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La Chine maoïste et le mouvement des femmes

En 1919, mademoiselle Chao se suicidait en se tranchant la gorge au moment où on la hissait sur sa chaise nuptiale. C’était à l’époque un geste malheureusement banal, c’était souvent la seule possibilité qu’avaient les femmes pour échapper à un mariage non souhaité.

A cette époque en Chine, les femmes des milieux populaires travaillaient du matin au soir. Elles pouvaient être frappées, et même tuées. Elles pouvaient aussi être vendues, surtout quand elles étaient jeunes, pour le mariage ou la prostitution. Au sein de la famille, la belle-mère frappait la bru, qui n’avait pas de droits tant qu’elle n’avait pas de fils. Les femmes étaient soumises au mari, aux frères et même à leur fils. Une fois partie de la maison, ses parents ne pouvaient lui être d’aucune défense, car si dans les classes supérieures elle avait un trousseau, dans les classes inférieures elle était souvent vendue. Que pouvaient faire les parents de la jeune femme s’ils n’avaient pas d’argent ou une famille puissante ? Si le mari le voulait, la femme pouvait être revendue, ou même louée. Ce qui sauvait les femmes était souvent leur participation à la ferme ou chaque bras compte. Les femmes n’avaient aucun droit avant la révolution. N’oublions pas que beaucoup de femmes avaient les pieds bandés. Mao traita neuf fois dans des articles du cas de mademoiselle Chao. Mao avait lui-même été victime d’un mariage arrangé. Quand il n’avait que 13 ans, son père avait voulu le marier avec une jeune femme de 6 ans son aînée. Le but du père de Mao était, par ce mariage, de récupérer la force de travail de la jeune femme. Mao du s’enfuir afin de faire changer d’avis son père.

L’opium, introduit de force par les impérialistes britanniques, provoquait rapidement la déchéance physique des hommes. De ce fait, les femmes devaient avoir un rôle plus dirigeant dans le foyer. Dans toutes les classes sociales, les jeunes gens et les jeunes filles rêvaient d’avoir le libre choix pour leur mariage. Avec les débuts de l’industrialisation, les femmes dans les villes travaillaient de plus en plus à l’extérieur du foyer. Avec ses idées émancipatrices, le Parti Communiste se développait. Les groupes chrétiens s’opposaient aussi au fait que les femmes aient les pieds bandés, et développaient des foyers pour les jeunes filles, mais ces groupes religieux étaient vus comme trop liés aux forces impérialistes qui occupaient et pillaient la Chine. En 1917, le gouvernement Chinois ouvrait les écoles aux filles, mais seulement à une petite minorité. C’était dans la lutte contre l’impérialisme qu’allaient se radicaliser les femmes en créant des associations luttant contre leur servitude et celle de leur pays. Déjà entre 1910 et 1912 les fileuses de soie de Shanghai s’étaient mises en grève. Comme actuellement, les femmes étaient mal payées et venaient de la campagne. Les usines tournaient 24 heures sur 24, la main d’œuvre était surabondante. Il n’y avait pas de lien avec la paysannerie, d’union pouvant exercer une force contre les patrons et les impérialistes. Le seul espoir était dans un bouleversement complet de la société par une révolution plutôt que par la consti¬tution d’un syndicalisme.

Le mouvement d’opposition à l’impérialisme japonais (Mouvement du 4 mai) permit à des étudiantes et des étudiants de se regrouper. Mao en faisait partie. Bientôt les femmes créèrent leurs propres organisations. Ces groupes intervenaient dans les magasins, parlaient aux femmes afin d’appeler au boycott des produits japonais. Le journal « La voix des femmes » est créée en 1921, en même temps que le Parti Communiste. Des jeunes femmes se faisaient couper les cheveux en signe de rébellion. C’était surtout des jeunes filles des villes, mais cela gagnait les milieux paysans et ouvriers. En 1927, c’est la rupture entre les communistes et les nationalistes. Les associations féminines furent interdites, les femmes portant les cheveux courts, accusées d’être communistes, étaient exécutées. Durant la Longue Marche, les combattants communistes traversaient des campagnes où l’émancipation des femmes était inconnue. Par exemple dans le Shanxi, toutes les jeunes filles avaient les pieds bandés avant l’arrivée de l’armée Rouge. Pour elles, la Longue Marche était l’espoir que la révolution allait changer leurs conditions de vie et les délivrer de l’oppression. En 1935, quand éclata la guerre contre le Japon, le Parti communiste pouvait compter sur le soutien des femmes de toutes les couches de la population dans les villes occupées par les nationalistes. Han Suyin [1] raconte que son mari de l’époque qui était officier dans l’armée nationaliste parlait avec respect des « bandits rouges qui transformaient toute la population en combattants, qui encourageaient les filles asservies à se révolter contre leurs maîtres, qui n’attachaient pas une grande valeur à la chasteté, qui poussaient les paysannes à dénoncer les méfaits de leurs maris ».

