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La démocratie nous échappe, inutile d’essayer de la réparer !

Partisan Magazine N°19 - Mai 2022

Jamais le rejet de la démocratie institutionnelle n’a été aussi forte. La révolte des Gilets Jaunes a mis à nu ce que chacun.e ressentait depuis bien longtemps : les médias nous intoxiquent, les sondages nous injectent ce qu’il faut penser, le parlementarisme et les élections exigent de nous, en plus, qu’on valide un système qui nous échappe complètement.

Le système actuel, c’est l’exclusion – et l’abstention en est le reflet au plan électoral. Pourquoi se motiver pour un système qui se moque de nous, pour des bourgeois qui feront de toutes les façons ce qu’ils veulent, quelle que soit leur étiquette ? « Droite, gauche, nous ne marcherons pas au pas », disions-nous il y a bien longtemps.
Le problème, pour les bourgeois au pouvoir, dans les entreprises, les institutions, le gouvernement et ses ministères, c’est qu’il y a besoin d’un consensus pour garantir la paix sociale. Sinon, le décrochage va provoquer ruptures et rejets, explosions et désagrégation sociale - problème pour l’exploitation et l’extraction de la plus-value qui sont quand même le moteur économique fondamental de la société dans laquelle nous vivons.

Ce « déficit démocratique », pour reprendre la formule des sociologues et journalistes officiels, inquiète les bourgeois d’un côté, et mobilise certains secteurs populaires de l’autre. A la recherche de solutions…

Les arnaques de Macon

Macron est le premier à s’être officiellement préoccupé de ce rejet démocratique. Il faut dire que les Gilets Jaunes n’y sont pas allés de main morte pour se faire entendre.

D’où les tentatives de revaloriser la participation populaire, de donner un os à ronger pour calmer la colère.

• On a d’abord eu droit à un « Grand Débat National », entre janvier et mars 2019, en pleine mobilisation des Gilets Jaunes. Des « Cahiers de doléances » dans les mairies, des questionnaires remplis (près de 2 millions !), plus de 500 000 contributeurs. Un rapport de 185 pages en juin, et le tout parti prendre la poussière dans les archives. Un pétard mouillé pour tenter de désamorcer la colère, sans lendemain.

• On a ensuite connu la « Convention Citoyenne sur le Climat », entre octobre 2019 et juin 2020. 150 personnes de bonne volonté, tirées au sort, 149 propositions – mais peu reprises, en tous les cas, pas les plus significatives. En forme de bilan en février 2021, les participants ont noté 3,3/10 la transposition des propositions dans la loi par le gouvernement, et à 2,5/10 sa relation à la Convention citoyenne.

Autrement dit, au-delà des formes démocratiques parfois nouvelles et innovantes (les cahiers de doléance, le tirage au sort de citoyens concernés), c’est l’orientation politique du gouvernement qui a tranché. C’est la gestion du capitalisme qui a imposé ses règles, aseptisé ou enterré les mesures les plus radicales. On pourrait dire que même les bourgeois sont contraints par le caractère « automatique » du capitalisme (pour reprendre une formule de Tom Thomas).

On voit ce que ça donne : des écrans de fumée, on retient ce qu’on veut bien. Les bourgeois, un peu inquiets, tentent de redorer leur blason, mais de manière un peu minable. Les formes démocratiques sont au service d’une orientation politique et là, celle du gouvernement. C’est inéluctable, inévitable, la démocratie pure n’existe pas. Elle n’existe qu’en relation avec une orientation, existante ou proposée.

La primaire populaire

Les propositions de Macron ont fait long feu, et même s’il prétend élargir ce qu’on appelle la « démocratie participative », plus personne n’en attend grand’chose. Alors, à l’occasion de la campagne présidentielle, certain.e.s ont cherché à reprendre leurs affaires en main, et à trouver des moyens, des méthodes pour y arriver. Mais entre un souhait, aussi louable soit-il, et la réalité du capitalisme, il y a un gouffre.

L’initiative de la Primaire populaire est née de la révolte contre le jeu personnel de chaque parti de gauche, d’une volonté « d’union de la gauche », avec la conviction d’une défaite assurée en cas de division. On est donc complétement dans le cadre électoral officiel.

