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En France : du pacifisme au chauvinisme, puis d’Octobre au communisme

On ne peut parler d’Octobre 17 si on ne dit rien sur la guerre 14-18, qui a vu la faillite des directions de la 2ème Internationale (en France SFIO) et de la CGT (sous direction anarcho-syndicaliste).


Un nouveau partage du monde s’effectuait sous la direction et la protection des Etats. En Europe ce partage s’opérait au profit de l’Angleterre et de la France. La montée du danger de guerre entre les grandes puissances était palpable, incidents de Fachoda entre la France et l’Angleterre, incidents franco-allemands autour du Maroc en 1905 et 1911, question de l’Alsace-Lorraine, guerre des Balkans... Si la venue de la guerre était évidente pour les bourgeoisies, restait une inconnue : que feraient les prolétaires promis à cette future boucherie ? Il faudrait leur confier des armes ! Et la SFIO et la CGT sont liées à des internationales qui étaient pacifistes. Des manifestations sont organisées par ces organisations, dont une massive le 27 juillet. Un seul cri : « A bas la guerre ! ». Un meeting internationaliste est organisé à Bruxelles avec Jaurès [1]. Pourtant, la majorité des membres de ces organisations rallia le camp de la bourgeoisie, en soutenant « l’Union sacrée » c’est-à-dire l’union avec la bourgeoisie française dans sa guerre avec l’Allemagne. La mobilisation générale est décrétée le 2 août, la guerre déclarée deux jours plus tard, sans que la SFIO et la CGT n’appellent la classe ouvrière à s’y opposer. Cette guerre fera plus de 18 millions de morts.

La question de la guerre avait été maintes fois débattue dans les congrès au niveau international. Mais comment faire ? Grève générale ? Sabotages ? Aucun mot d’ordre clair en dehors d’appels à la paix. Le fruit était mûr. Une fois la guerre déclarée, la SFIO et la CGT vont se rallier, la bourgeoisie n’aura même pas à utiliser le « carnet B » qui servait à ficher les rebelles risquant d’appeler à refuser d’y aller.

Comment en est-on arrivé là ?

La SFIO condamnait la guerre impérialiste, mais pensait que la défense du territoire national se justifiait quand il y avait une agression. En Europe, chaque parti social-démocrate va justifier son ralliement à sa bourgeoisie par la défense de sa patrie. Le social-chauvinisme était dominant. Les partis sociaux-démocrates, membres de la IIe Internationale, ne voyaient pas que l’on était à l’époque de l’impérialisme et « qu’il est impossible de supprimer les guerres sans supprimer les classes et sans instaurer le socialisme » (Lénine). La llème Internationale était plus une fédération de partis autonomes qui disposaient d’une intégrale liberté politique d’action et de pratique. Les partis sociaux-démocrates étaient devenus des partis électoralistes, chaque parti lié à son Etat. La majorité pensait, comme le dirigeant social-démocrate Berstein en Allemagne, que l’on pouvait prendre le pouvoir pacifiquement. Ils croyaient aussi que le colonialisme apporterait les lumières aux peuples colonisés [2].

Beaucoup de travailleurs, dégoûtés par les politiciens de la SFIO, s’étaient retrouvés dans la CGT anarcho-syndicaliste à la verve révolutionnaire. La CGT pensait qu’avec la grève générale, les travailleurs bien organisés pourraient gérer la société et que l’Etat s’écroulerait tout seul. Mais en dehors du pouvoir, tout n’est qu’illusion. L’appareil d’Etat a une armée, une police, qui feront rentrer à coups de fusils les récalcitrants s’il le faut. Les anarcho-syndicalistes propageaient l’apolitisme. Pour eux le syndicat était « neutre », et, pour « l’action directe », pas besoin de réflexion théorique [3]. Quand il faudra choisir entre soutenir la guerre ou faire la révolution, le mot d’ordre « non à la guerre » des anarcho-syndicalistes ne sera d’aucun poids. Les travailleurs pourtant avaient répondu présents lors des manifestations du 27 juillet. A cette époque il était encore possible d’aller à l’offensive contre la bourgeoisie française.

La bourgeoisie sait récompenser ceux qui ont trahi

Un gouvernement « d’Union sacrée » est créé. Ce gouvernement comprend les socialistes Marcel Sembat et Jules Guesde. Albert Thomas est sous-secrétaire d’Etat à l’artillerie et aux munitions. Léon Blum devint chef de cabinet. D’autres furent reclassés dans l’appareil d’Etat. Bien sûr ils promettaient qu’après la guerre on irait vers la révolution sociale... A la CGT, dès que la guerre commence, le journal La Bataille syndicaliste explique qu’« en faisant du patriotisme nous sauvons la liberté universelle », et Jouhaux sur la tombe de Jaurès appelle à lutter « contre l’impérialisme allemand ». Aidés par Thomas et les autres ministres socialistes, les responsables de la CGT sauront s’associer à l’action du gouvernement au sein de commissions mises sur pied pour cette occasion. Une minorité de la CGT opposée à la guerre se rassemble autour du journal la Vie Ouvrière de Monatte et Rosmer.