Après la victoire contre les impérialistes et les nationalistes, « la République Populaire de Chine est proclamée, elle abolit le système féodal qui tenait la femme en esclavage. Les femmes eurent les mêmes droits que les hommes en matière politique, économique, culturelle, dans l’éducation et la vie sociale. La liberté du mariage fut garantie par la loi aux hommes et aux femmes » (article 6 de la Constitution de 1949). Une loi sur la réforme agraire est votée en 1950. Le divorce est aussi prononcé si l’homme ou la femme le désirait, la polygamie est bannie, ainsi que les mariages arrangés. Le système patriarcal, est mis en cause, les enfants sont autorisés à choisir entre le patronyme de leurs parents. Ce sont les femmes qui, de manière écrasante (92%), utilisèrent le droit au divorce. Mais une loi peut rencontrer des résistances Par exemple, de la part de femmes d’un certain âge qui avaient peur de perdre l’ascendant sur les plus jeunes, où de jeunes filles qui étaient obligées de se marier avec le mari choisi par la famille. Les vieilles habitudes avaient la vie dure.

La Fédération des femmes créa ses propres centres de soins. En 1951, cinquante-six jours de congé furent accordés aux mères, sans réduction de sa¬laire. Les entreprises de plus de 500 travailleurs devaient avoir leurs propres services médicaux. Le morcellement des terres rendait les exploitations difficiles. Les femmes se retrouvaient avec la double journée, travail et charges de la maison. Avec la création des « Communes » et de leurs services sociaux, les femmes devenaient plus indépendantes. Elles étaient payées en fonction d’une grille des salaires. Le fait qu’il y avait des crèches, des restaurants communautaires, des maisons de retraites et des taches pour les anciens, facilitait la participation des femmes aux décisions politiques. Les Comités Féminins établissaient des normes d’hygiène, travaux légers pour les femmes enceintes, mères de nourrissons devant travailler à proximité de la crèche. Mais les activités des Comités suscitaient de la jalousie de certains hommes, qui se voyaient perdre leur pouvoir sur leur femme. Certains prétextaient que ces réunions étaient un alibi pour se livrer au flirt et au vice, et frappaient leurs femmes. Le Comité devait intervenir, et souvent le frappeur se retrouvait frappé. Autre exemple, dans la banlieue de Pékin. Une vaste campagne était lancée pour débarrasser les rues des mouches, des moustiques et des rats. Tout le monde s’y attela, sauf les hommes. Les femmes exaspérées couvrir les murs de dazibao : « Croyez-vous qu’on n’a pas besoin de nous pour édifier le socialisme ? Dans le cas inverse pourquoi ne venez-vous pas nous aider ? ».

La famille nombreuse empêchait les femmes de participer à la production, à la vie sociale et politique. Des brochures, des ouvrages des émissions de radio furent diffusés pour expliquer l’usage du préservatif. Plus tard, des médecins sillonnaient les villes et villages, avec des films et des affiches. Des paysannes parlaient de l’usage de spermicides, de diaphragmes, des essais étaient fait avec des pilules. 10 ans plus tard était mis en place un dispositif simple par aspiration afin de pratiquer des avortements. Il fallait la persuasion de Mao pour expliquer que la vasectomie n’était pas une castration et qu’elle n’aboutissait pas à une perte de puissance sexuelle. Il fallait faire face à la méfiance des hommes, mais aussi de femmes qui se demandaient pourquoi limiter le nombre de naissances alors qu’avant on était pauvres et on avait plein d’enfants et que maintenant qu’il y avait de la nourriture et des écoles et il fallait limiter les naissances ? Dans la tradition confucianiste, un grand nombre d’enfants était source de prospérité et de sécurité sociale. Si dans les communes s’imposait une nouvelle forme de vie, cela n’a jamais été une remise en cause théorisée de l’institution familiale. Souvent les repas étaient collectifs le midi et pris en famille le soir. Les idées d’amour libre et de libération sexuelle étaient mal accueillies. Le mouvement féminin chinois se signalait par un certain puritanisme. Il faut dire que le lit conjugal était l’expression de l’esclavage pour les femmes. Les jeunes gens et les jeunes filles étaient très réservés sexuellement, même s’ils tenaient au libre choix de leur partenaire.