L’équipe dirigeante a été placée devant une impasse. Le choix des électeurs (près de 500 000 tout de même), ce fut Christiane Taubira. Or celle-ci ne rassemblait pas autour d’elle politiquement, et ne rassemblait pas les 500 signatures. En février, une nouvelle équipe organisatrice se met donc en place et, sous le prétexte de créer une association permanente, elle prend l’initiative, sans consultation, d’appeler à voter Mélenchon. Le seul candidat qui, depuis des années, refuse toute idée d’union des partis de la gauche et de l’écologie ! La décision est très, très mal accueillie C’est ainsi que l’entreprise d’unité a réussi à approfondir… la division !

La Primaire Populaire, c’était l’illusion de la petite-bourgeoisie intellectuelle que l’on peut facilement nettoyer les écuries du parlementarisme institutionnel sans rien changer au fond. L’opération médiatique n’a été qu’un feu de paille sans lendemain.

Le RIC

Il convient de s’arrêter plus sérieusement sur le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) repris par une grande partie des Gilets Jaunes. Le fait que la proposition vienne initialement d’Etienne Chouard, personnage fascisant détestable qui flirte avec Soral, les négationnistes, les complotistes de tous poils, ne doit pas nous empêcher d’examiner la proposition (qui n’est pas une proposition fasciste), qui a un impact important parmi une mouvance dégoûtée de la pseudo-démocratie qu’on veut nous ingurgiter – en nous faisant en plus croire que ce serait le top de l’organisation de la société.

Une enquête récente (https://culture-ric.fr/actions-ric/consultations/consultations-de-culture-ric/bilan-des-principes-du-ric-voulu-par-les-francais/) parmi les tenants de cette proposition est éclairante (voir un résumé dans l’encadré ci-contre).

Résumé de l’enquête RIC
-  Le RIC doit permettre de contrôler, sanctionner ou révoquer un élu, un haut fonctionnaire ou un fonctionnaire
-  Le RIC doit permettre de modifier la constitution
-  Le RIC doit permettre de proposer, de bloquer ou d’abroger une loi, un règlement ou un acte administratif
-  Le RIC doit permettre de signer un traité ou d’annuler un pacte ou un accord international
-  Le RIC doit permettre de convoquer ou de dissoudre une assemblée (Assemblée Nationale, Sénat, Constituante)
-  Le RIC doit être possible à l’échelle nationale, régionale, départementale, communale, communauté de communes, européenne
-  Le RIC doit pouvoir traiter des droits fondamentaux, des sujets de société, d’économie, de fiscalité, de défense, de géopolitique – de tout sujet en fait.
-  Les mineurs ne participent pas au RIC (16 ans)
-  Les étrangers ne participent pas au RIC
-  Tous les citoyens majeurs français participent au RIC
-  Le RIC nécessite une période d’information préalable, plurielle, neutre et médiatisée
-  Les RIC ne doivent pas être trop fréquents (tous les 3 à 4 mois) avec plusieurs questions
-  Les décisions du RIC doivent s’appliquer sous 6 mois environ
-  Les décisions du RIC sont supérieures à toute autre décision
-  Les décisions du RIC ne sont pas modifiables avant un an et seulement par référendum

Les premières choses qui choquent en première lecture, direct, c’est d’une part le refus clair et net de la citoyenneté aux étrangers, et la mise en cause générale des fonctionnaires (pas seulement les hauts fonctionnaires, tous les fonctionnaires). Ce sont, à l’évidence des marques politiques. Le nationalisme contre l’internationalisme (tous les étrangers de La Commune de 1871 auraient donc été exclus…), et l’anti-étatisme primaire. Alors que les fonctionnaires, ce sont majoritairement des enseignants, des soignants, des territoriaux etc. ne l’oublions jamais !

Mais, soyons concrêts. D’abord, qui va organiser ? Qui va choisir les questions ? Le projet met le RIC au-dessus de toutes les institutions politiques et lui attribue toutes les compétences, sur « tout sujet en fait ». Il reste tout de même le problème de savoir qui pilote les RIC. Le président de la République ? Notons que cinq candidats à l’élection présidentielle nous promettaient dans leur programme l’instauration des RIC : Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle, Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon. Autrement dit, l’extrême-droite, la droite, la gauche. On peut penser que pour les uns, Zemmour et Macron, le RIC rappelle trop le cauchemar d’une révolte populaire, et que pour les autres, LO et NPA, ce n’est pas assez sur le terrain de la lutte et un peu trop sur celui de la politique classique.

