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1936 : Elections et grève générale

Partisan N°205 - Septembre 2006

Les « avancées sociales » de 1936 ont été le résultat d’une grève générale, et pas d’un gouvernement de gauche : il n’est pas inutile de rappeler cette leçon historique à la veille de 2007. Mais il ne faudrait pas en conclure qu’il y avait, côté gouvernement, Léon Blum, la SFIO — ancêtre du PS — et les radicaux, et côté grève générale, le PCF et la CGT. Ou que, de lutte en lutte, les « acquis », comme les congés payés, ne font que croître et se multiplier.

Fin avril 1936, les législatives consacrent la victoire du Front populaire, alliance électorale entre le PCF, la SFIO et les radicaux. Début mai, des boîtes se mettent en grève au Havre, en défense de travailleurs licenciés pour n’avoir pas travaillé le 1er mai. Le 14 mai, le secteur aéronautique, pour le même motif, est en grève sur Paris et sur Toulouse. Le 28 mai, c’est Renault. Le 29, la quasi totalité de la métallurgie parisienne. Début juin, on ne compte plus les grévistes. La classe ouvrière s’affirme enfin.

En 1914 — ce n’est pas si vieux —, les dirigeants politiques et syndicaux ont « trahi », appelé à la « défense de la patrie ». Puis ce fut la révolution russe, et à partir de 1921, le travail de reconstruction d’un parti léniniste, et d’un syndicalisme de lutte de classe avec la CGTU (U pour unifiée)… 1936 est à la fois l’aboutissement de ce long travail politique et d’organisation, et… le début d’une nouvelle trahison.

Le début des années 1930 voit l’arrivée du chômage massif en Europe suite à la crise de 1929 aux Etats-Unis. Et la montée du fascisme : Hitler est arrivé au pouvoir en 1933. Le PCF a largement contribué à stopper les prétentions des fascistes français, en 1934. Mais il en a conclu qu’il fallait gagner les classes moyennes, non pas à la lutte contre le capitalisme et ses conséquences, mais en s’alignant sur leurs positions, en défendant, contre le fascisme, la démocratie existante, et en faisant du drapeau rouge une simple composante du drapeau tricolore.

LES DIRECTIONS EN 1936.

Comme dit Bernard Thibault : « Une grève générale, ça ne se décrète pas ». C’est exact. Comme une révolution, d’ailleurs. Mais ça se prépare, et ça s’organise. Ce que n’ont pas fait Maurice Thorez et Léon Jouhaux, dirigeants du PCF et de la CGT. Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Prêcher le calme, la discipline, le respect de l’outil de travail, dénoncer les séquestrations de patrons, négocier puis vanter l’ampleur des miettes obtenues, et appeler à la reprise du travail. Bref, jouer leur rôle d’encadrement pour le compte du capitalisme !

Dimanche 7 juin 1936 au matin, le ministre de l’Intérieur se présente au siège de la CGT et annonce qu’une réunion est organisée à Matignon avec le patronat. Dans la soirée, les fameux « accords de Matignon » sont signés, prévoyant des augmentations de salaires de 7 à 15%, la mise en place de conventions collectives, et des droits syndicaux dans l’entreprise. Tous les journaux de gauche du lendemain crient à la victoire. Mais dans les jours qui suivent, la grève continue à s’étendre !Dans le bâtiment, les assurances, les grands magasins, chez les ouvriers agricoles...

Le gouvernement s’empresse alors de faire de son mieux pour aider à éteindre l’incendie. Les 11 et 12 juin, les députés votent un projet de loi sur les 40 heures et les congés payés. PCF et CGT peuvent alors peser de tout leur poids pour la reprise. C’est le célèbre « Il faut savoir terminer une grève » de Maurice Thorez (Huma du 12 juin). Une autre phrase du même article mériterait d’être aussi connue : « Il n’est pas question de prendre le pouvoir actuellement ». Car une grève générale n’est pas une simple grève. Elle peut s’arrêter de deux façons. Soit par le retour au pouvoir ordinaire des patrons et des capitalistes, et c’est ce qui se passe habituellement. Soit par la prise du pouvoir politique des ouvriers et des travailleurs. Et le PCF n’est déjà plus dans cette optique. Son maître-mot est alors : « réconciliation des Français ».

LES RÉSULTATS DE 1936.

Le discours officiel ne retient souvent de 1936 que les congés payés. Et pour cause. C’est la seule réforme qu’il était pratiquement impossible de supprimer. Ne parlons pas des augmentations de salaires. Dès l’automne 1936, le gouvernement — de Front populaire — organisait la hausse du coût de la vie par une dévaluation de la monnaie. Les 40 heures seront remises en cause moins de deux ans plus tard. En mars 1938, la Fédé CGT des Métaux accepte le rétablissement des 45 heures dans l’aéronautique au nom de la défense nationale. Le 12 novembre 1938, des décrets-lois, sans supprimer la base légale des 40 heures, facilite les heures supplémentaires, le travail sur 6 jours, les horaires excluant les casse-croûtes et les temps d’habillage (voir Partisan n° 81). En 1945, ce sera entre 60 et 90 heures !