L’opposition avec Zimmerwald

La IIe Internationale avait fait faillite, ses dirigeants s’étaient liés à leur bourgeoisie dans la guerre impérialiste. Pas tous : en Russie après le refus du vote des crédits de guerre, quatre députés bolcheviques sont envoyés en Sibérie. Ils suivent le mot d’ordre de Lénine de « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile ». Longtemps Lénine sera minoritaire sur ce mot d’ordre, même chez les bolcheviques. Il lui a fallu convaincre. En France des résolutions sont déposées à la direction de la CGT par Monatte, d’autres par Merrheim et Longuet. En Allemagne se constitue un groupe d’opposition internationaliste autour de Karl Liebknecht (qui refusa de voter les crédits de guerre), Clara Zetkin, Rosa Luxemburg. Une conférence se tient à Zimmerwald en septembre 1915 rassemblant 38 socialistes de 11 pays, parmi lesquels Lénine et Trotski [4]. Monatte et Rosmer de la CGT s’y rendirent aussi. Mais deux stratégies étaient en jeu, une, pacifiste, qui demandait la reprise des relations internationales et la paix ; l’autre, celle de la gauche zimmerwaldienne, était de répliquer à la guerre impérialiste par une révolution, conçue comme une entreprise mondiale. Après la Conférence de Zimmerwald, en France des militants se regroupent dans le Comité pour la reprise des relations internationales. Ce Comité ne comptait pas plus de 150 membres, mais leur action fut d’un grand poids pour la suite. Une deuxième conférence se tient à Kienthal en 1916.

1917, enfin la révolution bolchevique

La révolution russe éclate et la vague révolutionnaire ébranle l’Europe à partir de 1917. Des révoltes de soldats ont lieu en France [5]. En Allemagne, il y a des grèves gigantesques. En Italie, à Turin, les ouvriers s’affrontent, les armes à la main, avec l’armée. La révolution russe permet la scission entre sociaux-chauvins, opportunistes, et ceux qui construiront le futur parti communiste en 1920. Dans la IIIe Internationale se croiseront ceux qui ont résisté à contre-courant, qu’ils soient communistes ou anarcho-syndicalistes, et se tourneront vers le bolchevisme.

[1Le marxisme de la SFIO était allègrement (jusqu’à aujourd’hui) mêlé au républicanisme, au jacobinisme. Jaurès, dans son livre « L’Armée nouvelle », critiquait la guerre « impérialiste », mais jugeait légitime la défense du territoire national face à une agression. Il pensait qu’avant le début d’une guerre devait être « proposé, publiquement et loyalement, la solution par arbitrage... ». A quoi lui répondait Rosa Luxembourg : « La guerre ou la paix ne sont pas des questions de droit mais des questions de force », et elle le critique pour « sa croyance obstinée, petite-bourgeoise et démocratique, en des paragraphes de lois ». (Leipziger Volkszeintung, 9 juin 1911)

[2Dans la IIe Internationale, le colonialisme est vu comme progressiste ; par exemple, en France, Jaurès croit au rôle civilisateur des « Lumières » françaises, et Bernstein en Allemagne appelle de ses vœux une « politique coloniale socialiste » (Congrès de 1904,Amsterdam).

[3Au Congrès anarchiste tenu à Amsterdam en 1907, Monatte présente les grandes lignes du syndicalisme révolutionnaire : s’affirmer avant tout par des actes et non par des théories. Il propose de « faire parler les faits ». A ce même congrès, Malatesta, militant anarchiste, est absolument catégorique ; il faut « des syndicats absolument neutres ». Si la CGT n’a pas de doctrine, les idées politiques réformistes, avec l’apolitisme, ont le champ libre. Car anarchistes et syndicalistes révolutionnaires sont d’accord sur l’activisme apolitique. A la même époque, Lénine tirait d’autres leçons de la révolution russe de 1905 : il manquait un état- major centralisé et politique. Le moment venu, certains anarchistes en tireront les conséquences... et rejoindront le parti communiste.

[4Trotski joua un rôle important dans la conférence de Zimmerwald (lire Alfred Rosmer - Moscou sous Lénine), mais Lénine, dans une brochure de préparation de la conférence « Les socialistes et la guerre », écrit : « Trotski, en Russie,... plaide aussi pour l’unité avec le groupe opportuniste et chauvin de “Nacha Zaria”. Rakovski en Roumanie, tout en déclarant la guerre à l’opportunisme, qu’il rend responsable de la faillite de l’Internationale, est prêt cependant à admettre l’idée de la défense de la patrie. Ce sont là des manifestations du mal que les marxistes hollandais (Gorter, Pannekoek) ont appelé le “radicalisme passif”, et qui vise à substituer au marxisme révolutionnaire l’éclectisme en théorie, et la servilité ou l’impuissance devant l’opportunisme dans la pratique ».

[5Sur les mutineries de 1917, voir le film de Stanley Kubrick « Les Sentiers de la Gloire », réalisé en 1958 et qui ne sera autorisé à la diffusion en France qu’en 1975. La bourgeoisie a encore peur...

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