Si c’est le président qui pilote et qui choisit les questions, on n’est pas sortis de la politique politicienne actuelle. Et si ce n’est pas le président, ça se passe comment ?

Deuxième question : qui a le droit de vote ? Exclure les travailleurs étrangers, c’est là aussi être fidèles à la Constitution bourgeoise existante. C’est exclure une minorité importante du camp des travailleurs, et c’est influencer les résultats (dans le mauvais sens) avant même de faire la consultation. Même du point de vue de la société capitaliste, celui qui paie, c’est lui qui commande. Or les travailleurs immigrés habitent ici, travaillent ici, cotisent, paient leurs impôts (le plus important étant la TVA), et ils n’auraient pas le droit à la parole ?

Troisième question : Comment est organisée la campagne électorale ? Car il faut bien une « période d’information préalable » (11e point), un échange d’arguments entre les partisans du oui et ceux du non, le contrôle du temps de parole entre les deux, etc. Imaginons une question de gauche : « Etes-vous pour l’instauration d’un salaire minimum à 1750 euros net ? » Vous constaterez que les travailleurs sont massivement pour, et les patrons – surtout les petits d’ailleurs - majoritairement pour le non. Vous allez retrouver une gauche et une droite, avec d’un côté des promesses non tenues, et de l’autre des grandes paroles hypocrites. Toujours pas sortis de la politique politicienne. Mais par contre nous sortons de l’illusion « tous égaux, tous citoyens », nous constatons que la société est divisée fondamentalement en deux classes sociales, et que le cœur de la politique est là. Une réalité que le projet de RIC ignore.

Enfin, dernière question, présente dans l’exemple du salaire minimum : est-ce que des RIC peuvent diriger l’économie ? Oui, dit le projet. Sauf qu’actuellement c’est le contraire. Ce sont les oligarques français qui ont leurs entrées dans les ministères, jusqu’à rédiger des projets de lois, qui achètent les médias pour modeler l’opinion publique, qui lancent des candidats, Macron en 2017, Zemmour en 2022…

Croire qu’en instaurant une démocratie pure, directe, du peuple tout entier, on pourrait résoudre tous les problèmes et faire le bonheur de chacun, c’est une illusion typiquement petite-bourgeoise, le raisonnement spontané d’une classe qui n’est ni bourgeoise ni prolétaire, mais les deux en même temps. L’aspiration à une démocratie réelle et à une égalité réelle est juste, mais le résultat ne peut être qu’une grosse déception.
Est-ce qu’il peut y avoir de la démocratie dans l’économie, dans l’entreprise ? On le sait pourtant, 1. La démocratie s’arrête aux portes de l’usine, et 2. à la dictature patronale s’oppose notre démocratie, qui est une démocratie de lutte, politique et syndicale, et celle de la construction de notre futur pouvoir.

Il faut aller jusqu’au bout.

Le RIC est une fausse bonne idée, une illusion qui entraîne dans une impasse, qui empêche de réfléchir à la nature de la société que nous voulons, du contenu, en matière de besoins (quelles priorités et pour qui ?), de travail (exploitation, pénibilité, précarité), d’internationalisme, de culture et de formation, de comment détruire le capitalisme jusqu’à ses racines, quels nouveaux rapports de solidarité collective construire etc. Toutes questions où les contradictions sont antagoniques et ne peuvent se régler par un référendum, et en plus dans le cadre d’une société gérée par les bourgeois.

Les Gilets Jaunes ont raison de parler de « système ». Mais il faut aller jusqu’au bout du raisonnement, démasquer son caractère de classe, et DONC, non pas rechercher des solutions illusoires, mais se préparer à sa DESTRUCTION pure et simple, pour reconstruire une nouvelle société, appuyée sur le pouvoir du prolétariat et de ses alliés, pour répondre aux vrais besoins du peuple. Et là, oui, on mettra en œuvre des nouvelles formes démocratiques dans cet objectif.

Mais les règles ne seront pas les plus « pures » possibles, elles auront un caractère de classe, multinational, internationaliste, et pas patriote, appuyé sur les besoins des prolétaires et d’abord des plus nécessiteux, pour bouleverser de fond en comble le système productif, économique et social, et toutes les relations politiques et idéologiques construites sur cette base.

« Pour que le nouveau monde germe, il faut arracher le capitalisme jusqu’à la racine ! »

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