A quoi bon une grève générale si dans les deux ans qui suivent la majeure partie de ce qui a été obtenu s’est évaporé ? Il est vrai que la « menace hitlérienne » pèse déjà sur 1936 et sur cette volonté d’« union de tous les Français » du PCF. En 1936, c’est aussi le refus du Front populaire français au pouvoir d’aider le Front populaire espagnol en lutte contre le fascisme. Bref, la crise économique née à Wall Street et la crise politique visible à Rome, Berlin et Madrid, ont pesé. Que faut-il en conclure ? Qu’on aurait tort de sous-estimer la dimension internationale, même quand il s’agit de nos revendications de base. Mais le peut-on à l’heure de la hausse des prix du pétrole et de la « mondialisation » ?

Par conséquent, 1936, ce ne fut pas seulement une belle lutte qui a apporté de beaux congés payés. Ce fut aussi des dirigeants pas très communistes et des résultats qui ont volé en éclats dans les mois suivants. Le seul aboutissement solide, aurait été la révolution socialiste. Elle se prépare dès maintenant, par la construction du parti révolutionnaire, le seul à pouvoir diriger toutes les luttes et les grèves générales conformément aux intérêts des travailleurs, et de l’humanité.

Marc Crespin

Dans son bulletin de juillet 2006, le Regroupement Communiste de Poitou-Charentes reprend d’abord un article de 1986, pour le compléter 20 ans après. Nous en publions avec plaisir des extraits, parce que ce point de vue nous paraît juste.

« JUIN 1936 : PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS »

REGROUPEMENT COMMUNISTE DE JUILLET 1986 (JEAN ALLEMAND) :

En mai-juin 1936 (…) il y avait une poussée ouvrière sans précédent : près de trois millions de grévistes qui, dans une même période, par leurs occupations, portaient atteinte à la sacro-sainte propriété privée des moyens de production de la bourgeoisie.

Le caractère même de cette grève permettait non seulement d’aller plus loin, mais il l’exigeait. Il exigeait que le PCF, parti de la classe ouvrière, entraîne celle-ci à porter les coups les plus durs à l’adversaire. Il exigeait d’organiser les travailleurs grévistes et non grévistes, bien sûr dans le cadre de l’organisation syndicale, la CGT (ce qui se fit), mais également dans des structures de lutte politique larges. Au début des années 30, le PCF répétait d’une façon quasi-mécaniste : “Les Soviets partout”. En 1936, alors que la situation s’y prêtait, alors qu’elle l’exigeait, il n’a nullement organisé les masses au sein de comités de lutte. Il fallait créer ces comités dans les entreprises en grève, mais également autour de ceux-ci des comités de soutien, dans les villes, les structurer à l’échelon des localités, des départements, leur donner une vie propre, dynamique, tissant ainsi à travers la France un réseau d’organismes de décision, parallèlement à ceux de l’Etat bourgeois. Une telle organisation aurait, pour le moins, permis aux travailleurs en grève et à ceux qui les soutenaient hors des entreprises de faire l’expérience d’une amorce de dualité de pouvoir et de prendre conscience des possibilités qui leur étaient offertes quand ils sortaient du cadre dans lequel les maintenait la bourgeoisie.

Au lieu de cela, au lieu de faire avancer à la base les masses, au lieu de leur faire faire des pas sur le chemin pour la future conquête du pouvoir par leurs moyens propres, le PCF est resté enfermé dans son opportunisme et dans ses accords électoraux avec deux partis de la bourgeoisie (la SFIO et les radicaux). Il a apporté son soutien « sans réserves » à un gouvernement dont la création, puis l’existence, allaient permettre à la bourgeoisie de se ressaisir très rapidement et de bientôt faire payer très cher aux travailleurs leur victoire de mai-juin 1936.

REGROUPEMENT COMMUNISTE DE JUILLET 2006 (PIERRE LEHOUX) : Jean Allemand note bien l’incapacité du PCF de l’époque à fournir au prolétariat les armes politiques pour se débarrasser définitivement de la bourgeoisie. Le PCF n’était déjà plus un parti révolutionnaire, porteur de la vraie parole des luttes. Il s’est attaché au contraire, tout au long de son histoire, à semer les pires illusions sur une gauche électoraliste, à véhiculer l’idéologie de soumission aux critères de gestion capitaliste, y participant directement et par l’intermédiaire des syndicats.

L’Internationale Communiste dirigée par l’URSS de Staline n’a pas favorisé l’installation de comités populaires unissant les composantes de la classe ouvrière. Les luttes dans ces conditions se sont limitées à l’urgence des besoins de la vie quotidienne. Elles ont préservé les rapports sociaux d’exploitation bourgeois unissant le salariat au capital. La propriété privée desmoyens de production restait entre les mains de la classe parasite.

(...) C’est l’idéologie de l’Etat, cette conception erronée d’un Etat situé au-dessus des rapports d’exploitation, de l’Etat providence, que la gauche, en particulier, exploite largement. Une grande partie du prolétariat est bernée par la “démocratie bourgeoise” et par ses farces électorales destinées à éviter l’intervention directe du prolétariat sur les lieux de production.

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