Avec la Révolution Culturelle fut mis un terme à la glorification de la maternité. « A première vue, cette attitude ne semble pas toucher à la politique, mais à y regarder de plus près, on découvre de fortes implications politiques. Car elle vise essentiellement à exclure les femmes de la vie politique. Si cette tendance s’impose, c’en est fait de l’émancipation complète de la femme » déclara la déléguée chinoise Yang Yun-Yu en 1963 au « Congrès mondial des femmes » à Moscou. La revue Femmes chinoises publia une autocritique au sujet de la glorification de la maternité. Durant la Révolution culturelle, les femmes ont lutté contre leur oppression spécifique. Comment supprimer la distinction entre travail dit masculin et travail dit féminin ? Car en fait les femmes se retrouvaient dans des métiers traditionnels. Par exemple dans une entreprise de broderie, les hommes, en petit nombre, étaient dessinateurs et les femmes, nombreuses, étaient brodeuses. Avec la Révolution Culturelle on enseignait la broderie aux hommes et les dessins à toutes les femmes. Dans les professions médicales, les femmes occupaient les places les plus basses dans la hiérarchie, elles osaient critiquer les médecins. Dans les écoles, les élèves obligeaient leurs professeurs à sortir de leur passivité, et ce dans une société fortement attachée à l’autorité et à la vénération des vieux. Les gardes rouges faisaient face aussi aux idées traditionnelles machistes qui avaient la vie dure. La libération des femmes se heurtait à des limites, ce qui ne diminuait en rien ses réalisations.

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne avait été lancée de façon volontariste par le courant maoïste, au début comme un mouvement de critique idéologique et « culturel ». Jiang Qing [2] prônait le développement de thèmes révolutionnaires dans la culture. Jiang Qing naquit la même année que le déclenchement de la Première Guerre mondiale, enfant pendant la Révolution russe, adolescente au moment de l’invasion japonaise, elle était un produit de ces grands bouleversements. Quand les impérialistes et les réactionnaires parlaient de Jiang Qing comme la femme la plus détestée en Chine, ils ne faisaient qu’exposer leur propre haine. Elle avait participé à la création en 1964 d’un ballet moderne, « Le détachement féminin rouge ».

L’une des caractéristiques de la société socialiste est que les classes et la lutte des classes continuent du¬rant la transition. Les idées et les pratiques anciennes persistaient - si elles n’étaient pas frappées, elles ne tombaient pas. Et il y avait des membres du parti en haute position qui agissaient comme gardiens de privilèges et voulaient que la révolution aille dans la direction capitaliste. Telles étaient les forces que Jiang Qing et les autres communistes ont dû combattre dans le travail culturel du parti. Elle avait rapporté : « Le théâtre est un moyen d’éduquer le peuple, mais à l’heure actuelle, nos scènes sont encombrées d’empereurs, de rois, de généraux, de ministres, de damoiseaux et de damoiselles, d’un fatras d’idées féodales et bourgeoises. Un tel état de choses ne peut protéger notre base économique, il risque, au contraire, d’exercer un rôle de sape sur elle. (...) Il y a plus de six cents millions d’ouvriers, paysans et soldats dans notre pays, tandis que les propriétaires fonciers, paysans riches, contre-révolutionnaires, mauvais éléments, droitiers et éléments bourgeois ne sont qu’une poignée. Qui faut-il servir ? Cette poignée d’individus ou plus de six cents millions d’hommes ? » (A propos de la révolution de l’opéra de Pékin). En octobre 1976, peu de temps après la mort de Mao, les dirigeants capitalistes qui avaient été empêchés de prendre le pouvoir pendant les dix ans de la révolution Culturelle - ont organisé un coup militaire réactionnaire. Jiang Qing a été arrêtée et, en 1981, elle a été jugée pour son rôle dans la Révolution culturelle.

La révolution chinoise avait dû battre les impérialistes et les féodaux, aller vers une transformation socialiste, vaincre la famine, la misère, donner du travail à toutes et tous, et avec un puritanisme en matière sexuelle qui allait de pair avec la libération de la femme, c’était une des phases du processus évolutif de la révolution. Nous ne partons pas de la même situation, et notre passé n’est pas le même. Pendant que nous nous battons pour le socialisme et la libération des femmes, l’expérience de la révolution chinoise démontre que le salut peut venir même dans les situations les plus compromises.

À LIRE
• Féminisme et révolution, de Sheila Rowbotham, Petite Biblothèque Payot 1974 ; livre auquel cet article doit beaucoup.
• Partisan Magazine n°5, « Le maoïsme, notre arme de combat ».
• La lutte pour la transformation des rapports hommes- femmes fait partie de la lutte pour la révolution, OCML- VP, avril 2004.

[1Écrivaine, favorable au maoïsme, à lire entre autre : « Le déluge du matin » (Mao Tsetoung et la révolution chinoise, 1893-1954) ; « Le premier jour du monde » (Mao Tsetoung et la révolution chinoise, 1949-1975)

[2Jiang Qing était une dirigeante communiste, membre de la « Bande des Quatre », et épouse de Mao, elle fut condamnée à mort puis sa peine fut transformée en emprisonnement à perpétuité. Pendant 15 ans elle a dénoncé le régime de Den Xiaoping, n’a jamais renoncé à se révolter. Elle fut finalement libérée pour raison médicale (probablement un cancer de la gorge) et placée en résidence surveillée. Elle se serait suicidée en 1991, selon les informations données par les autorités chinoises qui n’ont annoncé sa mort qu’en 1993. Honneur à son combat.

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