formidable émancipation pour le peuple, et donc un danger pour le régime réactionnaire indien qui a entrepris une répression féroce et lancé une opération para-militaire de contre-guérilla en novembre 2009 appelée Green Hunt (chasse verte). Regroupant les forces de la police d’État et des forces paramilitaires, cette opération use de tous les moyens pour combattre les révolutionnaires et la population qui les soutient : démolition de maisons et de village, pillage, punitions collectives, meurtres, viols, destruction des récoltes et du bétail... Ils disposent de moyens technologiques et financiers supérieurs à l’armée populaire. Ils ont d’ailleurs infligé de sérieux revers aux troupes naxalites. Mais contrairement aux forces gouvernementales et paramilitaires, la PLGA peut s’appuyer sur un ancrage et un soutien dans les masses et sur la détermination et la révolte que provoquent le capitalisme et la répression.

Quelques figures importantes :

- Charu Mazumdar : un des premiers dirigeants de la révolte naxalite. Il a écrit de nombreux textes qui ont a contribué à la construction et à l’évolution de la pensée théorique des naxalites. Il est décédé en prison en 1972 deux semaines après sa capture par la police.

- Anuradha Ghandy : dirigeante du PCI-Maoïste, elle s’est engagée dans les luttes syndicales et pour les droits humains et des aborigènes. Emprisonnée plusieurs fois, elle est entrée en clandestinité. Elle a écrit de nombreux textes sur le féminisme révolutionnaire.Elle est décédée du paludisme en 2008.

- Ganapathy : de son vrai nom Muppala Lakshman Rao,il est le secrétaire général actuel du CPI-Maoïste. Vivant dans la clandestinité, il est recherché activement par les autorités indiennes qui promettent une récompense financière pour toute information permettant sa capture. Il est, comme d’autres dirigeants maoïstes, sur la liste gouvernementale des terroristes activement recherchés.

- Arundhati Roy : est une écrivain et militante écologiste et pour les droits de l’homme. Elle a écrit plusieurs essais politiques et en 2010 elle a décidé de se rendre auprès de la guérilla maoïste, expérience dont elle tiré le livre : « Ma marche avec les camarades ».

- G.N. Saibaba : professeur d’université à New Delhi, il a été arrêté en 2014 car accusé de lien avec la guérilla maoïste. Il avait fait campagne contre l’opération Green Hunt et les milices paramilitaires.Il est un symbole de la répression des intellectuels progressistes par le gouvernement indien.

Pour en savoir plus :

Sites internet :
- Red Voices of India : une plateforme créée à l’initiative du Secours Rouge International pour informer sur les luttes en Inde. Des dossiers et aussi beaucoup d’actualités.
- J Adarshini : site avec des traductions en français de nombreux textes sur la période des années 60-70. La traduction de nombreux documents publiés par le CPI-Maoïste lors de sa fondation en 2004 et des communiqués plus récents.
- Inde Rouge  : site où on trouve aussi beaucoup d’actualités et une rubrique documents avec les traductions des textes d’Anuradha Gandhy, Charu Mazumdar...

Livres et brochures :
- Ma marche avec les camarades. Arundathi Roy décrit sa rencontre avec la guérilla maoïste en 2010.
- Voyage au cœur de la Révolution indienne, publié dans Partisan Magazine : une militante du Secours Rouge fait le récit de son séjour auprès de révolutionnaires indiens.
- Lal Salaam, les naxalites en Inde. Une brochure qui dresse un panorama de la société indienne et explique l’histoire du mouvement naxalite.
- Histoire du naxalisme, jacqueries et guérillas de l’Inde, écrit par Prakash Singh, un ancien policier. Il couvre la période de 1963 à 2003. Bien sûr, il ne porte pas un point de vue révolutionnaire mais il est très complet.
- Dans le sillage de Naxalbari, du journaliste Sumanta Banerjee, qui retrace la révolte de Naxalbari et apporte beaucoup d’éléments sur la naissance du mouvement naxalite. Certains chapitres supplémentaires sont disponibles sur le site de la traductrice J. Adarshini cité plus haut.

Littérature et cinéma :
- La mère du 1084, de Mahasweta Devi. Le parcours d’une mère qui cherche à comprendre l’histoire de son fils, militant révolutionnaire tué par la police au début des années 1970.
- Meurtre dans un jardin indien, de Vikas Swarup. Diplomate indien, ce n’est pas du tout un révolutionnaire ! Son livre non plus, mais au travers d’une enquête policière impliquant un aborigène, il décrit la société indienne.
- Chakravyuh, du réalisateur Prakash Jha. Film mainstream qui raconte l’histoire d’un policier de la contre-guérilla qui infiltre les rangs de l’armée populaire. Ce qu’il y découvre va remettre en cause ses convictions...
- Red ant dream (Un rêve de fourmis rouges), du réalisateur Sanjay Kak, documentaire sur la guerre populaire dans les États du Bastar et du Chhattisgarh.

[1Voir Partisan Magazine N°5 : http://ocml-vp.org/article1612.html

[2Disponible sur notre site internet : http://ocml-vp.org/article1336.html

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